🔷 Des inégalités « à la française »




01 décembre 2021 | La recherche et sa politique
Un accroc
Ă  la Netiquette

Anecdote. J’ai assistĂ© il y a peu Ă  une soutenance de thèse fort intĂ©ressante : celle d’Audrey Harroche, doctorante (et maintenant docteure) au sein du Centre de sociologie des organisations de Sciences po.
Boulette. Le sujet de cette thèse, vous le dĂ©couvrirez en lisant ce numĂ©ro, puisque l’intĂ©ressĂ©e y est interviewĂ©e. Le but de ce propos liminaire est ailleurs (et beaucoup plus bĂ©nin). 

Discussion. La soutenance se dĂ©roulait Ă  distance (merci le Covid) et, n’y tenant plus, j’ai Ă  un moment donnĂ© commentĂ© un point du dĂ©veloppement d’Audrey dans le chat de l’outil de visioconfĂ©rence. 
Pan sur le bec. J’ai Ă©tĂ© dans la minute rappelĂ© (gentiment) Ă  l’ordre par l’organisation de Sciences Po. « Ca ne se fait pas du tout ! », m’a a posteriori confiĂ© hilare un autre chercheur — il se reconnaĂ®tra.
Cancritude. J’en conclus que l’Ă©tiquette et ses règles non dites mettent en fait peu de temps Ă  se rĂ©inventer… et que cela n’arrange pas le chuchoteur fond de salle que j’ai toujours rĂŞvĂ© d’ĂŞtre.

Keep calm & science hard,
Laurent de TheMetaNews
 PS. 
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Au programme de ce numéro
  • Des infos en peu de mots
  • Audrey Harroche a passĂ© un Idex au crible
  • Le Journal officiel au pas de course
  • Votre revue de presse express
  • Et pour finir avec le variant Xi Jing Ping



A partir d’ici 5 minutes excellentissimes


 Des infos en peu de mots  Le 30 novembre a Ă©tĂ© lancĂ© l’Institut des Etudes et de la Recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ) au Conseil d’Etat ////////// CĂ´tĂ© syndicat, le SNCS alerte sur le passage en distanciel des Ă©valuations de la vague C du HcĂ©res (nous vous en parlions il y a quelques semaines). Nous y reviendrons dans un prochain numĂ©ro ////////// FrĂ©dĂ©rique Vidal sera en dĂ©placement aux Etats-Unis du 03 au 07 dĂ©cembre prochain, programme Ă  venir ////////// 


Trois questions Ă … Audrey Harroche


« L’excellence scientifique ne suffit pas »


Les Idex sont un monde parallèle (peu propice aux femmes) qu’a dĂ©crit cette sociologue Ă  travers une enquĂŞte dans une universitĂ© laurĂ©ate.


Si vous avez ratĂ© le dĂ©but. Les Idex (qui possèdent leur propre asso) fĂŞtent bientĂ´t leur dix ans : ils consistent Ă  « concentrer des fonds importants (7,7 milliards d’euros), par appels Ă  projets, sur moins de dix universitĂ©s rassemblĂ©es en consortiums », rappelle Audrey Harroche. Dix laurĂ©ats dont l’objectif est de « rivaliser avec les meilleures universitĂ©s du monde » et quelques dĂ©convenues, comme rĂ©cemment celle de l’UniversitĂ© de Lyon-Saint-Etienne. La thèse d’Audrey Harroche n’est pas encore publique, nous vous la relaierons dès que ce sera le cas.


Votre thèse s’appelle « Gouverner par les inégalités, la mise en œuvre d’une initiative d’excellence dans l’enseignement supérieur et la recherche ». Pourquoi ce titre fort ?
Le prisme des inégalités ne m’a pas servi de clef d’entrée pour le terrain mais m’a permis, une fois l’enquête effectuée, de comprendre les matériaux récoltés et de les analyser. Je me suis rendue compte que cette question traversait les Idex de part en part, depuis la réponse aux appels à projets, à l’intérieur de la communauté concernée, jusqu’à leur mise en œuvre et leur évaluation. 

