10 mars 2021 /// Une interview au long cours |
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Evalué
(ou ne pas ĂŞtre)
Telle est la question. Être chercheur est synonyme d’examen permanent de ses travaux, de son Ă©quipe, de son Ă©tablissement et tutti quanti. Ca, vous le savez (et parfois le dĂ©plorez).
Centre de gravitĂ©. Au milieu de ce tourbillon Ă©valuatif se tient le Haut Conseil de l’Ă©valuation de la recherche et de l’enseignement supĂ©rieur (HcĂ©res), dont les « inspecteurs » — vos pairs en rĂ©alitĂ© — reviennent tous les cinq ans.
Stupeur et tremblements. A sa tĂŞte aujourd’hui, une personnalitĂ© du PESRF (paysage de l’ESR français) : Thierry Coulhon (nous en avons dĂ©jĂ parlĂ©), ainsi qu’une Ă©quipe nouvellement formĂ©e et dĂ»ment scrutĂ©e.
EvĂ©nementiel. Sa qualitĂ© de conseiller recherche d’Emmanuel Macron, sur fond de Loi Recherche (très) mouvementĂ©e, a fait de sa nomination une sĂ©quence politique (rĂ©sumĂ©e ici) qui s’est Ă©tirĂ©e sur plusieurs mois.
Bonne lecture,
Laurent de TheMetaNews |
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A partir d’ici 10′ de lecture bien Ă©valuĂ©es
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« Je n’ai aucun goût pour le déni de réalité »
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Après un processus de nomination rocambolesque, le mathématicien Thierry Coulhon a pris les rênes du Hcéres. |
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Photos © Laurent Simon
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Aux 80 ans du CNRS, Emmanuel Macron (remember) pointait du doigt une « évaluation molle, sans conséquences » ? Qu’est-ce qu’une évaluation « dure et suivie d’effets », en ce cas ?
Emmanuel Macron n’emprunte pas les mots des autres s’il ne les pense pas. Son point de vue est juste : si Ă©valuation il y a, elle doit avoir de l’utilitĂ© et du sens, donc se tenir Ă un impĂ©ratif de vĂ©ritĂ©. Quand on parle d’évaluation, remontons Ă son sens originel. Les politiques publiques doivent ĂŞtre Ă©valuĂ©es : dans le champ de l’enseignement supĂ©rieur et de la recherche, c’est une idĂ©e qui remonte Ă 1983 avec Laurent Schwartz [auteur de Pour sauver l’universitĂ©, NDLR] et qui me semble très partagĂ©e. Je m’inscris dans l’histoire de cette maison, l’AÉRES puis le HcĂ©res, bien retracĂ©e d’ailleurs dans le livre de ClĂ©mentine Gozlan [dont voici la thèse sur le sujet, NDLR].
Votre nomination, contrairement à celle de tous vos prédécesseurs, a été un vrai événement, politique qui plus est. Pourquoi ?
Le fait que je sois un ancien conseiller prĂ©sidentiel est trop rĂ©ducteur [voir un CV complet ici, NDLR] et c’est une manière bien Ă©trange de comprendre les relations de pouvoir que de me le reprocher. Ma vie professionnelle ne se rĂ©sume pas Ă cette expĂ©rience et c’est sur cette base que je suis devenu conseiller d’Emmanuel Macron, puis prĂ©sident du HcĂ©res. Je suis nĂ© dans une famille oĂą personne n’avait le Bac, j’ai dĂ©missionnĂ© de l’Ecole polytechnique — j’étais un peu antimilitariste Ă l’époque — pour aller Ă©tudier la philosophie et les mathĂ©matiques. Je suis devenu professeur dans une universitĂ© de banlieue, Ă Cergy-Pontoise. J’ai enseignĂ© en première annĂ©e, j’ai fait beaucoup de recherche avant d’être aspirĂ© par les responsabilitĂ©s et de devenir le prĂ©sident de cette universitĂ©. J’ai vĂ©cu de grands moments dans une ville nouvelle oĂą l’on contribuait Ă changer le destin de jeunes qui, sinon, ne se seraient pas tournĂ©s vers l’universitĂ©. Après avoir franchi les lignes, politiquement parlant, j’ai ensuite rejoint la CPU, le cabinet de ValĂ©rie PĂ©cresse, puis le Commissariat gĂ©nĂ©ral Ă l’investissement, dirigĂ© un centre de recherche en Australie et Ă©tĂ© Ă©lu Ă la tĂŞte de l’universitĂ© PSL. Au-delĂ des rĂ©seaux sociaux, je me sens plutĂ´t bien acceptĂ©. Les communautĂ©s apprĂ©cient qu’on leur parle franchement mĂŞme si l’on n’est pas d’accord sur tout, c’est ce que j’essaie de faire.
