đź”· Autopsie d'un discours




19 janvier 2022 | La recherche et sa politique
Suspense
soutenable

Hitchcockien. On ne sait pas encore qui succĂ©dera Ă  Antoine Petit (Ă  part lui-mĂŞme) mais sa lettre de mission pour les cinq ans Ă  venir a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© esquissĂ©e le 13 janvier et se rĂ©sume en deux mots : les universitĂ©s d’abord.
Stupeur et tremblements. Le quasi candidat Emmanuel Macron l’a dĂ©crit dans un discours — dont les enjeux dĂ©passaient le CNRS — devant les prĂ©sidents d’universitĂ©. Pour en parler mieux, nous testons un nouveau format. 

Cliquez ici et vous retrouverez une version annotĂ©e par mes soins du discours du PR. Version que vous pourrez Ă©galement annoter pour lancer la conversation (n’oubliez pas de signer vos coms).

Keep calm & science hard,
Laurent de TheMetaNews


Au programme de ce numéro
  • Un Ă©dito pas comme les autres ▲
  • Des infos en passant (mais d’importance)
  • Un grand entretien avec Manuel Tunon de Lara (ex CPU)
  • Cette semaine au JO, une plongĂ©e en section disciplinaire
  • Ils mettent Ă  jour leur carte de visite
  • Et pour finir…



A partir d’ici 8 minutes en autonomie


 Des infos en peu de mots  On connait les 397 laurĂ©ats des Starting grant de l’European research council : voici toutes les statistiques, il y a 44 Français et on est troisième derrière les Italiens et les Allemands (comme au foot) ////////// A l’agenda Ă©lysĂ©en (et celui de FrĂ©dĂ©rique Vidal) le 11 janvier dernier : la remise du rapport « Les lumières Ă  l’ère numĂ©rique » par leurs auteurs, dont le sociologue GĂ©rald Bronner (le voici) ////////// Les auditions de la mission sĂ©natoriale baptisĂ©e « Excellence de la recherche/innovation, pĂ©nurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » continuent et vous pouvez les suivre ici pour chercher l’erreur vous aussi ////////// 


Un entretien au long cours avec … Manuel Tunon de Lara


« Tout ne se résume pas à Shanghaï »


Le prĂ©sident de feu la CPU revient sur l’autonomie et les inĂ©galitĂ©s du système.


Si vous avez ratĂ© le dĂ©but. Le 13 janvier dernier, la ConfĂ©rence des prĂ©sidents d’universitĂ© — 50 ans cette annĂ©e — a cĂ©dĂ© la place Ă  France UniversitĂ©s. Trois mois avant la prĂ©sidentielle, l’occasion pour les universitĂ©s de plaider leur cause. En toile de fond : la rĂ©partition des rĂ´les avec les organismes de recherche, CNRS en tĂŞte. Toujours abordĂ© de manière sybilline (ou plus clairement en off) jusqu’au discours d’Emmanuel Macron, il s’agit de l’enjeu le plus structurant de la recherche pour les annĂ©es Ă  venir. France UniversitĂ©s est allĂ©e un cran plus loin en proposant que les universitĂ©s aient la « dĂ©lĂ©gation pleine et entière de gestion de toutes les UMR » (voir le reste ses propositions). PrĂ©cision importante, cette interview date d’avant le 13 dĂ©cembre et le discours d’Emmanuel Macron.


La Cour des comptes a rĂ©cemment publiĂ© une note sur les universitĂ©s. Disparition du statut de chercheurs, transformation du CNRS… ses prĂ©conisations sont abrasives, les partagez-vous ?
La Cour fait une somme de constatations que nous pouvons, pour certaines, partager [voilĂ  la fameuse note, NDLR]. Je pense comme elle que l’autonomie des universitĂ©s est au milieu du guĂ©, qu’elle est mĂŞme en panne, tout comme je souscris Ă  ce qu’elle a pu Ă©crire sur les CHU il y a deux ans [si vous avez cinq minutes, NDLR]. L’universitĂ© française n’est pas suffisamment autonome et cette notion est mal comprise : nous sommes dans le peloton de queue au niveau europĂ©en, que ce soit en termes de ressources humaines ou d’autonomie pĂ©dagogique.

