🔶 Bienvenue dans l'après croissance


25 octobre 2021 | Une innovation dĂ©cryptĂ©e 
Le fin du
toujours plus ?

Peut-on avoir une croissance infinie ? Pour une physicienne comme moi, croĂ®tre continĂ»ment dans un monde fini, c’est Ă©videmment impossible. Mais ici on touche Ă  l’économie… et aucun consensus n’émerge clairement.
Doit-on poursuivre la croissance ? C’est bien sûr une question de société et les économistes explorent les scénarios qui leur tiennent à cœur et prennent parfois position au passage.
Et la dĂ©croissance ? A part si votre meilleur·e ami·e lit La DĂ©croissance ou possède la bibliographie complète de Bernard Charbonneau, vous n’avez sĂ»rement entendu parler de dĂ©croissance que depuis quelques mois.
Pour la première fois, une potentielle candidate Ă  la prĂ©sidentielle, Delphine Batho, a dĂ©fendu officiellement ce concept. Dans le mĂŞme temps, sa concurrente et Ă©conomiste Sandrine Rousseau affirmait au contraire que « la dĂ©croissance n’avait pas tellement de sens Ă©conomique ».
Que se cache-t-il derrière le fantasme ? Nous allons bien sûr nous pencher sur cette notion méconnue, même parmi les économistes. Et qui renvoie forcément à des interrogations sur la croissance et ses origines.

Bonne lecture,
Lucile de TheMetaNews

 PS  Un grand merci Ă  Faustine Perrin, Claude Diebold, TimothĂ©e Parrique et Gaetano Caballo pour leur prĂ©cieuse aide Ă  la confection de ce numĂ©ro.


Si vous n’avez que 30 secondes
  • La croissance, de ses origines Ă  sa fin (hypothĂ©tique)
  • Repère : 300 ans de croissance
  • Les pères (que des hommes) de cette thĂ©orie Ă©conomique
  • Pour TimothĂ©e Parrique, la dĂ©croissance, c’est maintenant
  • Ils parlent d’inno (alors on vous en parle)
  • Et pour finir avec une dent bleue



En six minutes, des origines aux applications


Tout vient de la paillasse (ou presque)


Fin de partie pour la croissance ?


La croissance Ă©conomique peut-elle ĂŞtre continue ? Depuis les dĂ©buts de la discipline, la question a divisĂ© et n’est toujours pas rĂ©solue.


La route sans fin

PĂ©chĂ© originel. En pleine rĂ©volution industrielle, le dĂ©saccord rĂ©gnait dĂ©jĂ  entre les Ă©conomistes de l’école classique. Si la plupart pensaient que l’économie devait converger vers un Ă©tat stationnaire, notamment John Stuart Mill, d’autres comme Jean-Baptiste Say suggĂ©raient l’idĂ©e tentante de croissance infinie basĂ©es sur des ressources “gratuites”, donc illimitĂ©es.

KeynĂ©sianisme. Les Ă©conomistes sont appelĂ©s en renfort durant la crise des annĂ©es 1930 (â–Ľ voir trombinoscope â–Ľ). C’est lĂ  que naĂ®t le concept moderne de produit intĂ©rieur brut (PIB), nouvelle mesure de la croissance. Mais ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale qu’elle s’impose dans les politiques publiques pour stabiliser une Ă©conomie “sur le fil du rasoir”.

Flower Power. L’idée que croissance et progrès sont intimement liés (▼ voir encadré ▼) se renforce durant les Trente Glorieuses. Dans les années 1970, une critique écologiste apparaît avec la prise de conscience des conséquences désastreuses de la croissance, mais ne prend pas parmi les économistes, du moins dans le courant majoritaire, l’école néoclassique.

Newton vs Clausius. Une poignĂ©e d’économistes regarde tout de mĂŞme du cĂ´tĂ© des sciences physiques : Si les modèles de croissance nĂ©oclassique se basent sur la rĂ©versibilitĂ© des processus, dĂ©coulant de la mĂ©canique de Newton, de nouvelles voix introduisent la notion d’irrĂ©versibilitĂ©, provenant elle de la thermodynamique et du concept d’entropie. En d’autres termes, on brĂ»le du pĂ©trole, mais on ne peut pas le “dĂ©brĂ»ler”.

