🍀 Des réactions ? Oui, les vôtres



01 octobre 2021 | La recherche et sa pratique 
Tièdes
avec le climat ?

Je suis actuellement aux Assises du journalisme, la rencontre annuelle de la profession à Tours. Avec un thème en plein dans l’actualité : l’urgence climatique et la responsabilité des journalistes.
Avec de nombreuses questions à la clef :  doit-on traiter toutes les sujets sous l’angle du changement climatique, même hors des services environnement ? C’est le choix qu’ont fait nombre de rédactions, comme The Guardian.
Les journalistes de toutes les spécialités sont donc, parfois pour la première fois, en contact avec des chercheurs (vous, peut-être ?). Un dialogue auquel sont déjà habitués les journalistes scientifiques, qui montrent l’exemple dans une table ronde dédiée.
Mais même les chercheurs ne sont pas tous d’accord sur la bonne façon de s’exprimer : le biologiste Pierre-Henri Gouyon dénonce le confort de la nuance face au plus mesuré climatologue Eric Guilyardi. Un débat qui n’est pas prêt de se clore.

A très vite,
Lucile de TMN

 PS.  En attendant le prochain numéro, voici un spécial courrier des lecteurs avec un florilège de vos réactions à nos articles ▼


Ils nous ont Ă©crit
  • Bastien Lejeune rĂ©agit sur les Cifre en SHS
  • Johann Chable tĂ©moigne de son retour Ă  la recherche
  • Pascal Maugis rĂ©agit Ă  l’affaire Mucchielli
  • BĂ©atrice Bouchet-Fouillet a commencĂ© une thèse Ă  60 ans passĂ©s
  • Guillaume Lacroix complète notre numĂ©ro sur les Cifre en SHS
  • Des infos en passant
  • Et pour finir avec des langues



D’ici, environ… 3 minutes top chrono !



Bastien Lejeune est doctorant en droit public et réagit à notre numéro sur les thèses Cifre en SHS.
« Figurez-vous que, jusqu’Ă  cette nouvelle annĂ©e universitaire, j’Ă©tais un doctorant en droit public bĂ©nĂ©ficiant du dispositif CIFRE. Du coup, je souhaite vous faire remonter qu’après quasi cinq ans (…) au contact du secteur de la recherche « professionnelle » (ANRT entre autres) mais aussi du milieu de la recherche en SHS (…) je suis tout heureux de dĂ©couvrir aujourd’hui l’existence de l’association AdCifreSHS ! Du coup, Ă  moins que son pĂ©rimètre d’action soit uniquement local, je trouve dommage que cette association dont l’objectif est d’accompagner les doctorants ne soit pas plus « promue » que cela (via l’ANRT, les universitĂ©s, labos ou les manifestations scientifiques). Je pense mĂŞme que, sans vous, jamais je n’aurais eu vent de son existence. Du coup, tout simplement, un grand merci. »


