Physicien durant 18 ans dans la fusion nucléaire, dont six passés à ITER, Greg De Temmerman, qui est désormais à la tête de Zenon Research, livre son analyse du domaine. Quels sont les défis techniques à relever pour produire de l’électricité via la fusion ? Pour provoquer une réaction de fusion, il faut chauffer le combustible à des températures très élevées (environ 150 millions de degrés), ce qui nécessite de l’énergie. La première question est : peut-on générer plus d’énergie que celle investie ? En théorie oui mais pour l’instant aucune expérience ne l’a démontré. Le tokamak JET – et plus récemment le National Ignition Facility – a permis la production de 70% de l’énergie injectée. Avec ITER, le choix a été fait de concentrer les efforts sur une installation plus grande et donc de passer d’un facteur 0,7 à 10 sans étape intermédiaire. Beaucoup de difficultés techniques sont à surmonter : l’instabilité du plasma, son maintien sur de très longues durées, le développement des matériaux assez résistants, des moyens de produire du tritium mais aussi l’extraction d’un flux de chaleur énorme, etc. Ces promesses sont-elles nouvelles ? Sur-promettre est un des travers de la fusion depuis ses débuts, dès la fin de la seconde Guerre mondiale. Les scientifiques ont été dupés par la rapidité avec laquelle la fission a pu être utilisée [c’est le principe des centrales nucléaires actuelles, NDLR]. Pour la fusion, il y a eu plusieurs phases d’espoir puis de déception. Comme dans les années 1970, on parle à nouveau de fusion dans les médias et on observe aujourd’hui une hype autour de projets privés ambitieux. Ces initiatives privées sont-elles crédibles face à des projets comme ITER ? Parmi la trentaine de projets dans le monde qu’on dénombrait fin 2020, certains sont basés sur une physique proche de celle d’ITER et des technologies novatrices, au sujet des supraconducteurs par exemple – notamment Commonwealth Fusion System, une spin-off du MIT [qui vient d’annoncer des records de champ magnétique permettant une machine plus compacte et à des températures moins basses, NDLR]. D’autres projets sont basés sur des concepts beaucoup moins connus et étudiés. Mais si la plupart des projets promettent des réacteurs connectés au réseau électrique d’ici 10 ou 15 ans, ils n’ont pas encore réglé les questions du tritium ou des matériaux. Leur communication est pour autant très optimiste et en décalage avec le monde académique. Avec ITER, la physique est connue et la prise de risque est beaucoup moins grande. La fusion nous aidera-t-elle dans la transition énergétique ? Non, il faut aller vite pour régler la crise climatique, la fusion viendra après – si elle vient. ITER est fait pour montrer sa faisabilité : si les résultats ne sont pas à la hauteur, au vu des sommes engagées et des délais, la fusion pourrait connaître un coup d’arrêt. La question est donc plutôt : y aura-t-il de la place pour elle dans 50 ans ? Quel sera le besoin pour une énergie nécessitant de grosses structures comme ITER si nous sommes passés à un modèle basé sur des énergies renouvelables ? Ce sera un choix sociétal mais je pense qu’il est bon d’avoir cette option et donc de continuer à la développer. |
Hélène Gispert : « L’absence des femmes aux Nobel n’est que la partie émergée de l’iceberg »
Les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de cette série de Nobel 2024. Faut-il s'en indigner ? En effet, si l’on regarde les cinq dernières années, sur les trois prix de médecine, physique et chimie, 29 hommes et seulement six femmes ont été récompensés....