Retour en grâce. Après avoir Ă©tĂ© dĂ©laissĂ©e, la recherche sur la croissance redevient active Ă  l’aube de la crise de 2007. Les Ă©tudes se focalisent aujourd’hui sur les liens entre la croissance et certains paramètres comme la dĂ©mographie (â–Ľ voir le chiffre â–Ľ). En parallèle des simulations, les Ă©conomistes sont de plus en plus incitĂ©s Ă  confronter leurs modèles aux donnĂ©es, s’appuyant sur des expĂ©riences grandeur nature de politiques Ă©conomiques, mĂ©thodes dĂ©veloppĂ©es par le dernier prix Nobel en date.

Controverse scientifique. GĂ©nĂ©ratrice d’emploi pour certains Ă©conomistes, cette “agitation Ă©conomique” qu’est la croissance ne reprĂ©sente rien pour d’autres – les hĂ©tĂ©rodoxes. La croissance ne dit en effet rien du bien-ĂŞtre humain ou de la santĂ© des Ă©cosystèmes. C’est pourquoi le besoin d’interdisciplinaritĂ© avec la sociologie, l’histoire, la physique ou la biologie est aujourd’hui revendiquĂ©.


Les dogmes de l’innovation  
Cela ne vous aura pas Ă©chappĂ©, l’innovation – qui annule et remplace le terme de progrès technique â€“ est promue par les politiques, notamment auprès de vous chercheurs. Pourquoi cette obsession ? Selon la chercheuse en Ă©conomie de l’innovation Marie Coris, c’est « parce qu’il semble acquis que l’innovation porte la dynamique du capitalisme », notamment depuis les travaux de Joseph Schumpeter. Ses enseignements « sont toujours Ă©clairants pour comprendre les cycles et les crises Ă©conomiques, pas forcĂ©ment pour orienter les politiques », explique-t-elle. Pour le biochimiste HervĂ© Philippe, c’est plus largement l’acceptation d’une croissance infinie de savoir qui est Ă  l’origine de notre modèle de sociĂ©tĂ© basĂ© sur une croissance Ă©conomique sans limite.


Un chiffre plutĂ´t qu’un long discours
 1,6% 
C’est la croissance moyenne de la production mondiale sur les trois derniers siècles. Si ce chiffre peut paraĂ®tre faible, il correspond Ă  un facteur multiplicatif de presque 120 sur 300 ans. Avec une population mondiale multipliĂ©e par 10 dans le mĂŞme temps, la croissance dĂ©mographique n’est plus aussi soutenue que sa jumelle Ă©conomique. Cause ou consĂ©quence ? DĂ©mĂŞler ces liens est un des grands dĂ©fis des Ă©conomistes spĂ©cialistes du sujet.


Croissance ou non ? Les grands noms
 Simon Kuznets  Inventeur du concept moderne de produit intĂ©rieur brut (PIB) Ă  la demande du Congrès amĂ©ricain dans les annĂ©es 1930. RetravaillĂ© par John Keynes, il a pour objectif de mesurer les effets de la Grande DĂ©pression sur l’Ă©conomie.
 Robert Solow  Prix Nobel en 1987 pour son modèle nĂ©oclassique de croissance Ă©conomique oĂą est mis en avant le rĂ´le du progrès technique. DĂ©veloppĂ© en 1956, le modèle de Solow restera dominant jusque dans les annĂ©es 1990.
 Nicholas Georgescu-Roegen  MathĂ©maticien et Ă©conomiste, il veut replacer l’économie sous l’Ă©gide des lois physiques et biologiques. ConsidĂ©rĂ© comme le père de l’économie Ă©cologiste dans les annĂ©es 1970, mĂŞme s’il n’a jamais parlĂ© de dĂ©croissance.
 Donella Meadows  Co-autrice du rapport Meadows pour le club de Rome en 1970, c’est la première Ă  pointer du doigt les consĂ©quences dĂ©sastreuses de la croissance Ă©conomique pour l’environnement et Ă  recommander une stabilisation de l’économie.
 


Quatre questions à Timothée Parrique
« La dĂ©croissance n’est pas la rĂ©cession »


L’Ă©conomiste TimothĂ©e Parrique a consacrĂ© sa thèse au concept de dĂ©croissance et Ă  l’Ă©laboration de scĂ©narios pour sa mise en application.


Qu’est-ce que la dĂ©croissance ?

