La recherche prise au piège de la stagnation

La France a un premier ministre mais toujours pas de ministre de la Recherche au moment où se décident les budgets pour l’année 2025. Qui en fera les frais ?

— Le 11 septembre 2024

C’est au pied du mur qu’on voit mieux le mur. Avec l’arrivée de Michel Barnier à la tête d’un futur gouvernement dont on attend encore les premières nominations, la période de “démission” au sommet de l’État touche bientôt à sa fin après 51 jours d’attente rendus, semble-t-il, plus supportables par les Jeux olympiques et paralympiques. Les premiers noms du gouvernement devraient en effet tomber dans les jours qui viennent. À moins que l’intéressé — qu’aucun délai légal ne contraint — ne prenne lui aussi son temps pour réunir une équipe gouvernementale capable d’aller chercher des majorités dans une Assemblée nationale éparpillée façon puzzle. Après les grandes peurs ressenties au sein de l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) quant à une éventuelle arrivée du Rassemblement national (lire notre édito spécial), le temps est à la reconstruction. 

« Faire du “flat”, c’est revenir en arrière »

Philippe Mauguin, Inrae

Chaises vides. « Michel Barnier va composer un gouvernement très politique dans lequel chaque ministre sera choisi en fonction de sa capacité à réunir une majorité de députés. On change de régime », témoigne un bon connaisseur de la chose politique. Quant à l’ESR, les inconnues sont nombreuses. « Nous vivons une période de grande incertitude politique et budgétaire, il faut serrer les dents et s’accrocher », témoignait Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne et présidente de l’Université Lumière Lyon 2, au congrès des vice-présidents Recherche à Lyon le 27 août dernier. « C’est le bordel », commentait encore plus crûment un dirigeant de l’ESR en coulisses du même évènement. Comme dans d’autres secteurs, des nominations ont été suspendues durant le trou d’air gouvernemental : celle du futur président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres, Guillaume Gellé et Stéphane Le Bouler sont sur les rangs), celle d’une directrice ou d’un directeur de la recherche et de l’innovation au ministère de la Recherche ou, moins urgente, la reconduction de Philippe Mauguin à la tête de l’Inrae. Que sortira de cette pagaille ?

Tic Tac. C’est que le temps manque. Le calendrier édicté par le projet de loi de finances pour l’année 2025 est en effet bien arrêté : la loi doit être promulguée d’ici fin décembre prochain. Le premier ministre Gabriel Attal a néanmoins fait parvenir des lettres de cadrage budgétaire aux ministères le 20 août dernier. Présentées comme temporaires en l’attente du nouveau gouvernement, elles donnent néanmoins la tendance pour l’année 2025. L’année 2024 avait été marquée par 900 millions d’économies pour les établissements (nous vous en parlions) même si, selon nos derniers échanges avec le ministère, un montant finalement moins important aurait été ponctionné. À quelle sauce sera mangée la recherche l’année prochaine ? Les premières orientations budgétaires, connues depuis début septembre, font état d’un budget prévisionnel plus que serré. En diminution de 1%, voire de 1,6 % pour la Mission Recherche et enseignement supérieur (Mires) selon le comptage de nos confrères de Newstank, le budget du ministère restant lui en positif, sauf contre-ordre.

« Nous vivons une grande période de grande incertitude (…) Il faut serrer les dents et s’accrocher »

Isabelle von Bueltzingsloewen, Lyon 2

Chose promise… « Les crédits de la mission ESR sont en baisse de 1 %. La LPR [loi de programmation de la recherche, NDLR] est enterrée vivante ! J’avais voté contre cette loi insuffisante et me voici obligé de défendre la trajectoire qui y est inscrite. Ce gouvernement n’aime pas nos chercheurs. Il est temps d’en changer et vite », commente le sénateur PCF Pierre Ouzoulias sur X. Du côté du ministère, la priorité est de sauvegarder les acquis de cette LPR, tout particulièrement les augmentations prévues pour les personnels de recherche, sujet de toutes les attentions. Car, si le gouvernement a promis de maintenir à niveau les dépenses de la loi de programmation militaire — 413 milliards d’euros jusqu’en 2030 —, comme l’a annoncé l’ex-premier ministre Gabriel Attal en conférence de presse, il n’en a pas fait autant pour la LPR.

Chose due ? Pas de quoi rassurer Antoine Petit, PDG du CNRS, présent lui aussi au Congrès des VP à Lyon : « Mettons les choses dans le bon ordre : la DIRD [dépense intérieure en recherche et développement, NDLR] est la même qu’en 1995 alors que la Chine est passé de 0,6 à 2,4% (…) c’est ça la vraie question. Il faut accélérer la LPR ». Avec une clause de revoyure qui se fait toujours attendre, force est d’admettre qu’on est loin aujourd’hui d’un coup de pouce significatif. De plus, « sans visibilité pluriannuelle [sur les budgets, NDLR], ça va être compliqué. Or nous n’en avons pas aujourd’hui (…) Il faut que les engagements de la LPR soient respectés : je ne suis pas alarmiste mais faire du “flat” [stationnaire en VF, NDLR], c’est revenir en arrière », se désolait Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae, lors du même colloque.

La recherche conservera-t-elle un ministère de plein exercice ?

Tous ensemble ? « Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare. Il y a un besoin d’investir dans l’éducation, la recherche, la réindustrialisation de la France, besoin de traiter les enjeux sociaux… Nous avons la responsabilité collective d’expliquer les vrais enjeux aux politiques », assénait le même Antoine Petit à Lyon. Pourtant, malgré cette concorde de façade, les principaux représentants de la recherche en France (organismes, universités, écoles…) ne semblent pas enclins à prendre la parole collectivement pour défendre le secteur, laissant « Bercy rentrer dans les failles » ouvertes par les débats récurrents sur la gestion des Unités mixtes de recherche (UMR) et tutti quanti. Une perspective que le départ très probable de Sylvie Retailleau du ministère de la Recherche, une personnalité issue du sérail appréciée pour sa transparence malgré les aléas, rend d’autant plus problématique.

One to one. Au cours de son mandat, Sylvie Retailleau a mis en avant à de nombreuses reprises la chance que représentait le fait d’occuper un ministère « de plein exercice » où l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas éparpillés entre plusieurs maroquins. La première étant dans ce cas souvent reléguée à un secrétariat d’État dans l’Éducation nationale, la seconde parfois au sein d’un ministère de l’Industrie, comme ce fut le cas durant le mandat de Jean-Pierre Chevènement de 1984 à 1986. Plus difficile dans ces conditions d’arracher des arbitrages avec un président de la République, que ce soit en tête à tête ou lors des conseils des ministres, surtout sur un sujet aussi peu porteur politiquement que la recherche. Mais, même en son absence, certains sujets avanceront.

« Il ne faut pas laisser Bercy rentrer dans les failles »

Antoine Petit, CNRS

Should I go ? L’allocution du 7 décembre dernier d’Emmanuel Macron (que nous analysions) avait gravé dans le marbre quelques évolutions du système de la recherche : simplification, universités chefs de file, appels à projets “à risque”, agences de programme… Des promesses toujours en gestation malgré des avancées, notamment sur les frais de missions. Le “PR” avait donné rendez-vous dix-huit mois plus tard aux acteurs présents ce jour. Ce qui en fait peut-être le principal argument à un improbable maintien de Sylvie Retailleau, une personnalité hors des partis (relire notre interview), dans un futur gouvernement Barnier forcément très politique : la rémanence de la parole élyséenne.

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