Quelles ont été les réactions du monde académique à l’annonce de la réélection de Trump ?
Je voulais tout d’abord préciser que je ne parlais pas au nom de l’ensemble de l’académie américaine. Ceci étant dit, le sentiment général est que ce nouveau mandat de Donald Trump sera très difficile pour les scientifiques. Les sujets inquiétudes sont nombreux du point de vue de la culture et des initiatives liées à la diversité, à l’équité, à l’inclusion dans les universités ainsi qu’en ce qui concerne l’immigration : les universités américaines sont très fréquentées par les étudiants et chercheurs étrangers et les conditions de leur accueil sous la seconde administration Trump sont incertaines. Mais une chose est sûre : nous n’espérons pas une augmentation des budgets scientifiques. Au cours de son dernier mandat, Trump annonçait réduire considérablement le financement de la R&D — de presque 19 % sur une décennie. Certaines législations adoptée sous l’administration de Joe Biden sont menacées : d’une part The Chips and Science Act [autorisant de nouveaux financements pour stimuler la recherche et la fabrication de semi-conducteurs aux États-Unis, NDLR] et d’autre part l’Inflation Reduction Act [plan de plusieurs centaines de millions de dollars pour financer des mesures autour du climat sur dix ans, NDLR]. Malgré de grosses difficultés dans certains domaines, d’autres pourraient avoir quelques opportunités de progrès.
« Il ne fait aucun doute que la politique générale sera de revenir sur les avancées faites en matière de climat »
Quelles sont ces opportunités ?
Par exemple pour réformer et moderniser le National Institute of Health (NIH) ou pour améliorer l’efficacité du financement de la recherche et ses retours sur investissement. Il pourrait également s’agir d’une excellente occasion pour créer des partenariats entre les universités et l’industrie. Nous l’avions vu lors du premier mandat de Donald Trump avec l’opération Warp Speed, initiée par le gouvernement pour faciliter et accélérer le développement et la distribution des vaccins COVID-19. Parmi la masse de défis à relever, il devrait au moins y avoir quelques points positifs pour l’innovation.
Donald Trump a condamné certains aspects des dépenses fédérales en matière de recherche, notamment dans les domaines du climat et des énergies renouvelables. Qu’y a-t-il à craindre de ce côté ?
Nous en saurons plus sur ses intentions dans les semaines à venir notamment concernant l’encouragement à l’exploitation des combustibles fossiles, l’expansion des forages en mer ou encore la fin des politiques énergétiques avant-gardistes de Joe Biden. Il ne fait aucun doute que la politique générale sera de revenir sur les avancées faites en matière de climat. Mais en réalité, de nombreux aspects de la transition énergétique ont déjà franchi un point de bascule aux États-Unis et sont susceptibles de continuer sur leur lancée même sans le soutien du nouveau gouvernement. Une grande partie de ses financements [provenant de l’Inflation Reduction Act par exemple, NDLR] sont déjà mis en place. Le secteur privé, qui gagne déjà beaucoup d’argent grâce aux “technologies propres”, pourrait également faire obstacle à certaines actions proposées par Donald Trump. La prise de conscience sur les chaleurs extrêmes et les catastrophes naturelles est réelle, les incendies ravageurs étant de plus en plus fréquents dans le pays. C’est un problème auquel nous n’avons pas été suffisamment préparés et la population le réalise. Il y aura des retours en arrière mais aussi des opportunités pour aller de l’avant.
« Robert Kennedy Jr représente une menace majeure pour la confiance des citoyens dans la science »
Trump possède-t-il plus de pouvoir que dans son précédent mandat pour mettre en œuvre ses promesses ?
La situation est compliquée et incertaine. Les deux chambres du Congrès et l’administration sont clairement plus alignées sur le plan politique — ce n’était pas le cas lors de son premier mandat. Autre nouveauté : l’administration entrante a une meilleure connaissance du fonctionnement du gouvernement grâce à l’expérience acquise lors de son premier mandat. Il est donc probable que les mesures prises soient plus efficaces. Mais d’un autre côté, les milliards de dollars pour le changement climatique par l’administration de Joe Biden n’avaient pas été engagés. Le Congrès pourrait décider de ne pas renouveler le budget de la loi sur le climat mais elle est très populaire — y compris dans certaines régions qui soutiennent Trump — car beaucoup d’emplois y sont directement liés. Ainsi, certaines de ses promesses pourraient être difficiles à mettre en œuvre.
L’inquiétude grandit dans le domaine de la santé suite à la nomination de Robert F. Kennedy Jr. comme ministre de la santé. En quoi est-ce révélateur des projets de Donald Trump en matière de science ?
La proposition de nommer Robert F. Kennedy Jr. au poste de secrétaire d’État à la santé est en effet très préoccupante, notamment du fait qu’il ne croit pas ouvertement aux vaccins et à la science qui les sous-tend. Mais pas seulement : il représente également une menace majeure pour la confiance des citoyens dans la science et dans les institutions scientifiques. Certaines de ses propositions pourraient néanmoins permettre des opportunités de progrès. Par exemple, exercer une pression sur le NIH pourrait l’inciter à financer différemment, en investissant dans des recherches plus risquées et plus rémunératrices. RFK Jr. a également formulé un certain nombre de promesses dans l’optique de « Make America Healthy Again », notamment l’idée de rendre la Food and Drug Administration (FDA) plus efficace. Mais si certains des projets de RFK Jr. — tels que la diminution des aliments non transformés, une meilleure nutrition, de meilleures pratiques agricoles — sont en effet nécessaires pour rendre les États-Unis plus “healthy”, comment tirer du positif de ce message lorsqu’il émane d’une personnalité qui ne croit pas aux principes scientifiques fondamentaux, comme l’importance des vaccins, et qui est largement discréditée par le monde médical ?
