« La relation était par nature asymétrique »

Nouvel épisode de notre série Comparutions. Le tribunal des enseignants-chercheurs se penche cette fois-ci sur le cas d’un égyptologue dont les relations avec ses étudiantes soulèvent quelques questions.

— Le 9 avril 2025

La salle est  silencieuse. On n’entend que le bruit de la machine à café installée dans le couloir du ministère de l’Éducation nationale. M. X et son avocate s’installent face aux cinq juges présents aujourd’hui et les saluent d’un « bonjour » claironnant et d’un signe de tête. À côté d’eux s’installent les deux représentants de l’université. Tous sortent d’épais dossiers parsemés de notes et de post-its, regroupant les pièces à charge de l’affaire. M. X, homme d’une cinquantaine d’années, se tient bien droit sur sa chaise, les jambes resserrées, les bras joints sur la table. « L’audience peut commencer », déclame le président du Cneser disciplinaire. 

« Je n’ai jamais cherché à avoir de relation sexuelle avec elle »

M. X

Si loin, si proche. Les yeux se rivent sur le rapporteur de la commission d’instruction. M. X reste tête baissée. S’il se trouve aujourd’hui sur le banc des accusés, c’est parce qu’il lui est reproché la nature de ses relations avec trois de ses étudiantes en égyptologie, son domaine de recherche. Celle avec Mme Y, étudiante chinoise, est l’élément central de cette affaire. Le rapporteur rappelle le contexte : arrivée en France en 2013, elle est éloignée de sa famille et ne connaît « ni les codes culturels ni la langue » de son pays d’accueil, la plaçant ainsi dans une situation de vulnérabilité. Vulnérabilité dont aurait profité M. X pour tenter d’entamer une relation avec elle. Des comportements constitutifs de harcèlement sexuel ou « du moins », nuance le rapporteur, d’une méconnaissance du devoir d’exemplarité inhérent à sa profession. En janvier 2022, la section disciplinaire de l’université Montpellier-Paul Valéry lui interdit en première instance toute fonction d’enseignement pendant un an, avec une privation de la moitié de son salaire. Une peine alourdie quelques mois plus tard par l’ajout d’une interdiction de toute activité de recherche sur une durée équivalente. M. X fait aujourd’hui appel de ces décisions devant le Cneser disciplinaire.

Hors cadre. Les juges lèvent les yeux vers M. X, tous s’interrogent : quelle relation souhaitait-il entretenir avec Mme Y ? Le professeur reste encore quelques instants tête baissée. Ses pieds agités trahissent sa nervosité. Puis, après une grande inspiration, il entame son récit. Lorsqu’il rencontre l’étudiante en master, cette dernière émet la volonté de poursuivre en thèse d’égyptologie en France. Consciente de ses difficultés linguistiques, elle lui aurait alors demandé de la « mettre à niveau ». Il insiste : « Je n’ai jamais cherché à avoir de relation sexuelle avec elle ». Ses paroles sont mesurées. Il marque une courte pause avant d’enchaîner. « À sa demande », précise M. X, ils entament donc des cours particuliers. Puis il la fait participer à plusieurs voyages professionnels, « pour la mettre dans le bain ». Il insiste : s’il met en place toutes ses actions, ce n’est jamais contre son gré et toujours pour lui permettre de combler son retard. « Je n’aurais peut-être pas dû le faire de manière aussi peu conventionnelle, si intime ». 

« Qu’en est-il de ce voyage lors duquel elle rapporte que vous l’avez raccompagné à sa chambre ? »

Les juges du Cneser

Épistolaire. Les juges acquiescent puis enchaînent. Le plus problématique reste à leurs yeux les mails échangés entre lui et son étudiante. Des mails explicites qui dépassent très rapidement le cadre de l’apprentissage. Et ils citent quelques extraits : « mon petit chat », « un petit trésor comme toi », « je t’ai trouvé très jolie », « tu me manques », « tu fais couler dans mon corps un fil de joie », « tes lèvres de velours posées sur les miennes »… À la lecture de ses phrases, les juges lèvent vers M. X un regard interrogateur. M. X se justifie : ce ne sont pas des invitations mais un jeu de séduction « consenti et réciproque » qui s’était installé au fur et à mesure. Il mentionne les réponses aux mails de Mme Y, sur le même ton, les poèmes qu’elle lui a envoyés, les cadeaux qu’elle lui a fait. « Vous n’avez qu’une version de l’échange mais je vous assure qu’il était réciproque », dit-il avant d’expliquer qu’ayant supprimé ses mails, il n’avait pas pu fournir les preuves de cette réciprocité. La présence dans les mails du professeur d’un « pourquoi m’appelez-vous Monsieur » et son insistance pour qu’elle le tutoie interpelle pourtant les juges. « Ça faisait partie de notre jeu », assure encore une fois M. X, les mains posées sur ses genoux. 

