Adèle Combes : « Un répondant sur cinq à mon enquête a vécu du harcèlement moral »

Harcèlement, appropriation de résultats, discrimination… des situations que dénonce Adèle Combes à travers une enquête et des témoignages.

— Le 14 janvier 2022
Si vous avez raté le début. Docteure en neurosciences et travaillant aujourd’hui dans le privé, Adèle Combes reste profondément marquée par la souffrance de jeunes chercheurs qu’elle a directement observée. Travail de plusieurs années, alternant témoignage et résultats chiffrés, son livre Comment l’université broie les jeunes chercheurs arrive en pleine vague #MeTooESR : selon l’enquête, 17% des répondants se sont vus imposer des gestes à caractère sexuel ou sexiste.

Votre livre est un cri d’alerte. A qui est-il destiné ?

À beaucoup de personnes, du doctorant au politique. Mais tout d’abord à ceux qui ont souffert et n’ont pas obtenu reconnaissance de leur préjudice. J’ai l’espoir qu’en parler publiquement les aidera à guérir et à aller de l’avant. Je le destine également aux personnes en doctorat confrontés à des abus pour leur montrer qu’elles ne sont pas seules. Le livre s’adresse enfin aux étudiants en master qui s’apprêtent à faire une thèse avec le message suivant : ne fuyez pas le monde de la recherche. La thèse peut être une expérience magnifique mais il faut avoir conscience de certaines choses : un répondant sur cinq à mon enquête a vécu du harcèlement moral, par exemple. En mettant des mots, en montrant comment une relation professionnelle peut dégénérer, j’espère les aider à identifier des situations anormales qu’ils n’ont pas à accepter.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux chercheurs permanents ?

À travers mon livre, je m’adresse aussi aux nombreux titulaires bienveillants qui peuvent être témoins d’abus mais n’osent pas forcément agir : ce n’est pas toujours facile de s’opposer à un collègue. On a besoin d’eux dans ce mouvement : on ne peut plus se permettre un soutien confidentiel, je leur demande de prendre partie sans ambiguïtés. Mon livre s’adresse également aux décisionnaires pour leur montrer que la recherche, ce n’est pas que des chiffres, ce n’est pas que des brevets et le classement de Shanghai. La recherche, c’est avant tout des personnes qui doivent être respectées et travailler dans de bonnes conditions, aussi bien humaines comme financières. Enfin, j’ai l’espoir que certaines personnes qui ont pu contribuer à ce système toxique se remettent en question. Des lecteurs commencent d’ailleurs à envoyer mon livre à leur ancien directeur ou leur ancienne directrice dans l’espoir d’une prise de conscience.

Quelles sont les causes des problèmes que vous abordez ?

C’est une question délicate. Il y en a plusieurs : par exemple, la course à l’excellence et pour les financements est une source de stress, qui crée de la compétition négative et peut impacter les relations humaines. Il serait très intéressant de l’étudier en profondeur. En revanche, ça n’excuse en rien le harcèlement ou les discriminations. Un grand nombre de chercheurs sous pression ne deviennent pas pour autant des harceleurs. Si l’on prenait plus soin des  jeunes chercheurs et titulaires, si l’on finançait mieux la recherche, si l’on sensibilisait activement aux violences sexuelles et sexistes mais aussi aux violences psychologiques, si le droit du travail était réellement appliqué dans toutes les équipes, si l’on déconstruisait le mythe qui veut qu’on doive souffrir pour faire une bonne thèse, beaucoup de situations seraient désamorcées. Et la recherche en bénéficierait.

Vous proposez aussi des solutions concrètes, notamment au sujet du comité de thèse.

Ces solutions se sont construites au fil de mes lectures, de mon expérience et au contact des témoins de ce livre. Au sujet du comité de suivi de thèse, beaucoup de doctorants en conflit avec leur direction s’autocensurent de peur que leur situation n’empire. Comment savoir si l’on peut faire confiance à des personnes choisies par son propre directeur de thèse ? Je préconise de séparer le suivi scientifique et d’effectuer un suivi des relations humaines et du bien-être psychologique par une personne indépendante, formée à ça [ce n’est pas du tout ce que prévoit le projet d’arrêté, nous y reviendrons, NDLR]. Même en dehors de toute situation conflictuelle et de toute précarité financière, la nature exigeante et parfois solitaire du doctorat peut entraîner du stress et du découragement. On doit pouvoir parler sans craintes, ni pour sa carrière ni pour l’image que l’on renvoie à ses pairs.

Photo : Clément Bonnier © Flammarion

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