« Au-delà des réseaux sociaux, je me sens plutôt bien accepté. »
Votre nomination est encore sous le coup d’un recours au Conseil d’État, ça vous inquiète ?
C’est très sain, ça s’appelle l’Etat de droit, toute décision peut être contestée et ultimement cela ne fait que la renforcer. Les outils numériques ont amené une forme de transparence dans toutes les prises de décisions. La candidature collective au Hcéres initiée par RogueESR — très bien jouée de mon point de vue — en est l’illustration [plusieurs milliers de chercheurs y ont participé, NDLR]. C’est une forme de réappropriation, rien de choquant à cela même si je ne sais pas si l’un de ces candidats souhaitait devenir président en réalité. |
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Votre prédécesseur Michel Cosnard arrivait à la limite d’âge, son départ était donc prévisible, n’y avait-il pas une meilleure manière de procéder ?
Peut-être mais je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Désormais, je souhaite être jugé sur la manière dont j’exerce mon mandat. Nous vivons dans une ère de défiance : pendant que l’on débat d’une fantasmagorie qui voudrait que le Président de la République m’appelle pour peser sur l’évaluation, les vrais sujets sont évités. Et l’un de ceux-ci est : est-ce que l’enseignement supérieur et la recherche jouent leur rôle et comment peuvent-ils progresser ?
« Le risque est permanent que l’Ă©valuation « choufleurise » »
Si noter est de droite et l’appréciation qualitative est de gauche, aujourd’hui est-on dans l’en même temps macronien ?
L’évaluation navigue en permanence entre l’arbitraire et l’euphĂ©misation : il ne faut tomber ni dans un extrĂŞme hiĂ©rarchisant ou punitif, ni dans l’euphĂ©misation gĂ©nĂ©rale, oĂą tout le monde est beau, tout le monde est gentil et se voit dĂ©cerner un A+. La grande idĂ©e directrice du HcĂ©res Ă©tait justement d’éviter le mandarinat, le copinage, les effets de couloir par la formalisation. Dans cette dynamique, il y a un risque : que cette formalisation « choufleurise », au prix d’une perte de sens. L’euphĂ©misation, c’est dire d’un bon labo en progression, dont certains travaux sont au niveau mondial, qu’il est « au meilleur niveau mondial ». Toutes les activitĂ©s humaines peuvent ĂŞtre apprĂ©ciĂ©es, y compris l’art : il faut pouvoir y trouver des contrastes, sans qu’ils soient exagĂ©rĂ©s ou arbitraires. Les chercheurs pratiquent l’évaluation quotidiennement mais elle doit ĂŞtre rendue collĂ©giale et collective. L’évaluation a donc certes ses limites… Il n’en reste pas moins que nous n’avons pas d’autres moyens de faire. Ça n’a rien de simple : si la vĂ©ritĂ© Ă©tait facile Ă Ă©laborer, nous n’aurions rien Ă Ă©valuer. Je n’ai aucun goĂ»t pour le dĂ©ni de rĂ©alitĂ©.
Allez-vous rĂ©tablir d’une manière ou d’une autre des Ă©valuations notĂ©es, comme le pratiquait l’AĂ©res ?Â
La confrontation avec la réalité de l’évaluation me conforte dans l’idée que la notation n’est pas la solution. Je n’ai pas d’agenda caché sur le sujet. En réalité, je n’y vois presque que des défauts : la notation fonctionne par seuil, elle est unidimensionnelle, simplificatrice, stigmatisante… et elle ne rend pas compte des dynamiques. La conséquence est connue : tout pousse vers le A+, qui rend tout le processus inutile. |
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« La notation n’est pas la solution.
Je n’ai pas d’agenda caché sur le sujet. »
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Depuis la Loi Recherche, le HcĂ©res est dotĂ© d’une personnalitĂ© morale, ça change quoi ?Â
A bien des égards, notamment sur le plan budgétaire et comptable, le Hcéres était traité comme un service du ministère alors même qu’il s’agissait d’une autorité administrative censée être indépendante [la liste des AAI, pour les curieux, NDLR]. La transformation en Autorité publique indépendante [et la liste des API pour faire bonne mesure, NDLR] lui confèrera la personnalité morale et imposera de concrétiser l’indépendance prévue par les textes. Cela permettra aussi de développer des ressources propres dans un cadre moins contraignant, notamment en renforçant notre activité à l’international.
