🔶 Stockez ce CO2 (que je ne saurais voir)

10 mai 2021 /// Une innovation dĂ©cryptĂ©e 
Tiens bon
la barre

En 1979, Haroun Tazieff alertait déjà sur l’origine humaine du changement climatique : ces 20 milliards de tonnes de CO2 par an rejetées par l’homme (à l’époque) provoqueront selon lui un effet de serre.
Jacques-Yves Cousteau n’y croyait pas une seule seconde : les arbres suffiront bien Ă  absorber le CO2 ! Sauf que les effets dĂ©lĂ©tères de la dĂ©forestation se sont fait sentir dans l’intervalle.
Le cĂ©lèbre volcanologue allait mĂŞme plus loin : la fonte de la banquise entraĂ®nera la montĂ©e des ocĂ©ans et la submersion de nombreuses villes. Peu importe, le commandant Cousteau savait naviguer, n’est-ce pas !
Blague Ă  part, l’enjeu est aujourd’hui de taille : rester sous la barre des 2°C de rĂ©chauffement global et donc atteindre la neutralitĂ© carbone d’ici 2050. Le stockage de CO2 semble ĂŞtre un outil. Saurons-nous l’utiliser ?

Bonne lecture,
Lucile de TheMetaNews


Si vous n’avez que 30 secondes
  • Stockage de CO2 : retour aux origines
  • Un trombinoscope dĂ©carbonĂ©
  • Des infos en vrac sur l’inno’
  • L’analyse d’Isabelle Czernichowski-Lauriol, gĂ©ologue
  • Et pour finir de manière indĂ©lĂ©bile



Six minutes, des origines aux applications


Tout vient de la paillasse (ou presque)
Pourquoi le stockage de CO2 est dans l’air


Lutter contre le changement climatique est l’objectif premier du stockage du CO2, dĂ©veloppĂ© en Ă©troite collaboration entre le public et le privĂ©. 


Le pétrole sort, le CO2 rentre

Retour Ă  l’envoyeur. L’idĂ©e semble simple : puisque les gaz Ă  effet de serre, CO2 en tĂŞte, sont responsables du changement climatique, pourquoi ne pas les remettre d’oĂą ils viennent : dans le sol ? En effet, ils sont principalement rejetĂ©s lors de la combustion d’Ă©nergies fossiles : charbon, pĂ©trole, gaz naturel…

Ouvrez la cage. L’ancĂŞtre de ce qu’on appelle aujourd’hui le captage de carbone est un procĂ©dĂ© de nettoyage du gaz naturel – oĂą il est sĂ©parĂ© du CO2 – datant d’il y a presque un siècle. Sauf qu’à l’époque, le dioxyde de carbone isolĂ© Ă©tait ensuite relâchĂ© dans l’atmosphère. Le GIEC n’existait pas encore.

PĂ©trole un jour… C’est dans les annĂ©es 1970 qu’on a commencĂ© Ă  injecter du CO2 dans le sol… pour mieux en extraire le pĂ©trole ! ExpĂ©rimentĂ©e au Texas, sans aucune visĂ©e Ă©cologique, cette dĂ©marche a tout de mĂŞme permis de stocker des dizaines de millions de tonnes de CO2 mais aussi et surtout d’en dĂ©montrer la faisabilitĂ©.
 Un geste politique va marquer le passage Ă  l’action. 

Money is all. L’idée d’utiliser le stockage du CO2 pour lutter contre le changement climatique émerge parmi les scientifiques à la fin des années 1980 (▼ voir trombi ▼). Mais c’est un geste politique qui va marquer le passage à l’action : l’introduction de la taxe carbone en 1991, accompagné d’investissements massifs du gouvernement norvégien.

RĂ©action. Les compagnies pĂ©trolières comprennent alors qu’il faut agir. Vite. Total mène un projet pilote Ă  Lacq dans les PyrĂ©nĂ©es entre 1990 et 1993. Une chaĂ®ne complète de captage Ă  la sortie d’une chaudière Ă  gaz, suivi du transport par pipeline et du stockage dans un gisement Ă©puisĂ©, est rĂ©alisĂ©e pour la modique somme de 60 millions d’euros.

Bien commun. Au sein d’un grand projet europĂ©en, des chercheurs en gĂ©osciences (â–Ľ dont notre interviewĂ©e â–Ľ) ont examinĂ© entre 1993 et 1995 si le stockage du carbone est envisageable en termes de sĂ©curitĂ©, mais aussi rentable. La conclusion sera positive, mĂŞme si les coĂ»ts restent Ă©levĂ©s, notamment pour la partie captage.

Vingt mille lieux. C’est ainsi qu’en 1996 dĂ©marre Sleipner, le premier projet de stockage de CO2 Ă  grande Ă©chelle. Sous la mer du Nord, il ne s’agit pas d’un gisement de pĂ©trole mais de ce que les gĂ©ologues appellent des “aquifères salins profonds” – une sorte de rĂ©servoir naturel. La compagnie pĂ©trolière nationale norvĂ©gienne, hier Statoil, aujourd’hui Equinor, pilote toujours le projet.
  Ce qu’on sait aujourd’hui.  Le stockage est bien maĂ®trisĂ© et de nombreux projets sont Ă  l’Ĺ“uvre : le captage de fumĂ©es industrielles Ă  Dunkerque pour un stockage en mer du Nord ou le stockage en Islande après captage du CO2 dans l’air par la startup suisse Climeworks.
  Ce qu’il reste Ă  faire.  Les principaux dĂ©fis sont sociĂ©taux – convaincre que les risques, notamment de fuite, sont faibles – et financiers. Il faut en effet en diminuer les coĂ»ts, en particulier sur les Ă©tapes de captage et de surveillance des sites.


