La Cour des comptes a rĂ©cemment publiĂ© une note sur les universitĂ©s. Disparition du statut de chercheurs, transformation du CNRS… ses prĂ©conisations sont abrasives, les partagez-vous ?
La Cour fait une somme de constatations que nous pouvons, pour certaines, partager [voilĂ la fameuse note, NDLR]. Je pense comme elle que l’autonomie des universitĂ©s est au milieu du guĂ©, qu’elle est mĂŞme en panne, tout comme je souscris Ă ce qu’elle a pu Ă©crire sur les CHU il y a deux ans [si vous avez cinq minutes, NDLR]. L’universitĂ© française n’est pas suffisamment autonome et cette notion est mal comprise : nous sommes dans le peloton de queue au niveau europĂ©en, que ce soit en termes de ressources humaines ou d’autonomie pĂ©dagogique.
« Les universités sont en proie à une administration très centralisée, très jacobine. »
Laisser les universités décider « en autonomie » des avancements de carrière, c’est mettre de côté le rôle du Conseil national des universités…
Le CNU doit aider les universitĂ©s Ă prendre les bonnes dĂ©cisions. Il faut Ă©viter les disparitĂ©s criantes mais chaque Ă©tablissement doit pouvoir dĂ©finir et travailler son ancrage territorial, dĂ©finir et travailler ses propres objectifs. Il est compliquĂ© pour un prĂ©sident d’universitĂ© d’avoir la responsabilitĂ© financière et salariale des enseignants chercheurs sans qu’elle soit assortie d’un pouvoir de dĂ©cision. La masse salariale a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e aux universitĂ©s au moment de la LRU [portĂ©e par ValĂ©rie PĂ©cresse en 2007, NDLR], sans les moyens de la piloter. En consĂ©quence, les universitĂ©s se sont diffĂ©renciĂ©es, avec un bilan plutĂ´t favorable malgrĂ© des difficultĂ©s. Les universitĂ©s sont en proie Ă une administration très centralisĂ©e, très jacobine. Il faut changer de logiciel, et l’Etat a des difficultĂ©s Ă admettre qu’un de ses opĂ©rateurs a besoin d’être autonome pour ĂŞtre efficace. Par exemple, la direction gĂ©nĂ©rale des ressources humaines du Ministère s’occupe Ă la fois — et un peu de la mĂŞme façon —, de l’Education nationale, toujours très centralisĂ©e, et des universitĂ©s autonomes. Cette asymĂ©trie pose problème dans de très nombreux cas. C’est devenu flagrant dans la dĂ©clinaison de la Loi de programmation de la recherche et des dĂ©crets qui paraissent aujourd’hui : le cas du repyramidage [une rĂ©partition des postes, NDLR] des maĂ®tres de confĂ©rence, notamment, est instructif, avec, au dĂ©part, un très fort dirigisme dans sa conception de la part de l’Etat.Â
Est-ce que plus d’autonomie ne revient pas à plus d’inégalités entre les universités ? Les Idex en sont un exemple flagrant…
Les Idex ont eu des effets positifs indĂ©niables, au-delĂ des financements ; ces projets ont suscitĂ© des questions que les universitĂ©s ne se posaient pas auparavant, comme celle de leur stratĂ©gie. Ces rĂ©organisations ont Ă©tĂ© confrontĂ©es Ă l’avis d’un jury international indĂ©pendant, qui Ă l’époque ne rendait compte qu’au Premier ministre. Je dis Ă l’époque, parce que la crĂ©ation du SGPI [SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour l’investissement, nouvelle dĂ©nomination depuis 2017 du commissaire gĂ©nĂ©ral Ă l’investissement, NDLR] a redistribuĂ© les rĂ´les avec l’intervention possible des diffĂ©rents ministères, ce qui peut parfois compliquer les choses.
C’est-Ă -dire ?