« Les universités sont en proie à une administration très centralisée, très jacobine. »

Laisser les universités décider « en autonomie » des avancements de carrière, c’est mettre de côté le rôle du Conseil national des universités…
Le CNU doit aider les universités à prendre les bonnes décisions. Il faut éviter les disparités criantes mais chaque établissement doit pouvoir définir et travailler son ancrage territorial, définir et travailler ses propres objectifs. Il est compliqué pour un président d’université d’avoir la responsabilité financière et salariale des enseignants chercheurs sans qu’elle soit assortie d’un pouvoir de décision. La masse salariale a été transférée aux universités au moment de la LRU [portée par Valérie Pécresse en 2007, NDLR], sans les moyens de la piloter. En conséquence, les universités se sont différenciées, avec un bilan plutôt favorable malgré des difficultés. Les universités sont en proie à une administration très centralisée, très jacobine. Il faut changer de logiciel, et l’Etat a des difficultés à admettre qu’un de ses opérateurs a besoin d’être autonome pour être efficace. Par exemple, la direction générale des ressources humaines du Ministère s’occupe à la fois — et un peu de la même façon —, de l’Education nationale, toujours très centralisée, et des universités autonomes. Cette asymétrie pose problème dans de très nombreux cas. C’est devenu flagrant dans la déclinaison de la Loi de programmation de la recherche et des décrets qui paraissent aujourd’hui : le cas du repyramidage [une répartition des postes, NDLR] des maîtres de conférence, notamment, est instructif, avec, au départ, un très fort dirigisme dans sa conception de la part de l’Etat. 

Est-ce que plus d’autonomie ne revient pas à plus d’inégalités entre les universités ? Les Idex en sont un exemple flagrant…
Les Idex ont eu des effets positifs indĂ©niables, au-delĂ  des financements ; ces projets ont suscitĂ© des questions que les universitĂ©s ne se posaient pas auparavant, comme celle de leur stratĂ©gie. Ces rĂ©organisations ont Ă©tĂ© confrontĂ©es Ă  l’avis d’un jury international indĂ©pendant, qui Ă  l’époque ne rendait compte qu’au Premier ministre. Je dis Ă  l’époque, parce que la crĂ©ation du SGPI [SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour l’investissement, nouvelle dĂ©nomination depuis 2017 du commissaire gĂ©nĂ©ral Ă  l’investissement, NDLR] a redistribuĂ© les rĂ´les avec l’intervention possible des diffĂ©rents ministères, ce qui peut parfois compliquer les choses.

C’est-Ă -dire ?
MĂŞme les universitĂ©s qui pensaient avoir des projets qui tenaient la route ont Ă©tĂ© bousculĂ©es. Certaines ont rĂ©ussi, d’autres n’ont pas fonctionnĂ© mais il y a eu grâce aux IdEx, Isite et autres projets du PIA [de grands plans d’investissement gĂ©rĂ©s par le SGPI Ă  Matignon, NDLR] une forme de prise de conscience de la nĂ©cessaire transformation de nos Ă©tablissements. Il ne faut pas faire de raccourci entre la taille, les IdEx et les moyens. Sur le plan des financements, il faut rappeler que les moyens du PIA sont extra-budgĂ©taires et doivent avoir un effet levier. Ils ne compensent donc pas les inĂ©galitĂ©s qui existent entre universitĂ©s et qui concernent beaucoup le niveau d’encadrement : regardez l’UniversitĂ© de Strasbourg, qui est un Idex, et est pourtant une universitĂ© mal encadrĂ©e malgrĂ© ses prix Nobel. Par ailleurs, je crois que la diffĂ©renciation est aujourd’hui assumĂ©e par les universitĂ©s. Quand sur un mĂŞme site cohabitaient trois ou quatre ou cinq Ă©tablissements et que ceux-ci se sont rĂ©unis pour mettre en place une offre, une image, une politique commune, c’est vertueux de mon point de vue et cela n’empĂŞche pas l’excellence de se dĂ©velopper dans des universitĂ©s de plus petite taille. En Aquitaine, les universitĂ©s de La Rochelle et de Pau ont des trajectoires ambitieuses dans les sciences du littoral ou les gĂ©osciences. 