Parlons des « conséquences » : de quelle manière les évaluations sont-elles liées aux dotations des établissements par exemple ?
Je n’ai pas la maĂ®trise des effets de l’évaluation : notre rĂ´le est de fournir aux tutelles des Ă©lĂ©ments d’apprĂ©ciation utiles. Concernant les unitĂ©s de recherche, la question est assez simple en rĂ©alitĂ©. En tant qu’organisme de recherche ou Ă©tablissement, obtenir le maximum d’informations sur ses laboratoires est essentiel. Mais le cheminement de la dĂ©cision qui mène d’une apprĂ©ciation Ă l’augmentation ou Ă la diminution des moyens d’un laboratoire donnĂ© est complexe et peut aller dans les deux sens : une Ă©quipe en perte de vitesse peut soit ĂŞtre soutenue, soit ĂŞtre stoppĂ©e. Il n’y a pas d’automaticitĂ© ni d’algorithme dans le processus. Mon expĂ©rience en Australie m’a confrontĂ© Ă un système d’évaluation quantitatif avec des coefficients multiplicateurs, de la bibliomĂ©trie beaucoup plus directe et violente, qui pouvaient faire varier les moyens de un Ă quatre. Rien Ă voir avec la France. Le modèle Sympa [quelques mots sur cet algorithme d’allocations des moyens, NDLR] n’a fonctionnĂ© que très peu de temps et a succombĂ© Ă la crainte des universitĂ©s, petites et grandes, d’y perdre au change.
« Le Hcéres n’est pas une machine à rogner les moyens alloués »
Cela revient à poser une autre question : comment le ministère utilise les rapports du Hcéres ?
Le ministère Ă©tablit un contrat d’objectifs et de performance avec l’organisme de recherche, la ministre alloue chaque annĂ©e un budget Ă ces organismes, souvent reconduit de manière incrĂ©mentale. Les rapports du HcĂ©res — publiĂ©s tous les cinq ans, je le rappelle — informent les services du ministère et l’établissement, outillent le dialogue contractuel et, en somme, aident les acteurs Ă se former une image plus fidèle de la rĂ©alitĂ©. S’ il y a un effet de nos rapports sur les budgets, il est très « mĂ©diĂ© ». Nos rapports reprĂ©sentent beaucoup de travail, ils sont sĂ©rieux, honnĂŞtes et globalement bienveillants. Le HcĂ©res n’est pas une machine Ă rogner les moyens allouĂ©s. |
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Le HcĂ©res a Ă©tĂ© Ă©voquĂ© pour produire le rapport ou l’enquĂŞte ou l’Ă©tude (si vous avez ratĂ© le dĂ©but), quelque soit le terme, voulue par FrĂ©dĂ©rique Vidal Ă propos de l’islamogauchisme. Qu’en est-il ?
Personne ne nous l’a demandé et, de toutes façons, nous ne fonctionnons pas sur le mode de l’enquête mais celui de l’évaluation par les pairs. Hiérarchiser des contenus n’est pas de notre compétence pour une seule bonne raison : la liberté académique est tout de même le meilleur moyen qu’a trouvé l’humanité pour avancer en matière de connaissances. Que la recherche suive les mouvements de la société — le genre, le postcolonialisme —, quoi de plus naturel ? Ce n’est certainement pas au Hcéres de conseiller d’éviter certains sujets de recherche. Si des conférences [notamment celle-ci, NDLR] sont annulées, mieux vaut en référer à l’Inspection générale. Nous faisons des synthèses disciplinaires — épigénétique, archéologie, virologie —, les études postcoloniales me semblent être un sujet trop étroit pour rentrer dans ce cadre. Par ailleurs, l’islamogauchisme n’est qu’une forme de positionnement politique, pas un sujet scientifique. En revanche, il est bien dans les missions du Hcéres de veiller à la qualité et à la pluralité dans tous les domaines de l’activité académique, ce qui implique en particulier d’être vigilants sur la distinction entre discours scientifiques et discours militants de toute obédience. |
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Propos recueillis par Laurent Simon et Lucile Veissier
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