Quand avez-vous rencontré un chercheur ou une chercheuse pour la dernière fois ? (Avez-vous compris ce qu’il ou elle vous a dit ?)
La dernière chercheuse que j’ai rencontrée est Ariane Mézard, une mathématicienne, professeure à l’École normale supérieure. Je l’ai rencontrée au moment où je commençais à réfléchir à mon film et elle a dissipé tous les clichés que je pouvais avoir sur le milieu.
Il y a peu, nous avons réalisé une interview ensemble pour un magazine scientifique où elle expliquait en quoi consistait ses recherches. À chaque fois qu’elle essaye de me faire comprendre ce sur quoi elle travaille, je décroche au bout de cinq minutes. Ça a vraiment l’air passionnant mais je pense que je comprends encore moins que quelqu’un qui ne comprend rien. Ce à quoi il faut ajouter une frustration de ne pas réussir à comprendre… qui me bloque certainement.
Mais finalement, ça ne me dérange pas tant que ça… Ce que je trouve beau c’est d’observer sa passion quand elle me parle de mathématiques. En discutant avec elle ou d’autres chercheurs de leurs travaux, il m’est arrivé de les envier. J’avais envie de ressentir cette effervescence, de vivre leur voyage dans l’abstraction des mathématiques. Je rêverais de pouvoir entrer dans leur tête. Alors, même si je ne comprends pas, ça me suffit d’être fascinée par eux.
La dernière fois que la science vous a enthousiasmée ?
Sans doute quand j’ai découvert un documentaire sur Andrew Wiles et le théorème de Fermat. Ce n’est pas tant la science qui a été le sujet de mon émerveillement, mais toutes les épreuves surmontées avant de réussir à démontrer ce théorème. Il y a quelque chose de fascinant et de merveilleux là-dedans.
La dernière fois que la science vous a fait peur ?
Je ne sais pas si je pourrais trouver un exemple bien précis. On sait que parfois la science peut permettre des découvertes… disons dangereuses, comme la bombe atomique. Il y a ce dilemme entre la jubilation d’avoir trouvé quelque chose de nouveau et la peur des conséquences dévastatrices qui peuvent en découler. C’est un sentiment que beaucoup de scientifiques sont amenés à ressentir.
Une de mes premières questions à Ariane concernait les applications de ses travaux. Elle m’a expliqué qu’elle n’y pensait pas lorsqu’elle faisait des mathématiques. Elle se concentre plutôt sur l’abstraction dans laquelle elle se balade.
En écrivant le film, on s’est justement posé la question de savoir si Marguerite devait trouver quelque chose de révolutionnaire qui aurait une application dans le monde réel. Mais je trouvais ça plus beau qu’elle soit comme une sorte d’artiste. A quoi sert la conjecture de Goldbach [explication en NDLR]? Sans doute y aura-t-il des applications mais ce n’est pas ça qui m’intéresse. Je voulais montrer cette quête, cet accomplissement du personnage à travers les mathématiques.
L’invention qui reste à inventer ?
Une invention qui nous permettrait de voler ? Des ailes que l’on pourrait accrocher sur notre dos pour se balader dans les airs… Ce serait fou !
Conseilleriez-vous à vos enfants de devenir chercheur ?
Si c’est ce qu’ils veulent faire, alors oui bien évidemment ! Je pense qu’il faut soutenir les enfants dans leur choix, leur faire confiance et ne pas avoir trop peur pour eux. Dans le film, la mère de Marguerite a trop peur pour sa fille. On sent que Marguerite cherche à se défaire de l’emprise qu’exerce sur elle l’angoisse de sa mère. C’est aussi un film d’émancipation.
Alors oui, si je sentais que mon fils avait un intérêt pour la science, évidemment que je serais derrière lui. C’est un métier passionnant et qui, à mes yeux, va à l’encontre de ce monde où l’on cherche constamment la rentabilité, le gain de temps. Je ne pense pas qu’on fasse de la recherche pour bien gagner sa vie, surtout en France. Quand on est baigné dans un travail qui nous passionne, on ne regarde pas sa montre.
Tout comme le cinéma, la recherche procure des émotions et des satisfactions, souvent plus importantes que le monde réel.