Porte fermée. Une relation « affectueuse, amicale et platonique », et non amoureuse ou sexuelle, assure-t-il. Les juges restent dubitatifs mais poursuivent : « Qu’en est-il de ce voyage lors duquel elle rapporte que vous l’avez raccompagné à sa chambre et tenté d’y entrer malgré son refus ? ». M. X marque une légère pause avant de réfuter. « Il ne s’est rien passé de ce type, la preuve le lendemain elle m’a envoyé un mail sans faire mention de cet événement ». Les juges le coupent : ce mail n’est en aucun cas la preuve qu’il ne s’est rien passé de problématique. « On observe ce type de comportement chez des victimes dans beaucoup d’affaires de VSS [violences sexistes et sexuelles, NDLR] », précisent les juges. Mais M. X poursuit, main tendue vers les juges : pourquoi serait-elle repartie en sa compagnie quelques mois plus tard s’il s’était passé quelque chose ? Penché vers les juges, l’un des représentants de l’université s’exclame : « Ce n’est pas parce qu’il n’a pas réussi à rentrer que ce n’était pas son intention ».

« Je n’aurais pas poursuivi s’il n’y avait pas eu cette réciprocité »

M. X

Bis repetita ? « Aviez-vous ce genre de relation avec toutes vos étudiantes ? », poursuit un juge. M. X se racle la gorge et se redresse. « Non, uniquement avec elle », explique-t-il. Il rappelle les circonstances particulières de cette relation, son manque de confiance, son besoin d’aide et se répète : « Je n’aurais pas poursuivi s’il n’y avait pas eu cette réciprocité ». Deux autres relations sont pourtant citées dans le dossier. L’une avec une étudiante de master, âgée de 21 ans à l’époque, et l’autre avec une doctorante, de son âge à peu près et « qu’il connaissait depuis plus de vingt ans », précise-t-il. Dans le premier cas, l’un des juges relève des échanges de mails similaires et « tendancieux », terme que l’avocate de M. X s’empresse de réfuter. Mais le juge poursuit : quelle différence avec Mme Y ? « Ce n’étaient pas du tout les mêmes relations ». « Pourquoi ? », insistent les juges. M. X marque une pause avant de réitérer: « Ce n’étaient pas du tout les mêmes relations ». 

Contradiction. Les représentants de l’université restés jusqu’alors plutôt silencieux prennent la parole. Pour eux, la différence réside dans le fait qu’avec l’autre étudiante de 21 ans, « il a réussi à aller au bout de son intention [des rapports sexuels, NDLR] ». Mme Y, elle, a réussi « à ne pas finir au même endroit ». Ils épluchent les feuilles disposées sous leurs yeux avant de s’arrêter sur l’une d’entre elles faisant mention des échanges de mails avec l’étudiante chinoise. Feuille en main à hauteur des yeux, l’un d’entre eux en relit quelques extraits pour les juges. « On ne va pas me faire croire que c’est une relation normale et qu’il n’y a aucune intention derrière ces mots », s’exclame-t-il finalement. 

« Je ne suis pas dans une position de déni, je veux qu’on arrête de parler de harcèlement sexuel »

M. X

Services rendus. Les juges se tournent vers M. X : « Comment a évolué votre relation avec Mme Y ? ». Après son master, l’étudiante repart en Chine et leur relation épistolaire s’arrête. Elle revient quelques années plus tard pour entamer une thèse à ses côtés. Un encadrement « comme les autres » où l’un et l’autre ne se voyaient que pour le suivi de thèse et échangeaient uniquement des mails de nature professionnelle. Pour lui, c’est en juin 2021 que la bascule a eu lieu. Mme Y lui aurait demandé d’écrire un article à sa place. Il aurait rapidement compris qu’elle souhaitait également qu’il rédige une partie de sa thèse à sa place. « J’ai évidemment dit non, tout est parti de là ». Depuis, il n’a plus de nouvelles. M. X remonte ses lunettes sur son nez avant d’abaisser son regard vers ses mains entrelacées sur ses genoux.

Consentement. Les juges veulent conclure. Les représentants de l’université regrettent que M. X reporte une nouvelle fois la faute sur les étudiantes sans remettre son comportement en cause. « La relation était par nature asymétrique dans les trois cas », poursuit-elle avant de demander le maintien de la sanction. L’avocate de M. X les contredit. Les coudes sur la table, mains avancées en direction des juges, elle clame d’une voix forte : « M. X a reconnu le caractère anormal de ces relations, il veut aujourd’hui se défendre sur la question de harcèlement sexuel ». M. X approuve d’un geste de tête. L’avocate insiste : les échanges étaient réciproques, il n’y avait aucune contrainte et donc rien qui ne permettent de qualifier les faits ainsi. « Pourquoi le consentement devrait-il être pensé différemment dans une relation enseignant-étudiante ? », questionne-t-elle avant de demander  d’infirmer la décision de première instance, « trop lourde au vue des faits ». M. X appuie : « je ne suis pas dans une position de déni, je veux qu’on arrête de parler de harcèlement sexuel ».

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