Johann Chable est postdoctorant en Allemagne. Il est retourné à la recherche publique en partie grâce à nous (dit-il !) et tenait à vous le raconter.
« Je tenais Ă  signaler le cĂ´tĂ© rassembleur de votre mĂ©dia, qui me parle probablement plus qu’Ă  d’autres vu que j’ai grandi dans une communautĂ© scientifique relativement petite, Ă  savoir la chimie du fluor. Ce qui n’y empĂŞche pas une belle solidaritĂ© ni une belle recherche scientifique mais ne m’a pas donnĂ© immĂ©diatement la conscience d’autres communautĂ©s scientifiques plus larges, chacun Ă©tant par la force des choses plutĂ´t concentrĂ©e sur son labo/institut, avec Ă©ventuellement des perspectives plus larges au niveau de la SCF (SociĂ©tĂ© Chimique de France).
C’est vous qui avez donc contribuĂ© Ă  mon ouverture et surtout Ă  mon retour dans la communautĂ© scientifique en gĂ©nĂ©ral : vous ĂŞtes arrivĂ© sur ma boĂ®te mail sans coup fĂ©rir en avril 2019 (oui j’ai vĂ©rifiĂ©), au moment oĂą je travaillais en Allemagne en tant que chef de projet R&D dans une entreprise de matĂ©riaux pour batteries. Ayant Ă©tudiĂ© en Ă©cole d’ingĂ©, cela me semblait ĂŞtre ma voie et mon poste « naturels » mais après quelques mois Ă  peine, je commençais Ă  sentir poindre une certaine frustration de ne pas pouvoir mener ma recherche Ă  fond, de ne pas pouvoir comprendre la science derrière les matĂ©riaux que je devais dĂ©velopper.
LĂ -dessus, vous apparaissez, sortis de nulle part ! Et vous me rappelez cet environnement coopĂ©ratif, curieux, inventif, humain qui avait accompagnĂ© mon expĂ©rience doctorale (…). Vos articles sur les SHS m’ont par exemple fait prendre conscience de l’importance des ressemblances avec les sciences dites dures, des mĂŞmes buts poursuivis, des mĂŞmes philosophies de travail… et aussi des mĂŞmes difficultĂ©s rencontrĂ©es ! Notamment dans la lutte pour une recherche de qualitĂ©, « contre » le système de financement par projets qui prive souvent les labos et les plus jeunes de la prĂ©cieuse expĂ©rience des plus âgĂ©(e)s, accaparĂ©(e)s par les appels Ă  projet et autres lourdes dĂ©marches bureaucratico-administratives.
J’avais Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  ces problèmes lors de mon premier post-doc, durant lequel j’avais eu l’impression de me battre seul contre des moulins Ă  publications, exposant Ă  peine quelques rĂ©sultats mais vides de comprĂ©hension ou d’explications. D’oĂą ma bifurcation Ă  la première opportunitĂ© vers le monde industriel et le très espĂ©rĂ© CDI. HĂ©las, cette aventure a tournĂ© court, notamment Ă  cause du peu de reconnaissance de mon travail et de latitude dans ma recherche. Sans oublier l’interdiction juste avant l’Ă©pisode Covid de rĂ©union entre collègues au nom de la confidentialitĂ© et du secret des affaires…
Bref, vos mails m’ont rappelĂ© qu’il y avait un monde qui me conviendrait sans doute beaucoup plus. Vous apportiez la preuve que la communautĂ© scientifique faisait face ensemble Ă  des dĂ©fis similaires, peu importe la thĂ©matique ou le labo de dĂ©part. Cela a comptĂ© dans ma dĂ©cision de dĂ©missionner sans attendre et de retenter ma chance dans le monde acadĂ©mique. Après quelques mois de recherche, j’ai fini par retrouver un poste de post-doc au Karlsruhe Institute of Technology et j’ai commencĂ© mercredi dernier, juste après la parution de votre 200e numĂ©ro.
Cela m’a paru de bon augure et m’a incitĂ© Ă  vous remercier. Continuez comme ça et merci pour les infos et la bonne humeur ! »


