Directeur de recherche au CNRS, le sociologue Laurent Mucchielli, au cœur d’une polémique impliquant ses prises de position, a accepté de répondre à nos questions par écrit. Pourquoi intervenir en tant que sociologue sur les questions liées à la Covid-19 ? C’est la question posée par les influenceurs type « No fake med » qui sont très dérangés par mes propos critiques sur l’industrie pharmaceutique. Pour essayer de me faire taire, ils ont harcelé mon institution (le CNRS) par le biais de Twitter et ont réussi à alerter la direction générale. L’idée selon laquelle je serais « sorti de mon domaine » ne tient pourtant pas la route. Comme indiqué en toutes lettres sur le site Internet de mon laboratoire, je travaille sur « la gestion politico-sanitaire de la crise du Covid », ce qui constitue un objet de sciences sociales parfaitement légitime. Votre série d’articles de blog est-il un travail académique de sociologie ? Je mène une enquête « à chaud » et qui se situe dans une controverse puisque j’ai critiqué la gestion de la crise par le pouvoir politique dès le mois de mars 2020, en soutenant en retour la stratégie dépister-isoler-soigner de l’IHU de Marseille, ce qui déplaît donc à la fois au gouvernement et aux influenceurs de Big Pharma. Par définition, on s’éloigne ici du « travail académique ». Il s’agit plutôt de ce qu’Edgar Morin appelle une sociologie du présent, que je pratique notamment avec les outils de la sociologie critique de Pierre Bourdieu. Et ce n’est pas la première fois, je l’avais déjà fait avec les émeutes de 2005 par exemple. Et avec un travail d’équipe, comme aujourd’hui. Sur mon blog de Mediapart, j’ai ainsi publié ou interviewé 35 collègues universitaires et médecins. Faut-il prendre plus de précaution lorsqu’on parle d’un sujet sensible tel que la vaccination ? J’ai l’habitude de travailler sur la criminalité voire le terrorisme, sujets également très sensibles du fait de leur politisation et de leur médiatisation. Je dis toujours ce que je crois être juste, et il se trouve que cela contredit souvent les discours des ministres de l’Intérieur ou des syndicats de police. Mais auparavant tout le monde trouvait normal, et même souhaitable, qu’un chercheur puisse contredire le discours sécuritaire. Pourquoi est-ce que là, tout d’un coup, ce serait interdit ? Lorsqu’on est chercheur, est-il souhaitable d’exprimer ses opinions publiquement ? Le fait même de se poser cette question est pour moi un signe de la régression démocratique que nous vivons. Il faut connaître le droit. L’indépendance et la liberté d’expression des universitaires sont protégées par la loi du 26 janvier 1984, confortée par la décision n°83-165 du Conseil Constitutionnel. En outre, dans sa « Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques », en novembre 2017, l’UNESCO a rappelé que cette liberté d’expression « se trouve au cœur même du processus scientifique et constitue la garantie la plus solide de l’exactitude et de l’objectivité des résultats scientifiques ». La science, c’est le débat contradictoire. La pensée unique, c’est toujours de l’idéologie. |
Hélène Gispert : « L’absence des femmes aux Nobel n’est que la partie émergée de l’iceberg »
Les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de cette série de Nobel 2024. Faut-il s'en indigner ? En effet, si l’on regarde les cinq dernières années, sur les trois prix de médecine, physique et chimie, 29 hommes et seulement six femmes ont été récompensés....