MĂŞme les universitĂ©s qui pensaient avoir des projets qui tenaient la route ont Ă©tĂ© bousculĂ©es. Certaines ont rĂ©ussi, d’autres n’ont pas fonctionnĂ© mais il y a eu grâce aux IdEx, Isite et autres projets du PIA [de grands plans d’investissement gĂ©rĂ©s par le SGPI Ă Matignon, NDLR] une forme de prise de conscience de la nĂ©cessaire transformation de nos Ă©tablissements. Il ne faut pas faire de raccourci entre la taille, les IdEx et les moyens. Sur le plan des financements, il faut rappeler que les moyens du PIA sont extra-budgĂ©taires et doivent avoir un effet levier. Ils ne compensent donc pas les inĂ©galitĂ©s qui existent entre universitĂ©s et qui concernent beaucoup le niveau d’encadrement : regardez l’UniversitĂ© de Strasbourg, qui est un Idex, et est pourtant une universitĂ© mal encadrĂ©e malgrĂ© ses prix Nobel. Par ailleurs, je crois que la diffĂ©renciation est aujourd’hui assumĂ©e par les universitĂ©s. Quand sur un mĂŞme site cohabitaient trois ou quatre ou cinq Ă©tablissements et que ceux-ci se sont rĂ©unis pour mettre en place une offre, une image, une politique commune, c’est vertueux de mon point de vue et cela n’empĂŞche pas l’excellence de se dĂ©velopper dans des universitĂ©s de plus petite taille. En Aquitaine, les universitĂ©s de La Rochelle et de Pau ont des trajectoires ambitieuses dans les sciences du littoral ou les gĂ©osciences.Â
« La très bonne place de Saclay est un motif de fierté pour tous les établissements »
Assumer qu’il existe dix universités excellentes et pas une de plus est une inégalité en soi…
La commande date du rapport Attali [dont un certain Emmanuel Macron Ă©tait le rapporteur adjoint, NDLR] qui prĂ©conisait l’émergence de dix grands pĂ´les universitaires : tous les gouvernements qui se sont succĂ©dĂ©s ont suivi cette voie. Cela a pu crĂ©er un sentiment d’inĂ©galitĂ© voire d’injustice — certains Ă©tant labellisĂ©s IdEx, d’autres non — mais il s’agit bien de financements octroyĂ©s sur la base d’un projet, avec des obligations, un cahier des charges dans la transformation…. Ces projets sont lĂ©gitimes et le pays en a besoin mais ils s’ajoutent Ă une situation qui, je vous rejoins, est Ă la base inĂ©galitaire et qui souffre de l’absence d’un vĂ©ritable système d’allocation de moyens. Par ailleurs, il y a de grands sites universitaires comme Lyon et Toulouse qui n’ont pas encore rĂ©ussi Ă se structurer sur ces principes mais qui en ont le potentiel : la France ne peut pas s’en passer, Idex ou pas. Nous vivons dans un monde extrĂŞmement compĂ©titif oĂą la très bonne place de Saclay [13e au dernier classement de Shanghai, NDLR] est un motif de fiertĂ© pour tous les Ă©tablissements. Saclay est notre tĂŞte de pont mais je suis Ă©galement fier de Montpellier, en pointe sur l’environnement, par exemple. Quant Ă savoir s’il en faut dix ou plus, l’Etat dĂ©cidera, ce n’est pas de notre ressort et cela n’empĂŞche pas d’avoir une politique d’excellence distribuĂ©e, comme nous l’avons suggĂ©rĂ© au niveau europĂ©en.
Le classement de Shanghai n’explique-t-il pas à lui seul ces réformes ?
Tout ne rĂ©sume pas Ă Shanghai : d’ailleurs, certains projets très ambitieux n’y apparaĂ®tront pas. Â
Une publi, une affiliation, n’est-ce pas le but ultime ?
La question ne se pose pas de cette manière. Ceci Ă©tant dit, pour des raisons d’organisation et de lisibilitĂ©, effectivement, un rapprochement beaucoup plus fort entre les organismes et les universitĂ©s est indispensable. La LPR est de ce point de vue une occasion ratĂ©e. Quand on parle d’organismes de recherche, il y en a quantitĂ©, souvent de petite taille, très spĂ©cialisĂ©s Ă la diffĂ©rence du CNRS. Ce morcellement des acteurs, qui menait Ă une perte de visibilitĂ© et d’efficacitĂ©, a Ă©tĂ© en partie rĂ©solu par des fusions entre organismes ou des rapprochements avec les universitĂ©s. Mais la mise en concurrence des universitĂ©s en tant qu’opĂ©rateurs de recherche avec certains de ces organismes entraĂ®ne forcĂ©ment des tĂ©lescopages. La multiplication des noms dĂ©croĂ®t d’autant l’impact d’une publication mais le problème est plus profond que l’exemple que vous me donnez. Quand un pays a une ambition scientifique, il faut optimiser son système : sur un grand site universitaire, pourquoi avoir quatre directions de recherche en parallèle ? Qu’est-ce qui justifie que dans les unitĂ©s mixtes chacun se batte pour sa part de propriĂ©tĂ© intellectuelle, sachant pertinemment que notre rĂ´le premier n’est pas de valoriser les inventions ? Â
« Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont insuffisamment reconnus et insuffisamment payés »
Aux universités la tutelle des chercheurs, aux organismes la mission de leur confier certains moyens financiers ou matériels, comme le préconise la Cour des comptes. C’est votre souhait ?
La question ne concerne pas que les ressources humaines, elle est plus vaste. Je pense effectivement que certains organismes pourraient plus jouer ce rôle d’agences de moyens, comme c’est souvent le cas d’ailleurs. La réflexion sur le rapprochement entre l’université et les organismes de recherche doit se faire, sans quoi nous perpétuerons une forme de compétition et une efficience médiocre.
On a pu entendre Emmanuel Macron dire que la loi Recherche était un “début de réparation”, à quand la suite ?
En toute franchise, c’est la première fois que j’entends qu’il faut davantage financer l’ESR dans la bouche d’un prĂ©sident de la RĂ©publique. Mais la Loi de programmation de la recherche ne nous a pas permis de rattraper notre retard, la France reste moins ambitieuse que certains pays d’Europe dont l’Allemagne. La LPR constitue un apport financier rĂ©el, dont nous nous fĂ©licitons, les effets de la recapitalisation de l’Agence nationale de la recherche se ressentent dĂ©jĂ . Mais, tandis que les financements par projet augmentent, il y a un dĂ©ficit de financement rĂ©current. La LPR ne fait que corriger certains retards, en particulier au niveau des salaires. Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont dans notre pays insuffisamment reconnus et insuffisamment payĂ©s ; tout comme l’universitĂ©, ils n’occupent pas la place qu’ils devraient occuper dans un pays scientifiquement avancĂ© comme le nĂ´tre. Il nous faut mieux dĂ©fendre et dĂ©velopper notre potentiel humain, dès le doctorat.Â
Portrait © Laurent SimonÂ
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