Les universités veulent des preuves d’amour

Attaquées sur leurs finances comme sur leurs missions en cette rentrée, les universités se défendent tant bien que mal.

— Le 4 octobre 2023

Concerto mineur. Ça fait déjà trois mois que le gouvernement chantonne un air crescendo : les universités — et organismes de recherche — de l’Hexagone rouleraient sur l’or ou plutôt sur des fonds de roulements censément excédentaires que l’État, tout à sa mission d’équilibrage des comptes, verraient bien revenir tout ou partie dans les caisses de Bercy. À tout seigneur tout honneur, c’est Bruno donc Le Maire qui a donné le la dès fin juillet, en se basant sur la première revue des dépenses publiques, pointant un milliard d’euros mobilisables au CNRS et ailleurs. Au moment de préparer la loi de finances pour 2024, le ton était donné. Mais qu’un ministre du Budget veuille des coupes claires, cela n’avait somme toute rien d’étonnant. Ce n’était que le premier mouvement.

« On ne peut pas payer le chauffage avec des appels à projets »

Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg

Pognon de dingue. Les vacances passées, c’est au détour d’une interview au youtubeur Hugo Décrypte que le président Emmanuel Macron s’est attelé à dessiner un portrait bien peu flatteur des universités, qui n’en demandaient pas tant : « Avec les moyens qu’on met, on devrait faire beaucoup mieux (…), on n’est pas un pays qui sous-investit dans son enseignement supérieur », ignorant sciemment que le budget par étudiant fond depuis au moins dix ans, comme l’indiquent d’ailleurs le ministère de la Recherche et l’Insee. Ce genre de saillies, ça faisait longtemps que les présidents d’université n’en avaient pas été la cible, à écouter les intéressé·es lors d’une conférence de presse d’Udice qui représente les établissements de “recherche intensive” mi-septembre.

Preuves d’amour. À ce double reproche, les édiles tentent de répondre de concert : « Les universités usines à chômeur, on n’avait pas entendu ça depuis Alice Saunier-Seïté [ministre des Universités jusqu’en mai 1981, on peut y ajouter ce discours de Nicolas Sarkozy en 2009, NDLR]. C’est à se demander si la France aime ses universités », déplore Alain Fuchs, président de PSL. « Des millions qui dorment ? Attendez qu’un prestataire nous demande dans deux ans de payer ses factures. On ne peut pas payer le chauffage avec des appels à projets. Nos budgets sont difficiles à boucler et nous serons dans deux ans pratiquement tous en déficit. C’est la quadrature du cercle, le patrimoine immobilier est dans un état préoccupant. Nous sommes tous contents que le point d’indice augmente [suite aux mesures “Guérini”, NDLR] mais quelle solidarité nous demande-t-on ? », abondait Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg. 

« Le gouvernement affiche une volonté de nous asphyxier financièrement »

Anne Roger (Snesup-FSU)

Roule galette. « On fait d’un sujet technique un sujet de société, personne ne comprend [réellement] ce qu’est un fond de roulement, notre budget total est de 800 millions, soit l’équivalent de la ville de Strasbourg (…) Le budget disponible n’est pas le projet à un instant T, aucune structure publique ni privée ne pourrait le comprendre, c’est une vision technique et parcellaire », se défend Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université. Du côté des syndicats, le langage est encore plus cru : « Le gouvernement affiche une volonté de nous asphyxier financièrement », explique Anne Roger (Snesup-FSU). Guillaume Gellé, président de France Universités, a reconnu devant les députés le 27 septembre que sur le milliard d’euros de fond de roulement estimé par le gouvernement, seuls 600 millions existaient réellement, soit moins de 10 millions par établissement. « Certainement pas de l’argent qui dort », a-t-il assuré. Le ministère allouera 215 millions de compensation aux universités, charge à ces dernières de mettre la main au portefeuille pour financer le reliquat. À noter que le CNRS, pourtant ciblé initialement par Bercy, semble pour l’instant tirer son épingle du jeu.

