La culture scientifique en pleine déconfiture ?

La fermeture récente d’une aile du Palais de la découverte n’est-elle que la partie émergée de l’iceberg pour la culture scientifique ?

— Le 19 mars 2025

Fermé pour travaux depuis 2020, le Palais de la découverte va (enfin) rouvrir ses portes (mais partiellement) en juin 2025. Cette institution scientifique incontournable de la capitale française y présentera sa première exposition temporaire Intelligence Artificielle. En octobre 2024, une annonce du ministère de la Culture est pourtant venue gâcher la fête. Le “palais” s’est en effet vu retirer l’usage d’une de ses galeries au profit du Grand Palais, qui doit accueillir le Centre Pompidou le temps de sa restructuration pour les cinq prochaines années. Pollock plutôt qu’Einstein ? Les dents ont grincé : « L’indispensable diffusion de la culture scientifique et technique (…) est ici bafouée », avait alors dénoncé la Société des amis du Palais de la découverte (Sapade). « Disposer pleinement à Paris de deux lieux dédiés à la médiation scientifique (…) n’est pas un luxe », s’était aussi alarmée l’Académie des sciences

« Nous ne semblons plus être dans une période de promotion [de la culture scientifique] »

Andrée Bergeron

Premier de la classe. Pour la communauté scientifique — très attachée à l’institution — et pour les acteurs de la culture scientifique, la perte d’un espace d’exposition, bien que provisoire, est hautement symbolique. Autant bien sûr « l’opposition introduite par cette réattribution au sein même de la culture », comme l’indique l’Académie des sciences, que « l’échelle des priorités qu’elle révèle ». Du côté des médiateurs scientifiques du Palais, la pilule a toujours du mal à passer. Après avoir réussi à faire vivre près de cinq ans « l’esprit Palais » dans un espace réduit au sein des Étincelles du Palais de la découverte — une structure éphémère installé dans le 15ème arrondissement de Paris en attendant la réouverture du musée —, « nous avons un sentiment de gâchis, d’apathie », explique l’un d’entre eux qui a souhaité rester anonyme. Pourtant, « la situation actuelle n’est que le rebondissement contemporain d’une situation qui revient régulièrement », explique Charlotte Bigg, historienne des sciences au CNRS et commissaire scientifique du Palais. Remontons donc dans le temps.

Retour vers le futur. Le Palais de la découverte prend ses quartiers dans le palais d’Antin, une branche du Grand Palais, en 1937 à l’occasion de l’Exposition universelle et s’y installe définitivement l’année suivante suite à son succès éclatant — plus de deux millions de visiteurs en six mois. Niché aux côtés de la Nef et des galeries nationales du Grand Palais, les locaux du musée scientifique deviennent vite l’objet des convoitises de son voisin. Ses espaces « ont été peu à peu grappillés », nous fait remarquer notre source médiateur scientifique, réduisant la surface initiale de 20 000 m² à un peu plus de 11 000 m² en novembre 2020 décrit le média Reflet de la physique. Une histoire de rivalité presque vieille d’un siècle, donc. Suite à l’annonce de la réattribution de la galerie au Grand Palais en octobre 2024, son président Didier Fusillier avait d’ailleurs déclaré : « Ce qui est anormal, c’est [que cette galerie] ait été annexée par le Palais de la découverte [en 1937, NDLR] ». Illustrant par la même occasion la difficile cohabitation des deux instances. 

«  Le Palais de la découverte naît en même temps que le CNRS »

Charlotte Bigg

Fon-da-men-tal. Les tensions s’étaient déjà ravivées en 2009, lorsque la fusion du Palais de la découverte avec la Cité des sciences et de l’industrie sous le nom d’Universcience avait été actée. Une fusion qui avait fait craindre aux salariés ainsi qu’aux scientifiques un repli du musée sur le site de la Villette. Nombreux étaient alors ceux qui questionnaient l’utilité d’avoir deux musées scientifiques à Paris. Pourtant, « personne ne songerait à fusionner le théâtre de la ville et celui du Châtelet », nous pointe le médiateur. Un poids deux mesures pour la culture scientifique ? La capitale française accueille en réalité une grande diversité d’établissements scientifiques — le musée des Arts et Métiers, le Muséum national d’Histoire naturelle, le musée du Quai Branly… — et chacun en propose une approche singulière propre, la science exposée étant souvent rattachée à un autre domaine (histoire, industrie, patrimoine…). Le Palais de la découverte ayant lui la particularité de faire de la recherche fondamentale le cœur de son propos. « J’aimerais entendre un discours clair de la part des tutelles notamment sur la complémentarité de nos approches, et la nécessité de préserver le patrimoine matériel et immatériel que constitue le Palais et ses médiation », nous explique le médiateur scientifique. 

