France, terre d’asile (ou presque)

La France et l’Europe voudraient accueillir à bras ouverts les chercheurs états-uniens dégoûtés de l’administration Trump ? Au-delà des grands discours, la realpolitik n’est jamais loin.

— Le 7 mai 2025

Nous sommes le 05 mai 2025 au matin et le grand amphithéâtre de la Sorbonne bruisse de monde : journalistes, politiques, chercheur·ses et président·es d’université de tous les horizons sont venus écouter les tables rondes et les discours de sommités nationales et européennes avec en point d’orgue les discours d’Emmanuel Macron et d’Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne. Voilà pour l’apparat. L’après-midi qui a suivi au Collège de France réunissait — à huis clos, cette fois — les ministres de la Recherche européens pour le service après-vente des annonces faites le matin même “en” Sorbonne. Après de longues semaines où le temps semblait suspendu, l’heure est donc à l’action : avec le lancement pratiquement conjoint des programmes « Choose France for Science » et « Choose Europe for Science » le 18 avril, l’Hexagone et le Vieux Continent tout entier veulent se poser là en tant que champions mondiaux de la liberté académique. 

« C’est mieux que rien mais pas beaucoup mieux que rien »

Anaïs Lefèvre-Berthelot, maîtresse de conférences université Rennes-II

Exil forcé. Levons tout de suite une ambiguïté : la France se dit certes prête à accueillir des scientifiques de tous horizons mais tous ne semblent pas aussi désirables. La plate-forme « Choose France For Science », qui ne cite pas expressément les États-Unis, liste ainsi les thématiques bienvenues, à savoir la santé, le climat, la biodiversité et les sociétés durables, le numérique et l’intelligence artificielle, les études spatiales, l’agriculture, l’alimentation durable, les forêts et les ressources naturelles, les énergies décarbonées, les composants, systèmes et infrastructures numériques. N’en jetez plus. Pourtant, s’il fait peu doute que les climatologues, les infectiologues ou les écologues sont notamment dans le viseur de l’administration Trump, celle-ci a plutôt été clémente envers l’intelligence artificielle, par exemple. La donne est claire : pour bénéficier des subsides de France 2030, qui finance jusqu’à 50% l’accueil des futurs “exilés” scientifiques, il faudra rentrer dans ces cases ou que les établissements mettent la main à la poche.

Persona non gratis. Après avoir montré patte blanche, les chercheurs financés par « Choose France » devront par ailleurs prouver leur « capacité à obtenir des financements » et « s’engager à déposer un projet européen ou international compétitif (ex : ERC, EIC pathfinder, etc) dans les deux ans suivant leur arrivée ». Vous l’avez certainement noté, les thématiques propres aux sciences humaines et sociales manquent à l’appel de « Choose France », ce qui fait lever le sourcil quand on parle de recherches académiques menacées, tout particulièrement depuis le 20 janvier aux États-Unis. Pourtant, étant donné le climat politique exécrable autour du “wokisme” en France, nul doute que l’Hexagone aurait du mal à accueillir comme il se doit des universitaires spécialistes en études de genre ou de races. Cela n’empêche évidemment pas les établissements français qui ont mis en place un dispositif d’accueil (voir encadré) d’accepter les candidatures de ces disciplines. Nos confrères d’AEF notent ainsi que l’Université de Toulouse, dans le cadre de son programme « Toulouse safe place for science », compte près de 60% de chercheurs en humanités parmi la quarantaine de demandes déjà reçues. L’université Aix Marseille, qui a reçu environ 300 candidatures pour son programme « Safe place for science » en compte plus de 80 en sciences sociales. 

« En France, il n’y a pas de recherche taboue […] ; [ Choose France] n’est pas ouvert à tous les domaines de recherche »

L’Élysée

Feu de tout bois. Un positionnement paradoxal totalement assumé par l’Élysée : « En France, on accueille évidemment tout le monde, et il en va de même au niveau européen. Il n’y a pas de recherche taboue », tout en ajoutant que « [Choose France] n’est pas ouvert à tous les domaines de recherche. C’est fléché sur des domaines sur lesquels il y a des besoins qui ont été identifiés pour les Français et pour les Européens dans une dynamique d’attractivité, de compétitivité, de recherche, de création de richesses ». Une vision en droite ligne du rapport Draghi, publié en 2024 (relisez notre analyse), dont la sortie avait été saluée en son temps, y compris par Emmanuel Macron. « À chaque crise, une opportunité », déclamait Ursula Von Der Leyen le 29 avril dernier à Valence en Espagne lors du congrès du Parti Populaire Européen (PPE).

Le juste prix ? Pourtant, malgré ces non-dits et ces impasses, « l’Europe doit devenir un refuge », veut croire Emmanuel Macron dans l’amphithéâtre de la Sorbonne. Avec un chiffre : « Choose France » bénéficiera d’un investissement public « supplémentaire » de 100 millions d’euros via France 2030 (relire notre interview de Bruno Bonnell), ce fond public qui a déjà investi 4 milliards d’euros dans des dispositifs et programmes de recherche, se plaît à rappeler le PR dans son discours. « Il faut rester réaliste : 100 millions c’est certes généreux mais rien que pour le NIH par exemple, on parle de plusieurs milliards d’euros », souligne David Paltiel lors d’une table ronde précédant l’allocution d’Emmanuel Macron. Pour le professeur en santé publique à l’université de Yale, il ne s’agit donc pas de le remplacer, lui ou d’autres infrastructures saccagées par l’administration Trump, mais bien d’envoyer un message de défense des libertés académiques. En plus de ces financements, le chef d’État ambitionne aussi de « mettre à l’abri ou recréer [les] bases de données » supprimées sans pour autant rentrer dans les détails.