Double discours. Pourtant, la rentrée est duraille : « Nous obliger à puiser dans nos fonds de roulement, en laissant entendre que cet argent « dort », est incompréhensible. Cela aura des conséquences sur les investissements en recherche et les projets de décarbonation souhaités par le Président de la République », pointait Guillaume Gellé, président de France Universités le 27 septembre dernier. « La réalité est belle et bien celle-ci : nous allons devoir être prudents dans nos recrutements d’enseignants-chercheurs puisque nous n’aurons pas de quoi les payer. En affaiblissant les universités, on affaiblit les politiques publiques de notre pays », continue-t-il devant les députés de la Commission des Affaires culturelles, qui l’ont ensuite pressé de questions sur les propos d’Emmanuel Macron. Et ce au moment où la recherche française décroche progressivement dans les classements mondiaux.

« Nous allons devoir être prudents dans nos recrutements d’enseignants-chercheurs »

Guillaume Gellé, France Universités

Fleuret moucheté. Manière de répondre indirectement à sa ministre de tutelle qui n’y avait pas été par quatre chemins le 30 août dernier devant les édiles de France Universités : « Je vais être franche et directe : le budget de notre ministère, même en augmentation, ne permettra pas de couvrir la totalité de ces mesures [les mesure dites Guérini de revalorisation, NDLR], ni en 2023, ni en 2024 et il vous sera demandé de contribuer » a-t-elle déclaré lors des universités d’été du lobby. Le paradoxe est que les années 2023 et 2024 semblent de l’extérieur en effet plus favorables aux personnels qu’aux établissements avec les « mesures Guérini » de hausses du point d’indice et une prime de pouvoir d’achat dont l’octroi est prévu d’ici la fin de l’année. Autant de bonnes nouvelles pour les uns qui ne seront que partiellement compensées, a donc prévenu tout de go Sylvie Retailleau. Sans compter l’inflation toujours galopante ou les prix de l’énergie toujours élevés même s’ils occupent moins les Unes que l’année dernière.

Comme le  “Che”. Depuis la rentrée, Sylvie Retailleau, ex-présidente de Paris Saclay, joue à fond son rôle de ministre sans se départir de la solidarité gouvernementale. Dès fin août, la ministre avait prévenu qu’« il n’y aurait pas de miracles ». Et de miracle, il n’y a en effet pas eu dans les semaines qui ont suivies, sous l’œil résigné et contraint des président·es d’université. Ces derniers soutiennent malgré tout l’action de celle qui était encore présidente de la commission recherche de France Universités en 2022. Mais Sylvie Retailleau est tenue par la jurisprudence Chevènement — un ministre « ça ferme sa gueule ou ça démissionne » —, résumait Janick Brisswalter, président de l’université de Nice le 20 septembre dernier. Manière de rejeter la responsabilité des ponctions sur le reste de l’exécutif… « On ne peut plus être collègue quand on est ministre, elle doit être solidaire de son gouvernement », tempère Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg.

« La grande majorité des universités seront en déficit en fin d’année »

Dean Lewis, université de Bordeaux

Vices et versa. La situation des universités est d’autant plus paradoxale que certaines bénéficient d’appels à projets extrabudgétaires parfois importants, comme à Bordeaux ou à Strasbourg, deux Idex de premier plan. Des sommes qui ne viennent pourtant pas renflouer des budgets qui se videraient à vitesse grand V. Dean Lewis, président de l’université de Bordeaux, prévoit que la « grande majorité des universités seront en déficit en fin d’année (…) contre 18 ou 19 » l’année dernière sur les 72 que compte le territoire. De quoi réalimenter le procès en mauvaise gestion venant de Bercy et de l’Élysée. Vous avez dit cercle vicieux ? La nomination de Sylvie était « une très bonne nouvelle pour nos universités, pour la recherche française et son rayonnement, mais aussi pour nos personnels et pour nos étudiants », avançait France Universités en 2022 à la nomination de Sylvie Retailleau. Les intéressé·es changeront-ils d’avis ?

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