🔷 Liberté, je crie ton nom




08 décembre 2021 | La recherche et sa politique
La septième
de Beethoven

Partie de campagne. J’ai visionnĂ© le clip de campagne d’Eric Zemmour, tartinĂ© de musique classique et de roman national. Baroque (et un peu navrant) dans la forme, Ă©videmment inquiĂ©tant sur le fond.
Cheap shot. L’attaque contre les « sociologues et les universitaires » Ă©tait attendue : elle est arrivĂ©e tout naturellement Ă  3’20 oĂą les chercheurs sont rangĂ©s dans le mĂŞme tiroir que les « religieux et les syndicalistes ».
Rien Ă  l’Ouest… Si ces attaques populistes n’ont rien d’original, elles n’en sont pas moins nouvelles dans le cadre d’une campagne prĂ©sidentielle et surviennent sur fond de polĂ©miques Ă  rĂ©pĂ©tition sur la place de la recherche en sciences sociales.
Libres max. Alors on a voulu faire le point avec Olivier Beaud, un des spécialistes de la question des libertés académiques, cardinale et pourtant impensée en France, comme il le rappelle dans cette interview ▼.

Keep calm & science hard,
Laurent de TheMetaNews

 PS.  « Vous n’avez pas dĂ©mĂ©nagĂ© et vous n’avez plus l’impression d’ĂŞtre chez vous », dixit le mĂŞme Zemmour, c’est bon pour le bilan carbone, non ?


Au programme de ce numéro
  • Les menaces Ă  la libertĂ© acadĂ©mique, par Olivier Beaud
  • Le Journal officiel au pas de course
  • Ils changent de carte de visite
  • Et pour finir en s’Ă©clipsant



A partir d’ici 5 minutes menaçantes


 Des infos en peu de mots  On vous reparlera dans un prochain numĂ©ro de ce texte europĂ©en amphigourique (mais important), tout comme celui-ci qui pose un cadre pour l’Ă©valuation de la recherche ////////// Une dĂ©lĂ©gation française menĂ©e par FrĂ©dĂ©rique Vidal s’en est allĂ©e aux Etats-Unis et a signĂ© cette dĂ©claration commune ////////// 


Trois questions (ou plus) Ă … Olivier Beaud


« La menace est internalisée »


Ce juriste dĂ©fend la libertĂ© acadĂ©mique contre les attaques dont elle fait l’objet. Sans prendre de pincettes.


Une photo vintage de l’intĂ©ressĂ©


Si vous avez ratĂ© le dĂ©but. Les causes identitaires sont-elles la principale menace Ă  la libertĂ© de chercher et de s’exprimer en tant qu’universitaire ? Si le « wokisme », la « cancel culture » ou le fĂ©minisme radical pèsent, d’autres menaces plus pernicieuses existent, analyse le juriste Olivier Beaud (Paris 2 PanthĂ©on Assas) dans son dernier ouvrage Le savoir en danger. Parmi elles : l’administratif. Ca vous parle ?


Faut-il inscrire la liberté académique dans la loi pour la sanctuariser ? 
La mention de la liberté académique récemment inscrite dans la LPR est complètement inutile : une disposition vide de sens, totalement instrumentalisée en réponse à la question de l’islamogauchisme. On peut noter que la seule fois que les politiques se sont intéressés à la liberté académique, ce n’est pas pour la reconnaître mais pour la restreindre. Ça part donc mal : autant ne pas légiférer en ce cas. La notion est tout de même reconnue légalement de manière éparse, que ce soit dans la loi Faure ou la loi Savary de 1984, mais beaucoup moins explicitement que ce n’est le cas à l’étranger.

 « La libertĂ© acadĂ©mique n’est pas un privilège » 

Faut-il le rendre plus explicite, alors ?
Je serais très prudent. Son inscription dans la loi serait un bénéfice en cas de recours… à supposer que la définition choisie par les parlementaires convienne. Si on laisse les politiques traiter le sujet, le risque de dérapage est réel, la LPR l’a prouvé.

En cas d’entrave manifeste, que faire ? Les voies de recours existent-elles pour les chercheurs ?
Quelques dispositions existent mais la plupart des chercheurs ne les utilisent pas, par ignorance et parce que les universitaires forment peu de recours, par manque de temps et de moyens. Par ailleurs, et c’est extrêmement regrettable, le Conseil d’Etat est très peu favorable à la liberté académique : il maltraite les libertés universitaires depuis vingt ans.

 « Eric Zemmour ne peut heureusement pas invoquer la libertĂ© acadĂ©mique pour s’exprimer » 

Vous explorez dans votre ouvrage une différence entre deux notions pourtant proches pour le grand public : la liberté académique et la liberté d’expression. Peut-on dire pour vulgariser que la liberté d’expression vaut pour un universitaire quand il ne s’exprime pas en tant que chercheur ?
Fondamentalement, la liberté académique est plus large que la liberté d’expression : il s’agit de la liberté de choisir ses thèmes de recherche et les mener jusqu’au bout sans interférences extérieures. De plus, la liberté académique est difficile à vendre en ces temps de quasi-religion des droits de l’homme, parce qu’elle est réservée à un corps professionnel. Elle apparaît donc comme un privilège, tout comme le secret des sources des journalistes qui constitue pourtant la base du métier. La liberté académique bénéficie néanmoins à tous en permettant de faire progresser la science et donc la société.