« On devrait accueillir en priorité les jeunes, les post-doctorants vulnérables »

Alain Fischer, ex-président de l’Académie des sciences 

Dans le marbre. Du côté européen, l’investissement est évidemment plus élevé mais reste mesuré. Ursula Von Der Leyen a annoncé la dévolution d’un budget de 500 millions d’euros sur trois ans (2025-2027) afin de « faire de l’Europe un aimant à chercheur ». La présidente de la Commission européenne affiche également la mise en place une nouvelle « super-subvention » d’une durée de sept ans au sein de l’European Research Council (ERC) pour offrir une perspective de long cours « to the very best », selon ses dires. Mais sa première priorité sera de s’assurer que la science en Europe reste « ouverte et libre » en inscrivant la liberté académique dans un nouveau European Research Area Act. Autant de mesures déjà connues — la loi précitée — ou issues de redéploiement du programme Horizon Europe. On ne peut donc pas parler de Grand soir de la recherche européenne.

J’ai 10 ans. Mais si le “PR” souhaite attirer « les Marie Curie de demain » jusqu’en Europe, la sélection des profils reste un point de vigilance majeur. « On devrait accueillir en priorité les jeunes, les post-doctorants vulnérables, ceux qui ont sans doute le plus à perdre », souligne Alain Fischer lors d’une conférence organisée également le 5 mai par le collectif Stand Up For Science à l’Académie du Climat. Pour l’ancien président de l’Académie des sciences, les annonces de la matinée ne sont certes pas à la hauteur mais n’en demeurent pas moins symboliquement nécessaires : « Le rappel que les libertés académiques sont une valeur essentielle pour nos sociétés est important ». 

« Sans investissement dans la recherche fondamentale, il ne peut pas y avoir d’innovation »

Yasmine Belkaid, PDG de l’Institut Pasteur

Pas joli joli. Sans minimiser les attaques de l’administration Trump, qu’ils rappellent tous avec inquiétude à plusieurs reprises, les panélistes ont rivalisé de scepticisme suite aux annonces de la Sorbonne. « C’est mieux que rien mais pas beaucoup mieux que rien », a sèchement résumé Anaïs Lefèvre-Berthelot, maîtresse de conférences à l’université Rennes-II. « On va offrir quoi à nos collègues américains, un contrat court de trois ans et un retour au pays ? », fustige-t-elle. Un décalage entre discours et réalité que Bruno Andreotti retrouve aussi lorsqu’il s’agit de la défense des libertés académiques. Le physicien à l’Université Paris-Cité a ainsi pris soin de rappeler les propos tenus par Emmanuel Macron en 2020 : il avait accusé les universitaires « de casser la République en deux » dans un contexte de mobilisations contre les violences policières et le racisme

Vaste programme. Main tendue par-delà l’Atlantique ou simple opération de com’ ? Emmanuel Macron conclut en souhaitant « aller encore plus loin dans la simplification » du système de recherche français. Au coude à coude avec Ursula Von Der Leyen, le PR veut rendre une « science libre » indissociable d’une Europe indépendante qu’ils envisagent à deux le temps de cette matinée. « Sans investissement dans la recherche fondamentale, il ne peut pas y avoir d’innovation ou de souveraineté », a voulu rappeler Yasmine Belkaid, PDG de l’institut Pasteur, également invitée à l’événement. Mais ce qui ressemblait à une évidence à écouter les discours politiques du 5 mai au matin sonne en réalité un peu creux quand on se rappelle les promesses non tenues de l’Europe et de la France en matière de recherche depuis au moins 25 ans. 

Laurent Simon et Noémie Berroir

La France, bientôt « safe place » ?

Beaucoup d’établissements français y sont allés de leur programme d’accueil ces dernières semaines, avec l’Université Aix Marseille en tête de pont médiatique (relire notre interview d’Éric Berton, son président). « La liste des chercheurs qui rejoindront AMU sera connue au début du mois de juin », précise-t-on du côté de l’université. Citons pêle-mêle le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), l’université de Grenoble, l’Université de Toulouse, PSL, Centrale Supélec, Saclay… et, évidemment, le CNRS qui a communiqué fin avril sur son programme « Choose CNRS », un mélange de chaires de professeur junior — une cinquantaine, sans coup de pouce particulier par rapport aux années précédentes — et de postes de chargés de recherche et de directeur de recherche. L’accent est particulièrement mis sur les « chaires internationales » pour les « stars » de leur domaine : « Nous mettrons sur la table un budget conséquent pour payer leur salaire et leur fournir un environnement stimulant », précise Alain Schuhl, son directeur général délégué à la science. L’Inserm propose de son côté un dispositif à peu près équivalent.

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