Fin avril, en rentrant de sa course à pied saturnale, l’idée s’est imposée à Miriam Albers, directrice du département des bibliothèques au sein de la ZB MED, structure nationale allemande pour l’information scientifique en santé : il était temps d’agir pour sauver PubMed. Développée et maintenue par les National Institutes of Health (NIH) états-uniens, cette base de référence mondiale pour explorer la littérature en biologie et en santé PubMed est en danger depuis l’arrivée de Donald Trump. Des coupes budgétaires dans les agences fédérales comme les NIH ont entraîné des licenciements de scientifiques – nous vous parlions des physiciens du NIST – mais aussi la suspension de financements sur les sujets sensibles, la mise en pause de certaines revues, sans parler de la censure dans les publis… chaque semaine apporte son lot de mauvaises nouvelles. « La situation est devenue bien plus grave que ce que l’on imaginait au départ. Durant les conférences auxquelles j’ai assisté en mars et avril, de nombreux chercheurs venaient nous interroger au sujet de PubMed. », témoigne Miriam Albers. Même tendance sur les réseaux sociaux : peut-on encore faire confiance à PubMed et pour combien de temps ?
« Avec PubMed, c’est tout l’écosystème de l’information en santé qui s’effondre »
Colin Sidre, BIU santé Paris Cité
Les bases, la base. Bien qu’à ce jour aucun incident de taille ne soit à déplorer, mises à part quelques courtes interruptions de service, des précédents dans d’autres disciplines ne laissent rien présager de bon : la base Education Resources Information Center (ERIC), l’équivalent de PubMed en sciences de l’éducation piloté par le ministère de l’Éducation états-unien a bien failli mettre la clef sous la porte fin avril, avant que le gouvernement ne décide finalement de le maintenir avec un budget rogné de moitié. Un service dégradé qui va affecter les chercheurs de la discipline, mais également les enseignants qui appliquent les savoirs apportés par la littérature scientifique. L’enjeu est du même acabi pour PubMed, à une échelle encore plus grande : avec près de 40 millions de publications scientifiques indexées, le moteur de recherche comptabilise près de dix millions de requêtes par jour, de la part de chercheurs, médecins et étudiants en santé… Des utilisateurs qui aujourd’hui s’interrogent sur l’intégrité des données de PubMed : « Certains perdent 10 minutes chaque jour à vérifier que des publications n’ont pas été supprimées. C’est du gâchis », se désole Miriam Albers.
Nuages d’orage. Plusieurs scénarios peu rassurants sont envisagés par les bibliothécaires, que détaille Colin Sidre dans une note rédigée dès février 2025 et mise à jour en mai. Le premier est la disparition pure et simple du service. Le second, plus probable et plus pernicieux, est l’arrêt de l’actualisation de la base, une dégradation du service ou bien un accès limité à certaines régions du monde – cinq pays dont la Chine se sont déjà vu interdire l’accès à des données du NIH en avril dernier. Des détériorations qui de facto feraient perdre à PubMed son statut de référence mondiale. « Les licenciements massifs par le DOGE [ministère de l’efficacité gouvernementale dirigé au départ par Elon Musk, NDLR] laissent penser qu’on se trouve déjà sur cette pente », estime Colin Sidre, membre de la BIU santé médecine de l’université Paris Cité. Autre scénario tout aussi dramatique : “l’empoisonnement” de la base avec « l’intégration de revues de mauvaise qualité complotistes, anti-vaccination, et/ou la censure de contenus abordant les questions d’inclusion, de santé des groupes marginalisés, etc. », détaille la note.