Dans sa vidĂ©o de candidature, Eric Zemmour vise directement « les sociologues, les universitaires », qui « mĂ©priseraient » le peuple…
C’est du poujadisme anti intellectuel, point. Ce n’est pas un savant, il écrit des livres vides de sens d’un point de vue historique. Il s’agit de fausse science. Eric Zemmour ne peut heureusement pas invoquer la liberté académique pour parler. Un universitaire qui tiendrait de tels propos ne serait pas digne de l’être. Il est le décalque d’une pensée de droite conservatrice aux Etats-Unis — plus dangereuse en un sens que l’idéologie woke dont on parle beaucoup en ce moment — et qui passe son temps à pilonner les universitaires libéraux depuis l’ère Reagan.

 « La situation Ă  l’universitĂ© est aussi dĂ©gradĂ©e que dans la justice ou l’hĂ´pital » 

Avant de venir au “wokisme”, la principale entrave selon vous à la liberté académique en France, est le poids de la gestion du système par les chercheurs.
Les universitaires sont dominĂ©s par l’administration de l’Etat et du ministère d’un cĂ´tĂ©, et par les dirigeants d’universitĂ© de l’autre. Et ce alors que ces derniers sont tous universitaires, mĂŞme s’ ils ne se considèrent plus comme tels. Les cas d’abus de pouvoir manifeste existent, notamment l’exemple que je rapporte dans mon ouvrage de l’organisation d’examens Ă  l’universitĂ© de Reims. Au lieu de soutenir les universitaires, le prĂ©sident de l’universitĂ©, Ă©galement vice-prĂ©sident de la CPU, s’est rangĂ© du cĂ´tĂ© de son administration. On parle beaucoup du poids de l’administration dans la justice ou l’hĂ´pital mais il en va de mĂŞme Ă  l’universitĂ© oĂą la situation est aussi dĂ©gradĂ©e. 

Le cas le plus marquant d’entrave est la restriction sans précédent de l’accès aux archives historiques par l’Etat que vous décrivez. De nombreux chercheurs se retrouvent privés de documents pourtant essentiels sur l’histoire récente de France…
Les historiens ont malheureusement perdu la bataille malgré des concessions faibles de l’administration. Le risque est bien réel dans les années à venir que des scientifiques soient coupés de leur sujet de recherche en histoire à cause de cette limitation sans précédent de l’accès aux archives [lire également ce numéro de la Vie de la recherche scientifique pp18-19, NDLR].

« Le ministère ne défend pas les universitaires en cas d’entraves » 

Vous précisez que les historiens semblent n’avoir reçu aucun soutien du ministère de la Recherche, pourquoi ?
Son poids politique est structurellement faible et les ministres qui l’occupent le sont souvent pour de mauvaises raisons, comme la parité. Adossés au mastodonte de l’Education nationale, la recherche et l’enseignement supérieur ont paradoxalement plus de poids. Le ministère ne défend pas les universitaires en cas d’entrave à la liberté académique : le cas de l’accès aux archives historiques est frappant. Il a fallu que les historiens et archivistes eux-mêmes se mobilisent pour que l’affaire éclate et qu’ils arrachent une concession.

Venons à l’islamogauchisme ou au wokisme, quelles entraves à la liberté académique avez-vous détectées à cause de ces mouvements ?
Une des principales menaces à la liberté académique est aujourd’hui internalisée : une petite minorité des étudiants en sont les ennemis, avec des effets dévastateurs. Or la violence psychologique et morale exercé e sur les professeurs par les réseaux sociaux peut être aussi douloureuse que la violence physique de mai 68. La vague arrive, même si personne n’en connaît la hauteur. J’ai appris hier qu’une conférence consacrée au livre de Sabine Prokhoris [une philosophe critique du mouvement #metoo, NDLR] avait été annulée à Paris Necker. Voilà un exemple où les idéologies radicales ont gagné : quelqu’un qui ose objecter en pointant les abus et les risques juridiques d’un mouvement, évidemment légitime, se retrouve censuré. Ces groupes de pression ont imposé au président d’université de censurer la réunion sans aucun fondement légal. J’ai du mal à prédire aujourd’hui l’ampleur de ce mouvement mais la seule chose qui nous préserverait d’un choc équivalent à celui constaté en Angleterre ou aux Etats-Unis est le fait que les étudiants ne représentent pas une grande force de pression en France, au-delà de leur poids médiatique. Pour une raison simple : ils ne paient que peu de droits d’inscription. Les étudiants font la loi aux Etats-Unis parce qu’ils sont les clients du système. En France, les médias relaient tout de même la parole étudiante, parfois sans filtre. Les professeurs sont ainsi constamment mis en difficulté ; il s’agit d’une nouvelle censure dont on peut remonter à mai 68 pour en tracer les origines. 

