Pas un bruit. Un silence pesant règne à la porte de la salle d’audience du ministère. Dans un coin reculé, Mme XX, femme menue d’une cinquantaine d’années, vêtue d’une robe à col blanc et coiffée d’une natte portée sur le côté, s’agite. Devant la salle, la représentante de l’Université et une avocate, vêtues de tailleurs parfaitement coupés, repassent en vue le dossier et murmurent des paroles indistinctes. La salle s’ouvre enfin, les trois femmes prennent place face aux juges affairés, assis en ligne derrière une rangée de tables.
La concernée écoute avec attention, le visage fermé. Ses yeux parcourent assidûment les lignes noircies d’encre et couvertes d’annotations du dossier
En boucle. Ce n’est pas la première audience consacrée à cette affaire, jugeant de comportements inappropriés. En octobre 2018, la section disciplinaire de l’Université de Strasbourg a condamné lourdement Mme XX à « une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement dans l’établissement pour une durée de trois ans, à laquelle est assortie la privation de la moitié de son salaire ». Depuis, les demandes d’appel s’enchaînent. Une première en 2019 devant le Cneser [Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, NDLR] disciplinaire qui annonce finalement la relaxe de l’enseignante-chercheuse, jugeant la sanction injustifiée. Puis quelques années plus tard, lorsque la décision prise par l’instance est cassée par le Conseil d’État, saisi par l’université [on vous avait parlé du fonctionnement du Cneser il y a quelques mois]. Six ans après ses débuts, l’affaire revient pour la deuxième fois devant les juges du Cneser.
Chefs d’accusations. Le greffier s’attelle à la lecture du dossier d’instruction. Mme XX est accusée d’avoir « instauré un climat délétère au sein de son établissement, d’avoir eu des comportements déplacés à l’égard de ses collègues et de ses étudiants ainsi que d’avoir employé des pratiques pédagogiques contraires à la déontologie ». La concernée écoute avec attention, le visage fermé. Ses yeux parcourent assidûment les lignes noircies d’encre et couvertes d’annotations du dossier. Seules ses mains tremblantes témoignent de son inquiétude.
« Je suis chez moi, je n’ai pas de bureau, juste un mail et une boîte aux lettres »
Mme XX
À la une. Le président de séance retire ses lunettes d’un geste las et porte ses mains à ses yeux. Déjà présent lors de la première audience il y a cinq ans, il rappelle que les juges avaient à l’époque considéré que « Mme XX avait bien eu des comportements déplacés, des maladresses sans qu’il soit pour autant démontré une intention malveillante ou un désir de nuire de sa part ». Une affaire que les juges avaient estimé relever « des ressources humaines plus que d’un conseil disciplinaire ». Les choses ont-elles évolué depuis ?
Seule au monde. « Je suis chez moi, je n’ai pas de bureau, juste un mail et une boîte aux lettres » explique Mme XX, mouchoir en main. Et puis il y a les CRCT [dispositif qui permet d’avoir une dispense d’enseignement et de tâches administratives pour se consacrer à des projets de recherche, NDLR]. Depuis que l’affaire a débuté, elle n’enseigne plus. « Et moi je veux enseigner, mais maintenant j’ai des CRCT automatiques ». Certains juges froncent les sourcils. Étrange. « Si une relaxe a été accordée, il doit y avoir réintégration complète dans l’établissement, le droit ça marche comme ça », lance un des juges. Hochement de tête approbateur de Mme XX.
« Pourquoi tenez-vous absolument à revenir dans une équipe qui ne veut vraisemblablement pas de vous ? »
Le président
Fine bouche. Mais l’université s’en défend, elle a bien essayé de trouver des alternatives. Malheureusement, « sa réputation la précède, tout le monde est réticent ». Et même quand on trouve des alternatives, l’enseignante-chercheuse s’y oppose frontalement. Elle veut retrouver son ancien poste à l’identique. Mme XX, sourcils froncés laisse échapper un petit rire en secouant la tête. « On me propose des cours d’anglais, ce n’est pas mon domaine, c’est comme me demander d’enseigner la physique ».
Rouge de rage. Pourtant, quand un rapport d’une centaine de pages regroupe les témoignages anonymes de nombreux étudiants expliquant leurs craintes à l’encontre de l’enseignante, qu’un autre regroupe celui de ses collègues concernant des comportements colériques, difficile pour les ressources humaines de trouver plus de solutions. Les juges s’impatientent. L’ambiance est plus proche d’un conseil de discipline que de celle d’un jugement pour faute professionnelle. « Pourquoi tenez-vous absolument à revenir dans une équipe qui ne veut vraisemblablement pas de vous ? », demande le président.
Railleries, menaces, insultes, pratiques pédagogiques particulières… L’université ne manque pas de rappeler les différents témoignages
Temps fort. Mme XX n’en démort pas. Pour elle, les choses ne sont plus conflictuelles depuis le début de l’affaire. Il n’y a pas eu de faits nouveaux, que ce soit avec ses collègues ou des étudiants, qui justifient cet acharnement. Elle s’interrompt. Pleure. Puis reprend la voix tremblante : « Si ce n’est pas à Strasbourg, je vais où moi ? Ma réputation est ruinée, j’ai un trou de cinq ans dans mon CV. C’est comme si j’étais morte ! » Les juges marquent une pause, lui laissent le temps de retrouver son calme.
Risque d’orage. Les plaintes sont tout de même nombreuses. Certains dossiers s’étendent sur près de 180 pages, retraçant les « maladresses » de Mme XX. Railleries, menaces, insultes, pratiques pédagogiques particulières… L’université ne manque pas de rappeler les différents témoignages d’étudiants ou de collègues mais aussi d’en rapporter de nouveaux, parvenus après la première audience : « Elle arrive dans les bureaux en hurlant que c’est elle qui tient les pistolets maintenant, c’est elle qui tire ». Que sont-ils censés faire ?
Après une heure à se renvoyer la balle, il est temps de conclure
Manque de motivation. « On n’est pas là pour régler les problèmes administratifs de votre très belle université », explique un juge. Le but de l’audience est en effet simplement de déterminer si la relaxe doit être accordée à Mme XX ou non. Et, rappellent-ils, à l’époque déjà les différents témoignages à l’encontre de l’enseignante-chercheuse, sélectionnés dans les différents dossiers, n’avaient convaincu personne. « Nous aurions sans doute dû fournir les dossiers entiers pour que vous preniez plus conscience de l’ampleur des plaintes récoltées. », explique l’université. Des plaintes qui, selon Mme XX, ont été montées de toutes pièces par la représentante de l’université et ses collègues, « qui mènent une véritable vendetta à [son] encontre. »
Adjugé. Après une heure à se renvoyer la balle, il est temps de conclure. L’université demande l’application de la peine initialement annoncée au début de l’affaire et qu’on ne minimise pas le retentissement des comportements de l’enseignante. Mme XX, elle, requiert une nouvelle fois la relaxe. Après une courte délibération, les juges la suivent. Le dossier est clos.
Vous pouvez accéder à la décision du Cneser ici !