« La très bonne place de Saclay est un motif de fierté pour tous les établissements »

Assumer qu’il existe dix universités excellentes et pas une de plus est une inégalité en soi…
La commande date du rapport Attali [dont un certain Emmanuel Macron Ă©tait le rapporteur adjoint, NDLR] qui prĂ©conisait l’émergence de dix grands pĂ´les universitaires : tous les gouvernements qui se sont succĂ©dĂ©s ont suivi cette voie. Cela a pu crĂ©er un sentiment d’inĂ©galitĂ© voire d’injustice — certains Ă©tant labellisĂ©s IdEx, d’autres non — mais il s’agit bien de financements octroyĂ©s sur la base d’un projet, avec des obligations, un cahier des charges dans la transformation…. Ces projets sont lĂ©gitimes et le pays en a besoin mais ils s’ajoutent Ă  une situation qui, je vous rejoins, est Ă  la base inĂ©galitaire et qui souffre de l’absence d’un vĂ©ritable système d’allocation de moyens. Par ailleurs, il y a de grands sites universitaires comme Lyon et Toulouse qui n’ont pas encore rĂ©ussi Ă  se structurer sur ces principes mais qui en ont le potentiel : la France ne peut pas s’en passer, Idex ou pas. Nous vivons dans un monde extrĂŞmement compĂ©titif oĂą la très bonne place de Saclay [13e au dernier classement de Shanghai, NDLR] est un motif de fiertĂ© pour tous les Ă©tablissements. Saclay est notre tĂŞte de pont mais je suis Ă©galement fier de Montpellier, en pointe sur l’environnement, par exemple. Quant Ă  savoir s’il en faut dix ou plus, l’Etat dĂ©cidera, ce n’est pas de notre ressort et cela n’empĂŞche pas d’avoir une politique d’excellence distribuĂ©e, comme nous l’avons suggĂ©rĂ© au niveau europĂ©en.

Le classement de Shanghai n’explique-t-il pas à lui seul ces réformes ?
Tout ne résume pas à Shanghai : d’ailleurs, certains projets très ambitieux n’y apparaîtront pas.  

Une publi, une affiliation, n’est-ce pas le but ultime ?
La question ne se pose pas de cette manière. Ceci Ă©tant dit, pour des raisons d’organisation et de lisibilitĂ©, effectivement, un rapprochement beaucoup plus fort entre les organismes et les universitĂ©s est indispensable. La LPR est de ce point de vue une occasion ratĂ©e. Quand on parle d’organismes de recherche, il y en a quantitĂ©, souvent de petite taille, très spĂ©cialisĂ©s Ă  la diffĂ©rence du CNRS. Ce morcellement des acteurs, qui menait Ă  une perte de visibilitĂ© et d’efficacitĂ©, a Ă©tĂ© en partie rĂ©solu par des fusions entre organismes ou des rapprochements avec les universitĂ©s. Mais la mise en concurrence des universitĂ©s en tant qu’opĂ©rateurs de recherche avec certains de ces organismes entraĂ®ne forcĂ©ment des tĂ©lescopages. La multiplication des noms dĂ©croĂ®t d’autant l’impact d’une publication mais le problème est plus profond que l’exemple que vous me donnez. Quand un pays a une ambition scientifique, il faut optimiser son système : sur un grand site universitaire, pourquoi avoir quatre directions de recherche en parallèle ? Qu’est-ce qui justifie que dans les unitĂ©s mixtes chacun se batte pour sa part de propriĂ©tĂ© intellectuelle, sachant pertinemment que notre rĂ´le premier n’est pas de valoriser les inventions ?  

« Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont  insuffisamment reconnus et insuffisamment payés »

Aux universités la tutelle des chercheurs, aux organismes la mission de leur confier certains moyens financiers ou matériels, comme le préconise la Cour des comptes. C’est votre souhait ?
La question ne concerne pas que les ressources humaines, elle est plus vaste. Je pense effectivement que certains organismes pourraient plus jouer ce rôle d’agences de moyens, comme c’est souvent le cas d’ailleurs. La réflexion sur le rapprochement entre l’université et les organismes de recherche doit se faire, sans quoi nous perpétuerons une forme de compétition et une efficience médiocre.

On a pu entendre Emmanuel Macron dire que la loi Recherche était un “début de réparation”, à quand la suite ?
En toute franchise, c’est la première fois que j’entends qu’il faut davantage financer l’ESR dans la bouche d’un prĂ©sident de la RĂ©publique. Mais la Loi de programmation de la recherche ne nous a pas permis de rattraper notre retard, la France reste moins ambitieuse que certains pays d’Europe dont l’Allemagne. La LPR constitue un apport financier rĂ©el, dont nous nous fĂ©licitons, les effets de la recapitalisation de l’Agence nationale de la recherche se ressentent dĂ©jĂ . Mais, tandis que les financements par projet augmentent, il y a un dĂ©ficit de financement rĂ©current. La LPR ne fait que corriger certains retards, en particulier au niveau des salaires. Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont dans notre pays insuffisamment reconnus et insuffisamment payĂ©s ; tout comme l’universitĂ©, ils n’occupent pas la place qu’ils devraient occuper dans un pays scientifiquement avancĂ© comme le nĂ´tre. Il nous faut mieux dĂ©fendre et dĂ©velopper notre potentiel humain, dès le doctorat. 