« Je suis scientifique, citoyen, militant, lanceur d’alerte, mais ce n’est Ă  aucun de ces titres que je rĂ©agis maintenant. La case qui manque pour comprendre son positionnement est celui d’expert et est relatif Ă  la construction dĂ©sordonnĂ©e de l’expertise publique sur le Covid dont s’Ă©talent les dĂ©voiements depuis dĂ©jĂ  deux ans.
Un scientifique a cela de lĂ©gitime qu’il peut appliquer la dĂ©marche scientifique Ă  des sujets dont il n’est pas spĂ©cialiste, si ce n’est qu’il ne produit pas de connaissances nouvelles, mais peut interprĂ©ter les connaissances actuelles en Ă©clairant les preuves, les lacunes de dĂ©monstration, les incertitudes et controverses et aussi les risques. Ainsi, toute personne pouvant prouver qu’elle applique la rigueur scientifique Ă  son analyse peut ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme produisant de l’expertise. En prĂ©sence d’enjeux forts comme des risques sanitaires ajoutĂ©s ou Ă©vitĂ©s, cette personne peut se considĂ©rer mue par un devoir d’alerte et s’exprimer sur la scène publique ou auprès des dĂ©cideurs. Si tel est le cas de M. Mucchielli, il est tout Ă  fait lĂ©gitime dans sa dĂ©marche. D’ailleurs, les meilleurs experts ne sont pas nĂ©cessairement les spĂ©cialistes scientifiques, ainsi que je l’explique dans ma prĂ©sentation et ma confĂ©rence sur « le scientifique mis en position d’expert sur le changement climatique : Quel arbitrage sur les incertitudes dans la communication « .
Il survient un problème dans cette dĂ©marche individuelle seulement s’il y a omission d’Ă©lĂ©ments importants et connus, que les affirmations ne sont pas traçables vers des articles scientifiques ou travaux en cours, que des liens de conflits d’intĂ©rĂŞt sont cachĂ©s ou encore qu’il n’est pas fait Ă©tat des controverses scientifiques. Ensuite, l’expertise individuelle a cela d’irrĂ©ductible qu’elle est subjective. En prĂ©sence d’incertitudes importantes, les avis ne sont ni dĂ©finitifs, ni complets. La difficultĂ© ne vient pas tant de cela, que de l’usage qui peut en ĂŞtre fait par les mĂ©dias et les dĂ©cideurs, friands d’affirmations simples et de dĂ©cisions tranchĂ©es. Le goĂ»t de la polĂ©mique et l’opportunisme politique sont les deux grands ennemis, Ă  la fois de la comprĂ©hension posĂ©e de grands enjeux de sociĂ©tĂ©, et de dĂ©cisions robustes et responsables. De plus, il est commode Ă  un dĂ©cideur politique de faire reposer la responsabilitĂ© des dĂ©cisions — et de leur Ă©chec potentiel — sur des experts dont on aura extirpĂ© plus ou moins volontairement des prĂ©conisations. C’est ainsi le pire usage que l’on puisse faire de l’expertise : un instrument de dĂ©responsabilisation de la dĂ©cision. On comprend par consĂ©quent la rĂ©ticence de nombreux scientifiques Ă  s’exposer dans cette arène, et aussi le courage nĂ©cessaire pour s’y lancer en connaissance de cause.
La situation confuse que nous vivons depuis de nombreux mois, oĂą diverses personnalitĂ©s s’expriment par toutes sortes de canaux de façon dĂ©sordonnĂ©e et souvent contradictoire, avec une certaine violence et des procès ad hominem vient — c’est mon opinion prĂ©liminaire sans en avoir fait une lecture systĂ©matique et scientifique, et qui demande Ă  ĂŞtre confirmĂ©e — du chaos total dans lequel est « organisĂ©e » l’expertise collective sur le Covid. Arbitraire du choix des membres du collectif d’expert mis en place par l’Etat, flou dans les conflits d’intĂ©rĂŞt potentiels, dĂ©libĂ©rations Ă  huis clos, non traçabilitĂ© des donnĂ©es, synthèse de l’Ă©tat des connaissance par le pouvoir exĂ©cutif, propos simplifiĂ©s, informations cachĂ©es… donnent le champ libre tout naturellement Ă  la suspicion de manipulation et Ă  l’Ă©mergence d’avis complĂ©mentaires par les diffĂ©rents canaux d’information. Les controverses tournent Ă  la polĂ©mique alors que le dĂ©bat documentĂ©, posĂ©, transparent, systĂ©matique n’a toujours pas lieu. La controverse se rĂ©sout normalement par un dialogue documentĂ© et sincère avec argumentation, exposĂ© des preuves, contre-argumentation et exposĂ© des limites, etc. dans une arène Ă  l’abri des pressions politiques. Il est urgent d’offrir Ă  ceux qui ont Ă  faire part d’avis argumentĂ©s scientifiquement l’agora dans laquelle dĂ©battre et faire la synthèse des connaissance pour l’action. Au demeurant, cette dĂ©marche est classique, et bien cadrĂ©e par diffĂ©rentes chartes de l’expertise. Je ne peux qu’espĂ©rer que nos dĂ©cideurs les liront un jour et auront le courage de protĂ©ger les experts des pressions politiques et mĂ©diatiques, et d’assumer derrières des dĂ©cisions prises modestement dans un contexte de grandes incertitudes.
A ce titre, la position de M. Mucchielli me semble plus relever du lanceur d’alerte, et elle rĂ©vèle l’impossibilitĂ© actuelle de contribuer posĂ©ment Ă  un dĂ©bat sur le Covid et la vaccination. »


BĂ©atrice Bouchet-Fouillet est en fin de première annĂ©e de doctorat en lettres… Ă  68 ans UCA, labo Lettres. Elle rĂ©agit Ă  notre interview de Marie-Georges Fayn. 
« Je suis actuellement en thèse-crĂ©ation sur une pièce de Nathalie Sarraute : Pour un oui ou pour un non, en parallèle cette pièce est travaillĂ©e en terminale professionnelle et dans un atelier théâtre et j’ai 68 ans. Comme quoi…
Ce qui m’a poussĂ©e dans une telle aventure c’est peut-ĂŞtre de ne pas entendre sonner la retraite ! Plus sĂ©rieusement, c’est d’abord le plaisir de lire, de redĂ©couvrir des auteurs, la subtilitĂ© de l’intertextualitĂ© qui relie les arts entre eux en supprimant les notions d’espace temps. Ajoutons un intĂ©rĂŞt pour le théâtre, le besoin de mettre en lumière des collègues et des Ă©lèves de lycĂ©e professionnel, de donner corps aux personnages un peu abstraits du théâtre lu, en travaillant avec un metteur en scène, de se remettre Ă  Ă©crire en organisant son travail, non plus pour suivre un programme et l’enseigner au mieux, mais pour explorer un monde inconnu, le mettre en forme et me voilĂ  embarquĂ©e dans l’aventure de la thèse qui ne manque pas de surprises, de dĂ©couvertes plus ou moins heureuses, de tâtonnements, en bref toutes les Ă©motions ressenties par ceux qui s’engagent dans cette voie Ă©troite qu’est la « recherche » et son partage. »