 « Les élites ne fréquentant pas les bancs de l’université mais ceux des grandes écoles » 

Si ce mouvement représente un tel danger, pourquoi les universitaires ne le dénoncent-ils pas ?
Les universitaires, majoritairement de gauche, n’osent pas dénoncer ce mouvement venu de la gauche qui nous menace pourtant, quel que soit son bord politique. C’est en partie dû à la méconnaissance de qu’est l’université en France : une machine à distribuer des diplômes, aux pouvoirs atrophiés. Les élites ne fréquentant pas les bancs de l’université mais ceux des grandes écoles, tout comme les chercheurs veulent préférentiellement exercer dans les organismes de recherche.

Que préconisez-vous ?
Les universitaires sont très divisĂ©s et très seuls, sauf en sciences [expĂ©rimentales ou “dures”, NDLR] et leurs syndicats sont très peu reprĂ©sentatifs. Quand il s’agit de libertĂ© acadĂ©mique, la question politique “suis-je de gauche ou de droite”, devrait ĂŞtre secondaire. Il faut qu’aujourd’hui les universitaires prennent conscience de l’importance de leur libertĂ© acadĂ©mique. C’est l’objet de mon livre dont la conclusion est d’ailleurs assez pessimiste. Sont-ils Ă  la hauteur de cette mission ? J’ai des doutes aujourd’hui tant le clientĂ©lisme et le localisme ont laissĂ© des traces.


Une réaction ? On vous écoute

 Le Journal officiel au pas de course  Amis bibliothĂ©caires, le nombre de postes d’assistant spĂ©cialisĂ© de classe exceptionnelle en 2022 est fixĂ© Ă  33 (et 32 de classe supĂ©rieure) /////// Une mesure technique : le taux d’avancement de certains corps de fonctionnaires /////// Le CNRS recrute 238 chargĂ©s de recherche de classe normale, 260 directeurs de recherche de 2e classe et deux directeurs de recherche de 1ere classe /////// Le taux annuel de la prime d’enseignement supĂ©rieur est fixĂ© Ă  1831,25 euros et elle n’est plus indexĂ©e au point d’indice de la fonction publique /////// Un dĂ©cret d’importance (dont nous vous reparlerons) Ă  propos de l’intĂ©gritĂ© scientifique /////// 


 Ils refont leur carte de visite  Trois tours de scrutin n’ont pas suffi pour dĂ©partager les deux candidats Ă  la prĂ©sidence de l’UniversitĂ© de Lyon, Frank Debouck et James Walker. Un administrateur, Luc Johann, a Ă©tĂ© nommĂ© pour six mois /////// Éric Saint-Aman est devenu directeur du dĂ©partement d’Ă©valuation de la recherche au HcĂ©res depuis le 1er novembre pour quatre ans /////// Morgane Leroux est nommĂ©e directrice gĂ©nĂ©rale des services (DGS) de l’École nationale supĂ©rieure de chimie de Montpellier /////// Laurent Toulouse est nommĂ© membre du conseil d’administration du Centre national des Ĺ“uvres universitaires et scolaires /////// La trĂŞve des confiseurs arrive, tout comme la prĂ©sidentielle. On signale donc des dĂ©parts du cabinet de FrĂ©dĂ©rique Vidal, Ă  savoir Jean-Michel Jolion et Julie Nguyen /////// Christophe ThĂ©baud est nommĂ© membre du conseil scientifique du MusĂ©um national d’histoire naturelle /////// 


Votre revue de presse express


  • Chaise vide. Hasard du calendrier, l’actualitĂ© britannique est occupĂ©e par le cas de la dĂ©mission de la professeure Kathleen Stock sur fond de pression d’activistes trans et queer, rapporte The Guardian.
  • Heirate mich. Science Business analyse les promesses liĂ©es Ă  la recherche du nouveau gouvernement allemand. Parmi elles : plus de stabilitĂ© de l’emploi et une agence nationale de l’innovation. Rappelons que la chancelière (et physicienne) Angela Merkel quitte son poste cette semaine après seize ans de bons et loyaux services.
  • Alerte bleue. Les jeunes chercheurs vont pâtir de la crise du Covid : l’ex-prĂ©sident de l’European research council  (ERC) Jean-Pierre Bourguignon tire la sonnette d’alarme (toujours dans Science Business).


Et pour finir

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Cette tache noire sur le pĂ´le sud n’est pas l’effet du rĂ©chauffement climatique mais une Ă©clipse totale de Soleil, visible seulement de l’Antarctique, que le satellite Deep Space Climate Observatory a magnifiquement captĂ©e (merci HeidiNews et Space.com).