Portrait © Laurent Simon 


 Le Journal officiel au pas de course  Un petit tour du cĂ´tĂ© de la section disciplinaire du Cneser : l’affaire de l’Insa Centre-Val de Loire (celle-ci) sera dĂ©paysĂ©e Ă  l’UniversitĂ© de Nantes, mais Ă©galement des exclusions pour fraude aux examens, plagiat de mĂ©moire ou mĂŞme violence Ă  l’encontre d’Ă©tudiants et d’enseignants voire chantage envers une doyenne (les cas anonymisĂ©s sont dĂ©crits ici) /////// OMG, la parcelle B1292 d’une superficie de de 5210 m2 situĂ©e lieu-dit la goutte d’or et le clos Fle Ă  Cuffies (Aisne) est dĂ©saffectĂ©e du service de l’enseignement supĂ©rieur /////// 


 Ils refont leur carte de visite  Sont dĂ©clarĂ©s vacants les postes de dĂ©lĂ©guĂ© rĂ©gional acadĂ©mique (DGRI) adjoint Ă  la recherche et Ă  l’innovation pour la rĂ©gion Grand Est, ainsi que celui de DGRI pour les Hauts-de-France /////// Lise Fechner est nommĂ©e membre du conseil d’administration du MusĂ©um national d’histoire naturelle /////// Jean-Marie Arrighi est nommĂ© mĂ©diateur acadĂ©mique de l’acadĂ©mie de Corse : pour les autres acadĂ©mies, c’est par ici /////// StĂ©phane Le Ray est nommé secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’acadĂ©mie d’OrlĂ©ans-Tours /////// Marine Lamotte d’Incamps est nommĂ©e secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de l’acadĂ©mie de Rennes /////// Yann Chamaillard est nommĂ© directeur de l’Institut national des sciences appliquĂ©es Centre-Val de Loire en remplacement de Nicolas Gascoin, accusĂ© de harcèlement (voir Le JO au pas de course) /////// CĂ©cile Vallières est nommĂ©e directrice de l’École europĂ©enne de chimie, polymères et matĂ©riaux de l’universitĂ© de Strasbourg /////// Pascal Coupey est nommĂ© dĂ©lĂ©guĂ© territorial Ă  la recherche et Ă  la technologie pour la collectivitĂ© de Nouvelle-CalĂ©donie et des Ă®les Wallis et Futuna /////// Les fonctions de directeur de l’École nationale supĂ©rieure d’informatique et de mathĂ©matiques appliquĂ©es de Grenoble sont vacantes Ă  compter du 22 juin 2022 /////// Pierre-Olivier Gourinchas va devenir chef Ă©conomiste et directeur des Ă©tudes du FMI, d’après La Tribune /////// Tiens, des nominations au Cneser pour finir /////// On connait les membres des commissions interdisciplinaires du ComitĂ© national de la recherche scientifique (CoNRS) /////// 


Votre revue de presse express


  • Un Ĺ“il en coulisses. Le site ArrĂŞts sur image s’est procurĂ© les dĂ©tails du plan de communication d’Inria Ă  191 000 euros (no spoiler, c’est le titre de l’article). Le dit plan s’attire les critiques des chercheurs interrogĂ©s en interne. Si vous voulez tout savoir, Havas nous a contactĂ© pour interviewer son PDG Bruno Sportisse, il y a deux mois. On a rĂ©pondu « pourquoi pas »… Plus de nouvelles depuis.
  • Le feu au lac. Les chercheurs et leurs collaborateurs de l’UniversitĂ© de Genève ne se sentent pas très bien dans leur travail, relèvent Ă  la fois le quotidien 20mn Genève et la RadiotĂ©lĂ©vision suisse (RTS). L’herbe est-elle verte quelque part ?
  • Big brother. Le Monde dĂ©crit comment les grands Ă©diteurs scientifiques, notamment Elsevier, surveillent l’activitĂ© Ă©lectronique des chercheurs qui publient. Nous y reviendrons certainement.


Et pour finir

—
Et voici une arbre répertoriant tous les organismes bioluminescents des règnes animal et végétal (sans raison particulière, on trouvait ça beau).