Qui fait quoi dans une publi ?

Dans une publication, parmi une longue liste d’auteurs, qui a fait quoi ? Petit tour des systèmes existants et propositions permettant d’expliciter les contributions de chacun.

— Le 17 mars 2023

C’en est-il fini du “nous” académique ? Imaginez que chaque co-auteur de votre prochain papier puisse parler en son nom propre de sa contribution et – pourquoi pas – exprimer son point de vue. Cela pourrait donner : « Inès Dubois a collecté les données et a tenu à modifier le paramètre X pour voir l’influence de Y… Thomas Black a analysé les données et ne pensait pas voir une telle influence », etc. Une petite révolution dans nos habitudes d’écriture académique, n’est-ce pas ? 

« Lors de mes entretiens, on me demandait : “Vous avez beaucoup de publis, mais qu’avez-vous fait ? Il me fallait 30 minutes pour détailler »

Stéphane Boyer

Carnet de voyage. C’est pourtant une des propositions publiées dans Nature Reviews Molecular Cell Biology par deux chercheurs – papier au sein duquel ils se prêtent justement à cet exercice. Le second auteur suggère lui d’ajouter pour chaque tâche mentionnée dans l’article un indice renvoyant à l’auteur correspondant. Avec la volonté d’aller vers plus de transparence et plus de précision dans l’explicitation des contributions, le tout dans un esprit très “quali”.

Enjeux de taille. Car en effet, quand la liste des auteurs s’allonge, le lecteur est en droit de se demander qui a fait quoi. Attribuer le crédit adéquat à chaque auteur d’une publication est essentiel pour vos CV, notamment pour les plus jeunes d’entre vous en période de candidature. De plus, encourager les auteurs à plus de transparence et les obliger à se mettre d’accord en amont pourrait désamorcer certains conflits. Aujourd’hui, les seules informations disponibles à ce sujet dans une publication sont la position dans la liste des auteurs et le paragraphe “author contributions” en fin d’article. 

La taxonomie CRediT propose 14 rôles, de la conception à l’écriture

Les premiers seront les derniers. Dans les disciplines expérimentales, le premier auteur est en général le ou la doctorant·e dont c’est le projet principal et le dernier auteur désigne le plus souvent le chef d’équipe ou la personne qui a reçu le financement. Même si d’autres contributions  peuvent être significatives, la gloire revient en général uniquement aux premier et dernier auteurs, laissant peu de reconnaissance à celles et ceux se retrouvant en milieu de peloton. Il y a des exceptions : par exemple dans certaines communautés en maths ou en physique des hautes énergies – avec jusqu’à plus de 200 auteurs sur un papier – les auteurs apparaissent par ordre alphabétique, n’apportant aucune information sur la contribution relative de chacun.

Division du travail. Expliciter les tâches effectuées par chacun, la plupart des éditeurs le demandent aujourd’hui au sein d’un paragraphe dédié en fin d’article, sobrement nommé “author contributions”. Elsevier, par exemple, propose de classer l’apport de chaque auteur parmi cinq types de tâches : conception de l’analyse, collecte des données, contribution sur des outils de données et d’analyse, réalisation de l’analyse et écriture du papier. L’Académie nationale des sciences étasunienne liste les revues qui se conforment aux standards sur l’autorat dont l’adoption de la taxonomie CRediT qui propose 14 rôles, de la conception à l’écriture. Ces contributions peuvent même s’intégrer dans votre profil Orcid – avec la possibilité de les rentrer manuellement – et seront bientôt disponibles dans les métadonnées via le système du DOI, selon la fiche du service CoopIST du Cirad.

« Une fois que c’est validé par l’ensemble des auteurs, personne ne peut plus le mettre en cause »

Stéphane Boyer

A a réalisé 55%, B a fait 12% du travail… Cependant, ces informations restent encore parfois vagues… et non quantitatives. En 2017, les auteurs d’un article publié dans Research Integrity and Peer Review introduisaient une métrique : l’Author Contribution Index (ACI), permettant de chiffrer la contribution de chacun. Si un auteur a contribué trois fois plus que les autres, son ACI sera de 3. Selon ses partisans, les avantages seraient multiples : simple et précis, l’indicateur offrirait une comparaison possible à travers les disciplines. 

Pensé par et pour… les jeunes. Stéphane Boyer, premier auteur du papier – on ne se refait pas –, était jeune chercheur à l’époque : « Lors de mes entretiens, on me demandait : “Vous avez beaucoup de publis, mais qu’avez-vous fait ? Il me fallait 30 minutes pour détailler, alors qu’un indicateur aurait pu résumer tout ça », explique l’écologue. D’où l’idée de demander aux auteurs de chiffrer collectivement la contribution de chacun. Un exercice délicat qui peut éveiller des tensions : « La crainte était que les auteurs n’arrivent pas à se mettre d’accord ». Mais lorsqu’il l’a appliqué à sa revue naissante, Rethinking Ecology, demandant aux auteurs de fournir cet indice au moment de la soumission, aucun n’a refusé de se prêter au jeu. L’avantage ? Graver dans le marbre cette répartition : « Une fois que c’est validé par l’ensemble des auteurs, personne ne peut plus le mettre en cause », s’enthousiasme Stéphane Boyer. 

Présenter les contributions ressemble d’ailleurs à une grille de mots-croisés

Fantômes. La suite logique était de calculer cet indice pour un chercheur à l’échelle de toute sa production scientifique, permettant ainsi de dégager des profils type, selon le chercheur aujourd’hui en poste à l’université de Tours : un “leader” aurait un indice fort, alors qu’un “contributeur” aurait un indice moyen sur un grand nombre de publications. Mais à l’époque, les débats faisaient rage autour du h-index – relire notre interview de son créateur, Jorge Hirsch, mettant en garde contre une utilisation abusive – et réduire un chercheur à un nombre n’était plus très bien perçu. 

Cinquante nuances. C’est donc le système CRediT, sorti au même moment, qui a percé. L’idée d’une contribution chiffrée n’est cependant pas tombée dans l’oubli et renaît, non sous la forme d’un nombre unique mais… d’une matrice ! Il s’agit en réalité d’un tableau à double entrée avec d’un côté la liste des auteurs et de l’autre les différentes tâches, chaque case correspondant à la contribution chiffrée d’un auteur pour une tâche donnée. À la suite de la proposition du neuroscientifique Nick Steinmetz de présenter les contributions de chacun sous la forme d’un tableau – qui ressemble d’ailleurs à une grille de mots-croisés –, plusieurs auteurs ont fait ensuite apparaître dans leur papier des tableaux colorés – notamment dans ce preprint disponible sur bioRxiv.

Envie de réaliser le vôtre ? L’étape cruciale sera d’abord de vous accorder avec vos co-auteurs

In the CV. Tout comme l’indice unique, le tableau des contributions peut se calculer pour l’ensemble des publications d’un auteur, en renseignant sa contribution pour chaque tâche sur chacun des papiers – voici des exemples en mode mots-croisés et en mosaïque de violet. Envie de réaliser le vôtre ? L’étape cruciale sera d’abord de vous accorder avec vos co-auteurs. Pour la suite, l’application d’édition LateX en ligne Overleaf vous propose un template. Vous nous enverrez le résultat ?

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