« Copier la base de données […] ne suffit pas : il faut la mettre à jour »
Miriam Albers, ZB MED
Copier pas coller. Une situation qui a poussé Miriam Albers et son équipe à se lancer dans la construction d’un second PubMed. Une simple duplication ne suffisait-elle pas ? « Chaque jour, nous copions la base de données associée à PubMed pour notre service Livivo [un moteur de recherche où les publications en allemand sont ajoutées, NDLR]. Mais si PubMed tombe, cela ne suffira pas : il faut la mettre à jour », explique-t-elle. Un problème crucial que rencontrent les autres bases parfois décrites comme alternatives à PubMed, dont la gratuite EuropePMC ou la payante Embase : toutes utilisent les données de MedLine, la base de données derrière PubMed, maintenue au sein du même département. « Avec PubMed, c’est tout l’écosystème de l’information en santé qui s’effondre », analyse Colin Sidre. Devant l’ampleur de la tâche, l’équipe de Miriam Albers a donc déposé une demande de financement auprès de la German Research Foundation, et publié son projet nommé Open Life Science Publication database (OLSPub) sur Zenodo. L’objectif ? Développer ce nouveau service en l’espace de 18 mois – une version beta serait disponible au bout de 15 – avec une équipe de neuf personnes.
Au pied du mur. Plusieurs défis de taille attendent les bibliothécaires de la ZB MED : tout d’abord négocier avec les éditeurs pour qu’ils leur communiquent les données associées à chaque publication au fil de l’eau – on parle ici de plus de 5200 revues – puis les indexer en temps réel, en créant une architecture de mots-clés qui permette une recherche efficace. « C’est ce qui rend PubMed unique », analyse Miriam Albers, diplômée d’un doctorat en édition scientifique et science ouverte. Pour se faire, ils ne pourront pas s’appuyer sur les savoirs-faire existants : « L’indexation automatique n’est pas en open source. Nous devons reconstruire de zéro. » Mais pas pour rien : l’objectif est de mettre leurs efforts de développement en open source : « Si jamais notre service tombe à son tour, quelqu’un d’autre pourra le remettre en ligne », argumente cette fervente défenseuse du “safeness through openness”. L’objectif n’étant pas de jouer contre les États-Unis mais bien de construire « un filet de sécurité » pour PubMed, précise-t-elle.
« Cette situation révèle nos faiblesses structurelles en termes d’information scientifique, de bibliothèques et de documentation »
Grégory Miura, CollEx Persée
À votre bon cœur. Même si la base états-unienne continue de fonctionner correctement, le projet OLSPub promet une meilleure indexation des publications non anglophones : germanophones, hispanophones… mais aussi francophones. Des productions qui ont leur importance sachant qu’une partie des utilisateurs, notamment les étudiants ou les praticiens, n’ont pas toujours une excellente maîtrise de l’anglais. Des améliorations dans l’attribution automatique des mots-clés, effectuée depuis quelques années par intelligence artificielle et dont la qualité s’avère parfois décevante, sont également espérées. Plus généralement, le caractère open source du projet allemand faciliterait les contributions d’éditeurs, de bibliothécaires ou de chercheurs, chacun à leur échelle. La ZB MED a lancé un appel à soutien auprès d’institutions mais aussi d’individuels à l’international avec un webinaire en anglais le 12 juin. L’équipe devrait être fixée sur le financement ou non de son projet d’ici septembre.
La France s’impliquera-t-elle ?
Aucune annonce n’a pour l’instant été faite dans ce sens mais le sujet fait partie des préoccupations de l’infrastructure de recherche en information scientifique et technique CollEx Persée, affirme son directeur Grégory Miura. La situation n’est cependant pas simple : « Nous regardons comment participer à ce type d’initiative mais devrons choisir sur quels projets investir nos ressources humaines », explique-t-il. Car d’autres bases de référence sont menacées, notamment celles de données climatiques et océanographiques dont la sauvegarde coûterait à elle seule 17 millions d’euros. « Cette situation révèle nos faiblesses structurelles en termes d’information scientifique, de bibliothèques et de documentation », regrette Grégory Miura qui note également une prise de conscience parmi les personnels. Au contact des utilisateurs, Colin Sidre souhaite faire évoluer les formations pour qu’elles portent à l’avenir « moins sur PubMed que sur les bases de données en général ». L’électrochoc apportera-t-il du positif ?