Quel est le but avoué (ou non) de ces Idex ?
Ils permettent à certaines universités de devenir des instances de politique scientifique en allouant des fonds de manière compétitive et concentrée. C’est dans l’allocation de ses fonds que se jouent les inégalités. La définition, légèrement différente du sens commun, du mot inégalités que j’utilise est dans la lignée des travaux de Joan Acker, qui montre que toutes les organisations en produisent. Je l’ai adapté dans le contexte spécifique des Idex : leur mise en œuvre cherche à créer ou accroître les inégalités dans l’accès aux ressources matérielles et symboliques, à la fois entre les établissements mais aussi à l’intérieur de ceux-ci.

 « Les fonds peuvent être utilisés pour “faire face” en cas de coup dur [par les équipes] » 

Comment se jouent précisément ces inégalités au sein des labos ?
Le fait que ces fonds ne soient pas distribués à tous mais de manière compétitive et concentrée est une des conditions de leur obtention. La question des inégalités se pose donc à tous les étages, y compris au sein d’un même établissement. En revanche, une fois obtenus, les chercheurs ont des marges de manœuvre plus importantes avec ces fonds qu’avec d’autres. Cette possibilité est intéressante de leur point de vue, surtout compte tenu de la raréfaction des autres sources de financement de l’ESR. L’argument des inégalités n’est donc pas unilatéral : ces fonds peuvent être utilisés pour “faire face” en cas de coup dur, mettre en commun des équipements avec d’autres laboratoires. Concrètement, j’ai pu constater que des quatrièmes années de thèse pouvaient par exemple être prises en charge. 

Le système a-t-il des biais ?
Au niveau local, l’un des critères pour sĂ©lectionner un projet est notamment le fait qu’il soit dĂ©jĂ  cofinancĂ©. Au niveau national, le PIA encourage une sorte d’effet Matthieu [cĂ©koidonc, NDLR] : sur mon terrain [le nom de l’universitĂ© en question n’a pas Ă©tĂ© rendu publique, NDLR], j’ai pu constater que la stratĂ©gie Ă©tait de s’appuyer sur ceux qui ont dĂ©jĂ  bĂ©nĂ©ficiĂ© de fonds dans le cadre d’un pĂ©rimètre d’excellence bien dĂ©fini. Les fonds obtenus sont ensuite flĂ©chĂ©s au sein des universitĂ©s, crĂ©ant des lignes d’inclusion et d’exclusion. En ce sens, cette politique produit un effet Matthieu qui crĂ©e et creuse des Ă©carts entre les chercheurs·ses et enseignant·e·s chercheurs·ses.

Quels sont les critères de l’excellence, la science suffit-elle ?
L’excellence scientifique est nécessaire mais ne suffit pas : le critère de gouvernance est très important, l’établissement ou les équipes doivent être capables de se réorganiser. C’est tout l’enjeu de l’excellence à la française, comme le résume Natacha Gally [une chercheuse spécialiste du sujet, NDLR]. La gouvernance doit être resserrée, concentrer le pouvoir exécutif sur peu de personnes et renforcer certains postes de direction occupés en majorité par des hommes. 

« Les femmes sont sous représentées de manière claire dans ces structures »

Comment cela se traduit-il ?
La concentration se fait sur les personnes — coordinateurs de Labex ou d’institut Carnot — autant que sur les projets. Les femmes sont sous-reprĂ©sentĂ©es de manière claire dans ces structures : elles reçoivent moins de fonds Idex, elles en sont moins les coordinatrices et, mĂŞme une fois incluses, elles le sont souvent en tant que chargĂ©e de projet au service des chercheurs et enseignants-chercheurs. Or ce sont des postes prĂ©caires, rarement titularisables et qui reprĂ©sentent souvent une porte de sortie de la voie acadĂ©mique alors qu’ils rĂ©clament un haut niveau de qualification et des responsabilitĂ©s très importantes. 