Sauver la planète chez Total ?
Philip Llewellyn a quittĂ© son poste au CNRS il y a quelques mois pour le gĂ©ant du pĂ©trole afin « d’agir face au changement climatique ». Total a effet investi 100 millions de dollars, soit 10% de leur budget de R&D, dans le stockage de CO2. Les principaux dĂ©fis se situent pour son Ă©quipe au niveau de la surveillance des sites de stockage, que la sismicitĂ© naturelle des PyrĂ©nĂ©es permet de tester Ă  Lacq. Il s’agit Ă  la fois de « dĂ©velopper des capteurs moins onĂ©reux pour les installer en rĂ©seau sur des kilomètres autour du point d’injection » mais aussi « des outils de simulation pour prĂ©voir le devenir du CO2 en sous-sol », en collaboration avec des universitĂ©s amĂ©ricaines, dont Stanford.


Un chiffre plutĂ´t qu’un long discours
 5 milliards  
Au niveau mondial, il faudrait stocker 5 milliards de tonnes de CO2 par an pour rester sous la barre des 2°C de rĂ©chauffement climatique, soit une multiplication par un facteur 100 de l’activitĂ© actuelle. Aujourd’hui, une vingtaine de sites dans le monde permettent le stockage de 40 millions de tonnes de CO2 annuellement. Si les rĂ©servoirs ne manquent pas sous terre, les problĂ©matiques financières ralentissent le dĂ©veloppement des infrastructures (â–Ľ voir notre interview â–Ľ).


Le trombi du stockage de CO2

 Erik Lindeberg 
 Pionnier du stockage de carbone, ce scientifique affiliĂ© au SINTEF (organisme de recherche norvĂ©gien privĂ©) propose en 1986 le projet qui sera financĂ© par Statoil en mer du Nord.

Jonathan Pearce 
Au sein du British Geological Survey, il investigue dès 1993 les risques liés aux fuites de CO2, qui restent faibles, et recommande des méthodes de surveillance

Samuela Vercelli 
Docteure en Ă©nergie et environnement, cette chercheuse de l’universitĂ© de Rome adopte une approche multidisciplinaire afin d’Ă©tudier la perception du public. 


Quelques questions Ă  Isabelle Czernichowski-Lauriol
« Le stockage du CO2 est un bien commun »


Isabelle Czernichowski-Lauriol coordonne les recherches au sein du Bureau de recherches géologiques et minières.


Un chapitre de Nos Futurs (dont on parlait en juillet)
a été écrit de sa main

Pourquoi parle-t-on peu du stockage de CO2 en France ?
Contrairement à d’autres pays, notre électricité est principalement nucléaire, donc décarbonée. Ainsi, pendant longtemps, on voyait peut-être moins l’intérêt du stockage de carbone. Par ailleurs pour réduire ses émissions de CO2, la France a concentré ses efforts sur l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables mais aussi sur les puits naturels de carbone (sols et forêts). Or on se rend compte aujourd’hui que cela ne suffira pas et que la France est en retard sur ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour de nombreuses industries, il restera toujours des émissions de CO2 incompressibles pour lesquelles le puits de carbone géologique sera une solution.

Quel est le plus grand défi pour passer à plus grande échelle ?
Avoir la volonté de le faire ! C’est une solution d’atténuation du changement climatique qui est encore très peu connue et très peu mise en avant. Mais c’est en train de changer avec les nouvelles ambitions de neutralité carbone. En France, la stratégie d’accélération de la décarbonation de l’industrie – à paraître en juin – intégrera le captage, stockage et valorisation du CO2.

Comment encourager financièrement le développement de la filière ?
C’est une vraie question. On peut s’inspirer de ce qu’il se passe aux Etats-Unis et en Europe du Nord. Il faut trouver les bonnes solutions financières permettant aux technologies innovantes d’émerger. Une grande confĂ©rence internationale aura lieu Ă  Paris le 2 et 3 juin – la Carbon Pricing Conference – qui discutera des mĂ©canismes financiers, des technologies et des politiques publiques pour atteindre la neutralitĂ© carbone en 2050. Une session sera dĂ©diĂ©e au financement des solutions de stockage et d’utilisation du CO2.

© BRGM – Alexandre Paumard


Découvrez cet entretien en intégralité

 Des infos en vrac  Quels dĂ©fis pour l’industrie ces prochaines annĂ©es ? La Commission europĂ©enne publie un rapport //////////// Le 26 avril avait lieu la journĂ©e mondiale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle ; l’INPI se fĂ©licite au passage de l’augmentation du nombre de marques et de demandes de brevets dĂ©posĂ©es en ce premier trimestre 2021 //////////// Les Grands Prix de l’AcadĂ©mie des technologies rĂ©compenseront des start-up dans la transition Ă©cologique. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 28 juin ////////////


Ils parlent d’inno (alors on vous en parle)



Et pour finir
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Si le stockage de carbone n’est pas encore gĂ©nĂ©ralisĂ©, pourquoi ne pas dĂ©jĂ  le rĂ©utiliser ? Un pot d’échappement qui transforme les Ă©missions en encre de chine, c’était le projet de la start-up indienne Air-ink. Outil des grapheurs Ă  sa sortie en 2016, la technologie sert maintenant Ă  imprimer des t-shirts. CrĂ©dit photo : William Murphy