Guillaume Lacroix est docteur en urbanisme. Il réagit à notre numéro sur les thèses Cifre en SHS car lui aussi a été dans ce cas.
« Merci pour votre dossier, qui éclaire bien certaines situations – aussi importantes que méconnues – qui se posent aux doctorant·e·s en SHS, de plus en plus nombreux à réaliser leur thèse via une Cifre. Votre analyse pointe en creux deux enjeux essentiels sur le sujet :
Comment faire en sorte d’« obtenir des rĂ©ponses prĂ©cises de la part des tutelles acadĂ©miques », comme cela n’a pas Ă©tĂ© le cas pour AurĂ©lie (et certainement tant d’autres) ? Il y a lĂ  un vĂ©ritable besoin de faire monter en compĂ©tence la communautĂ© acadĂ©mique qui devrait ĂŞtre impliquĂ©e sur le sujet : direction de thèses, personnel des Ă©coles doctorales, services de « valorisation de la recherche » dans les universitĂ©s, etc. Pour cela, il faudrait que les doctorant·e·s Cifre soient identifié·es comme des jeunes chercheur·e·s pouvant bĂ©nĂ©ficier de toute l’ingĂ©nierie dĂ©diĂ©e Ă  la recherche partenariale. Hors, la reprĂ©sentation dominante reste parfois celle d’un « éternel Ă©tudiant » ou d’un salariĂ© d’une autre organisation, dont on peut se dĂ©tourner… A l’heure de l’autonomie des Ă©tablissements de l’ESR et de leurs inĂ©gales ressources, il y a aussi un enjeu de capitalisation et de circulation des « bonnes pratiques », pour assurer qu’il n’y ait pas de « dĂ©sert juridique » dans certains Ă©tablissements. Cela permettrait certainement de ne pas rĂ©pliquer les mĂŞmes situations Ă  risque, issues par exemple de l’usage de conventions-types inadaptĂ©es aux SHS car issues des sciences exactes et industrielles.
Vous Ă©voquez aussi le cas de ces « doctorants [qui] ne sont en gĂ©nĂ©ral pas sĂ»rs de pouvoir communiquer [des dĂ©tails sur leur employeur ou des donnĂ©es collectĂ©es] sans se mettre juridiquement en danger ». Comment lever ce risque ? L’un des enjeux essentiels ici concerne la prĂ©paration de la pĂ©riode ouverte après les trois ans de la convention Cifre. Beaucoup de doctorant·e·s en SHS n’ont pas encore soutenu leur thèse, et peuvent ĂŞtre amené·e·s Ă  poursuivre la collaboration salariale avec l’organisme partenaire. Il faut lĂ  aussi mieux connaĂ®tre et encadrer cette Ă©tape, car lorsqu’elle est mal nĂ©gociĂ©e d’un point de vue conventionnel entre l’universitĂ©, le doctorant et l’employeur/financeur, le doctorant peut se retrouver tenu par le seul lien salarial qui ne prĂ©voit en gĂ©nĂ©ral pas de dispositions relatives Ă  la recherche. Les clauses-types de confidentialitĂ© dans un contrat de travail peuvent mĂŞme gravement mettre en danger les salariĂ©s-doctorants. En l’absence d’une jurisprudence rĂ©glant la complexitĂ© d’une situation au croisement entre droit du travail, droit d’auteur et propriĂ©tĂ© intellectuelle, cette situation peut durer des annĂ©es… pendant lesquelles certains acteurs acadĂ©miques ne se sentent plus tenus d’agir pour protĂ©ger les intĂ©rĂŞts de leurs doctorants ! »


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 Des infos en passant  Plus que quelques jours pour candidater au programme Symbiose de Pariscience dans le but de réaliser un court-métrage scientifique en 48h chrono, en binôme avec un réalisateur //////// Connaissiez-vous les UMIFRE (Unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger) ? Recherche de terrain, diffusion scientifique mais aussi formation des jeunes chercheurs en SHS y ont lieu, explique le CNRS info //////// 


//////// En cette rentrĂ©e, deux webinaires sont proposĂ©s par la plateforme d’archives HAL pour les petits nouveaux : dĂ©poser sur HAL mais aussi crĂ©er son identifiant et son CV ////////


Et pour finir…
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Une infographie originale des langues parlées dans le monde et leur répartition par continent, publiée dans Visual Capitalist.