La dĂ©croissance n’est pas l’inverse de la croissance, ce n’est pas la rĂ©cession ou la dĂ©pression qui se caractĂ©risent par un PIB nĂ©gatif. La dĂ©croissance est la rĂ©duction planifiĂ©e de la production et de consommation. C’est la rĂ©ponse la plus efficace Ă  la crise climatique : rĂ©duire autant que possible les activitĂ©s les plus polluantes et concentrer nos efforts pour verdir ce qui ne peut pas ĂŞtre rĂ©duit. Au lieu d’attendre un dĂ©couplage de la croissance et des pressions environnementales qui peine Ă  se matĂ©rialiser, soyons plus ambitieux et tâchons de rĂ©organiser l’économie afin qu’elle puisse fonctionner – et prospĂ©rer – sans croissance.

Quelles différences dans les modèles quand on étudie les scénarios de décroissance ?
En Ă©conomique Ă©cologique, nos modèles sont inspirĂ©s par les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen qui a Ă©tĂ© le premier Ă  repenser la science Ă©conomique Ă  partir des lois de la physique et de la biologie. Certains Ă©conomistes diront que l’énergie a peu d’importance car ce secteur ne reprĂ©sente que quelques points de PIB ; mais je vous mets au dĂ©fi d’imaginer ne serait-ce qu’une seule activitĂ© Ă©conomique qui pourrait fonctionner sans Ă©nergie (spoiler alert : il n’y en a aucune). L’économie Ă©cologique chamboule la hiĂ©rarchie des questions de recherche et amĂ©liore la puissance analytique des modèles Ă©conomiques pour permettre d’explorer des scĂ©narios beaucoup plus prĂ©cis. Pour Ă©tudier des scĂ©narios de dĂ©croissance, il faut revoir nos modèles pour y intĂ©grer les Ă©cosystèmes mais aussi des phĂ©nomènes sociaux comme la convivialitĂ©, les inĂ©galitĂ©s, et la qualitĂ© des institutions.

Par quels indicateurs pour remplacer la croissance ?
L’économie, ce n’est pas du Tetris ; arrêtons de penser qu’on peut gérer une économie moderne avec un seul bouton. Nous avons besoin d’un tableau de bord qui présente une diversité d’indicateurs économiques, sociaux, et environnementaux. Celui que la Nouvelle-Zélande a mis en place depuis 2019 contient 65 indicateurs à la fois sur le bien-être présent (coût du logement, sécurité, temps disponible, santé, pauvreté etc.) et le bien-être futur (gestion des déchets, espérance de vie, discrimination, investissement, valeur du patrimoine naturel, etc.). Il y a trente ans, les indicateurs n’existaient pas et il y avait très peu de données. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Le sujet de la décroissance est-il en train de devenir populaire ?
La pandĂ©mie a vu exploser l’intĂ©rĂŞt pour la dĂ©croissance. En 2016 quand j’ai dĂ©marrĂ© ma thèse, j’ai dĂ» convaincre mes directrices de thèse de travailler sur la dĂ©croissance, un sujet qui n’intĂ©ressait pas grand monde. Et aujourd’hui, un an après sa publication, mon manuscrit de thèse a Ă©tĂ© tĂ©lĂ©chargĂ© 45 000 fois et des Ă©diteurs m’ont contactĂ© pour publier un livre sur la dĂ©croissance ! C’est le rĂŞve de tout doctorant : que tout le monde s’intĂ©resse Ă  son sujet de recherche. Mais c’est aussi une lourde responsabilitĂ© ; il faut maintenant expliquer et dĂ©battre, mĂŞme si c’est difficile, surtout sur un sujet aussi controversĂ© que la dĂ©croissance. Quand on parle des problĂ©matiques liĂ©es Ă  l’urgence environnementale, cela ne suffit pas de crĂ©er de la connaissance, il faut aussi que les scientifiques interagissent directement avec les gouvernements, les entreprises, et le public en gĂ©nĂ©ral.


 Des infos en vrac  Le Global Innovation Index, calculĂ© par l’Organisation mondiale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, vient de sortir : la France est Ă  la onzième place //////////// Comment rĂ©ussir sa startup deeptech ? Une vidĂ©o en trois Ă©tapes (maturation, incubation, accĂ©lĂ©ration) par la SATT Linksium //////////// EnquĂŞte Inria-Harris sur la confiance des français dans le numĂ©rique : 69% pensent que les technologies du numĂ©rique sont davantage sources de progrès que de risques ////////////


Ils parlent d’inno (alors on vous en parle)



Et pour finir
—

Cela fait presque 25 ans que le Bluetooth existe. Et d’oĂą provient son nom ? Du roi scandinave Harald Ier, amateur de baies rouges ou porteur d’une mauvaise dentition… Merci Ă  Tech Trash pour le rappel.