… sans conscience. Première grande institution française consacrée à ce que l’on appelle aujourd’hui la diffusion de la culture scientifique, « le Palais de la découverte naît en même temps que le CNRS, dans une période de structuration d’une politique de la recherche telle qu’on la connaît aujourd’hui », explique Charlotte Bigg. La science apparaît à l’époque comme un moyen de résoudre les crises diplomatiques et économiques que traverse le pays. « L’histoire du Palais est faite de périodes d’intérêt et de désintérêt de l’État », poursuit Andrée Bergeron, maîtresse de conférences du Muséum en histoire des sciences au Centre Alexandre-Koyré. La culture scientifique se développe particulièrement dans les années 80, alors que l’union de la gauche de François Mitterrand arrive au gouvernement et s’investit des questions relatives aux sciences et à la recherche. « La promotion de la connaissance était perçue comme un moyen de progrès social, de progrès économique mais aussi de cohésion internationale », explique Andrée Bergeron. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche et de la Technologie, annonce lors d’un colloque vouloir « diffuser le savoir et faire reculer les préjugés contre la science », tout en développant l’offre régionale. Annonce qui préfigurera l’émergence de centres de culture scientifique dans tout le pays. « Aujourd’hui nous ne semblons plus être dans une période de promotion de ce type », poursuit Andrée Bergeron.

« Les attaques de Donald Trump sont extrêmement inquiétantes pour nos démocraties, il ne faut pas croire que ça n’aura pas d’impact chez nous »

Laure Danilo

Serrer la ceinture. Preuve en est la situation budgétaire du milieu de la recherche — prise au piège de la stagnation, voire de la récession — mais aussi celle du milieu de la culture. En novembre dernier, l’annonce brutale de larges coupes dans les budgets de l’État et des collectivités territoriales a conduit dans certains territoires à la dégradation de l’offre culturelle. Le cas de la région Pays-de-la-Loire étant le plus significatif avec l’annonce brutale de sa présidente Christelle Morançais d’une réduction de 66 à 73 % de son budget culturel. « Ces coupes ont un impact extrêmement important dans certains territoires sur le financement de nos structures », précise Laure Danilo, présidente de l’Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle (Amcsti). Les acteurs de ce réseau prévoient ainsi, pour près de deux tiers d’entre eux, une baisse de leurs actions en direction des publics en 2025. L’exemple le plus marquant : l’arrêt des subventions de la région des Pays-de-la-Loire dont bénéficiait notamment le festival des Utopiales, menaçant ainsi son existence. On peut citer aussi la réduction drastique de celles des Rencontres de l’esprit critique (REC), qui se dérouleront du 7 au 13 avril. Autre conséquence directe de ces coupes claires, le gel de la part collective du Pass Culture, allouée aux établissements scolaires pour financer des projets culturels. Un communiqué de l’Amcsti prévoit ainsi une baisse de 35% du nombre d’élèves qui pourront bénéficier de cette offre en 2025 par rapport à l’année précédente. 

Entraide. « La situation du Palais de la découverte est sans doute le signe moindre intérêt de l’État pour ces questions », poursuit Andrée Bergeron. En 2022, un rapport parlementaire s’alarmait d’ailleurs de l’état de la culture scientifique en France et dressait un bilan mitigé des politiques menées en sa faveur. Un collectif de scientifiques et de parlementaires s’étaient alors alarmés dans une tribune au Monde : « La culture scientifique reste à trop d’égard un parent pauvre », avaient-ils déclaré inquiets de la voir pâtir d’un problème systémique de considération, de gestion, de pilotage et de moyens. « La culture scientifique est une politique publique qui a vraiment du sens à être portée de manière interministérielle », explique Laure Danilo.

« Nous sommes très inquiets des conséquences désastreuses du recul de l’accès à tous les élèves à la culture scientifique »

Laure Danilo

Agent orange. Les signaux sont d’autant plus inquiétants qu’ils apparaissent dans un contexte où les courants anti-sciences se font de plus en plus prégnants. « Les attaques de Donald Trump contre la science [relire notre analyse] sont extrêmement inquiétantes pour nos démocraties, il ne faut pas croire que ça n’aura pas d’impact chez nous », souligne par exemple Laure Danilo. Et si les décideurs politiques semblent s’accorder sur la nécessité d’attirer les jeunes générations vers les milieux scientifiques, « les décisions budgétaires qui viennent sacrifier la culture scientifique entrent en contradiction avec ces discours politiques », pointe Laure Danilo. 

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