« J’ai une fille qui va entrer à l’université l’année prochaine et il est difficile pour moi de réaliser que l’environnement dans lequel elle va évoluer risque d’être beaucoup moins bienveillant »
Donald Trump a adopté des positions très dures au sujet des luttes contre les discriminations, les politiques de diversité, etc… Les universitaires sont souvent visés par ses critiques. Y a-t-il un risque qu’il tente d’établir une nouvelle hégémonie culturelle ?
Il y a des inquiétudes dans tout le pays à ce sujet, elles sont légitimes. Nous voyons déjà certaines universités changer leur discours sur les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion suite aux pressions exercées sur les institutions publiques pour qu’elles n’affichent pas ouvertement de politiques de diversité sur les campus. Et c’est évidemment un point très préoccupant. J’ai une fille qui va entrer à l’université l’année prochaine et il est difficile pour moi, en tant que parent et citoyenne américaine, de réaliser que l’environnement dans lequel elle va évoluer dans les prochaines années risque d’être beaucoup moins bienveillant et accueillant.
Donald Trump pourrait-il avoir un impact direct sur les politiques au sein des universités ?
Il n’aurait pas le pouvoir d’influencer directement sur les politiques de recrutement d’une université mais il pourrait plus indirectement exercer des pressions sur les établissements pour tenter de limiter la liberté académique. On peut imaginer des restrictions en termes de financements fédéraux — provenant de la National Science Foundation, du NIH ou d’autres agences — pour des établissements ou pour des prêts étudiants subventionnés par le gouvernement fédéral qui seraient d’une manière ou d’une autre liées à des programmes de diversité et d’inclusion. Mais ce n’est pas un avenir que je souhaite imaginer.
Donald Trump a également promis de faciliter le licenciement d’experts du gouvernement, scientifiques ou non, s’ils s’opposent à son programme politique…
Il faut faire la distinction entre les scientifiques qui travaillent pour le gouvernement fédéral et ceux qui travaillent dans l’académie. Ces politiques ne s’appliqueraient pas à l’académie mais il est certain que les experts du gouvernement, qu’ils soient scientifiques ou non, pourraient être plus menacés. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait mis en place un décret facilitant le licenciement des employés fédéraux [qui ne seraient pas d’accord avec ses projets politiques par exemple, NDLR]. Bien que ce décret ait été révoqué par l’administration Biden, il a annoncé son intention de le réinstaurer le premier jour de son retour à la Maison Blanche. Cette mesure s’appliquerait à tous les fonctionnaires fédéraux susceptibles d’influencer la politique… Ce qui, comme vous pouvez l’imaginer, représente un risque élevé pour la démocratie.
« S’il y a de très probables périls, il peut aussi y avoir de réelles opportunités »
Comme lors de son précédent mandat, il a évoqué la réduction des visas. Quel sera l’impact sur les partenariats internationaux ? Sera-t-il toujours envisageable de s’expatrier, scientifiquement parlant, aux États-Unis ?
C’est un élément qui demeure encore incertain. Il y a quelques mois, juste après les élections, je vous aurais répondu oui. Mais les discours récents autour des visas H-1B — pour les personnes hautement qualifiées [nous vous en parlions, NDLR] — donnent l’impression inverse. Ces voies d’accès pourraient être moins touchées qu’on ne le pensait au départ. Cela étant dit, je pense que le message envoyé par Donald Trump au sujet de l’immigration présente le risque que les étudiants ou chercheurs étrangers soient moins nombreux à vouloir venir aux États-Unis. Il pourrait aussi y avoir un effet bénéfique : un plus grand nombre d’étudiants américains auraient l’occasion d’étudier en dehors des États-Unis afin d’enrichir leur capital de connaissances et de créer davantage de collaborations scientifiques internationales.
Quelles pourraient être les conséquences d’un rôle aussi direct des leaders de la tech tels qu’Elon Musk dans l’élaboration des récits politiques ?
Pour moi c’est l’un des résultats les plus frappants et les plus inattendus de cette élection. Personne n’avait vraiment réalisé leur influence et l’ampleur du rôle qu’ils pourraient jouer à l’avenir. La présence d’Elon Musk au gouvernement en est la preuve et aura sans doute un impact considérable. Il devrait être en mesure d’exercer une influence non négligeable sur les agences fédérales en réfléchissant à la manière de repenser l’efficacité administrative. Ce qui pourrait évidemment aider Trump à concrétiser ses projets de réduction de dépenses et de suppression de certains postes.
« Oui, nous allons devoir travailler très différemment au cours des quatre prochaines années »
Craignez-vous que ce nouveau mandat porte le coup de grâce à la confiance dans les sciences aux États-Unis ?
Je suis foncièrement optimiste et je pense que les sciences en tant qu’institution ainsi que les relations sciences-politique ont une longue histoire et ne peuvent pas être complètement brisées. Mais cette confiance pourrait en effet continuer à s’éroder. Avec l’IA et leur capacité à générer de fausses informations, à modifier les normes auxquelles nous pouvons nous fier pour prendre des décisions, cela va évidemment devenir de plus en plus difficile. Mais la communauté scientifique peut s’unir et redoubler d’efforts en utilisant ces mêmes outils d’IA, qui peuvent susciter la méfiance, pour restaurer la confiance. Les sciences auront leur rôle à jouer dans la responsabilisation du gouvernement. Oui, nous allons devoir travailler très différemment au cours des quatre prochaines années mais je pense que les dommages ne seront pas irréversibles. Il est important que la communauté scientifique adopte une approche nuancée : s’il y a de très probables périls, il peut aussi y avoir de réelles opportunités.