Est ce que les Idex sont plus une affaire de sciences expérimentales ?
Les Idex ne sont pas neutres envers les disciplines : ils rendent les sciences naturelles plus rentables pour les établissements. Les indicateurs utilisés sont en faveur de ces dernières, qui en sont très dépendantes : les appels à projets sont vitaux. Les Idex imposent par ailleurs de travailler de manière interdisciplinaire et étendent de fait cette dépendance aux appels à projet aux autres disciplines, comme les sciences humaines ou le droit. Les disciplines sont interdépendantes pour obtenir des fonds et doivent travailler l’une avec l’autre. Il y a nécessité d’inclure des réflexions sur les implications légales, éthiques ou sociales d’un brevet ou d’un essai clinique, ce qui peut générer des frustrations du côté sciences sociales de n’être parfois considéré que comme une caution au projet. J’ai pu recueillir des témoignages de chercheurs agacés de cette situation, que ce soit du côté sciences sociales… ou sciences expérimentales d’ailleurs.

« Il y a toujours eu des inégalités entre établissements à l’échelle nationale mais l’Etat en était moins la cause »

Question tranchée pour finir : les Idex sont ils positifs ou négatifs ? 
Ce n’est pas mon propos dans cette thèse, je pourrais donner des exemples allant dans un sens ou dans un autre. Cet angle des inégalités me permet de développer un propos qui n’est pas monolithique. Certains sites situés en dehors de Paris en sont sortis vainqueurs par rapport à des sites parisiens qui raflaient tout le temps la mise. Les Idex accroissent donc certaines inégalités, en diminuent d’autres et recomposent certaines, notamment entre les disciplines. Rappelons qu’il y a toujours eu des inégalités entre établissements à l’échelle nationale mais l’Etat en était moins la cause : il était auparavant garant d’une forme d’équité, même si la réalité est souvent différente. Dans le cas des Idex, il y a une volonté de hiérarchiser ces dix établissements par rapport aux autres.


Une réaction ? On vous écoute

  Le Journal officiel au pas de course  Quelques dĂ©tails d’organisation sur les Ă©lections au Conseil national des universitĂ©s en section santĂ© /////// Qu’est-ce qui relève de la recherche et de l’enseignement (et qu’est-ce qui n’en relève pas ?), un dĂ©cret le prĂ©cise /////// Les bas-fonds de l’ESR : une affaire de harcèlement est jugĂ©e Ă  la section disciplinaire du Cneser /////// Un texte vient encadrer les règles de confidentialitĂ© et de transparence des experts mandatĂ©s par le Haut Conseil de l’Ă©valuation de la recherche et de l’enseignement supĂ©rieur (HcĂ©res) /////// HcĂ©res toujours, ses règles de fonctionnement internes, notamment celles de son collège, font l’objet de ce dĂ©cret /////// 


 Ils refont leur carte de visite  ValĂ©rie Ferret est nommĂ©e au conseil d’administration de l’Ecole nationale supĂ©rieure d’arts et mĂ©tiers /////// Elise Calais est nommĂ©e membre du conseil d’administration de MĂ©tĂ©o France /////// Des nominations d’Ă©lèves Ă  l’Ecole normale supĂ©rieure, promo 2021, pour quatre ans /////// HĂ©lène Langevin-Joliot, physicienne Ă©mĂ©rite au CNRS, est distinguĂ©e de la grand’croix de l’Ordre national du mĂ©rite, Christine Rouzioux (virologue) et Annette Wieviorka (historienne) sont elles dorĂ©navant grand officier. Le reste de la promo est lĂ , y retrouverez-vous des collègues ? /////// CĂ©cilia Mendes est nommĂ©e directrice gĂ©nĂ©rale des services (DGS) de l’Ecole française d’extrĂŞme-Orient /////// ClĂ©ment Cadoret est nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral dĂ©lĂ©guĂ© du Centre national des Ĺ“uvres universitaires et scolaires (Cnous) /////// Les fonctions de directrice (ou -teur) de l’Institut national des sciences appliquĂ©es de Rennes sont dĂ©clarĂ©es vacantes, tout comme celles de directeur (ou -trice) de l’École polytechnique d’universitĂ© CĂ´te d’Azur Ă  partir du 1er septembre 2022 /////// 


Votre revue de presse express



Et pour finir

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Mu, nu, xi puis omicron… l’Organisation mondiale de la santĂ© a-t-il tordu l’alphabet grec pour Ă©viter de vexer Xi Jing Ping, l’actuel prĂ©sident chinois, qui aurait certainement Ă©tĂ© fort marri d’ĂŞtre l’homonyme d’un variant agressif du Covid ? Certains se posent la question (et pas des plus recommandables).