Pourquoi enseigner les enjeux écologiques et sociaux à l’Université ?
Notre modèle de société occidentale n’est pas pérenne notamment du point de vue des limites physiques planétaires : la crise actuelle est écologique, sociale et démocratique. Il ne s’agit pas d’une cause extérieure, comme un astéroïde qui va percuter la Terre : nous, humains, en sommes responsables. La nature et l’origine du problème sont connues, il reste à comprendre comment le résoudre. Les pistes sont en chacun et chacune d’entre nous mais les emprunter demande une remise en question de notre façon de faire société. C’est pourquoi il est crucial d’enseigner ces enjeux écologiques et sociaux de manière systémique et pluridisciplinaire. Une fois qu’un assez grand nombre de citoyens y seront formés, une prise de conscience, une bascule sociale, voire un changement politique, seront possibles.
« J’enseigne la mécanique et au lieu de prendre comme un avion ou une voiture pour illustrer mon propos, j’ai opté pour des trains ou des vélos »
Guillaume Blanc
Les jeunes sont-ils plus sensibles à ces questions ?
En 2018, des étudiants en écoles d’ingénieur nous ont fait prendre conscience qu’on ne formait pas assez les jeunes générations à ces enjeux. Il n’y a pas beaucoup d’études sur le sujet mais d’après mon ressenti d’enseignant de physique à l’université, peu d’étudiants sont réellement conscients de la gravité de la situation : pratiquement aucun d’entre eux n’ignorent la problématique du changement climatique mais les liens avec la biodiversité ou les inégalités ne sont pas toujours bien compris.
Peut-on enseigner ces enjeux dans toutes les disciplines ?
Indéniablement et le colloque Enseigner les Transitions Écologiques et Sociales dans le Supérieur (ETES) dont la troisième édition avait lieu à Lyon du 7 au 9 juillet 2025 avec plus de 300 participants, l’a bien montré par sa diversité d’exemples dans toutes types d’établissements – universités, écoles… – et de disciplines : physique, chimie, biologie, mais aussi droit, STAPS, littérature, géographie… Les enjeux sont de toutes manières pluridisciplinaires.
S’agit-il de créer de nouveaux enseignements ou d’adapter l’existant ?
Le rapport Jouzel-Abadie en 2022 a entrainé la création de nouveaux enseignements dédiés à ces enjeux ; la deuxième étape est en effet de les intégrer dans nos disciplines. Idéalement, l’enseignement de chaque discipline devrait être repensé au regard des enjeux écologiques et sociaux, avec éventuellement l’arrêt de certains enseignements pour des raisons de soutenabilité. L’informatique, via le numérique, est un des secteurs qui croît le plus en termes d’émission de gaz à effet de serre et l’intelligence artificielle nous promet une croissance encore plus effrénée : certains enseignants se questionnent. La physique, quant à elle, peut fournir plein d’éléments utiles pour les transitions, que ce soit en ingénierie ou en énergétique, mais faut-il tenter de construire un ordinateur quantique ? Les enseignants chercheurs devraient en discuter avec discernement et entamer une réflexion de fond. Si un cours sur les enjeux sociaux-écologiques est dispensé mais qu’à celui d’après il est question d’ordinateur quantique, d’intelligence artificielle ou d’extraction de pétrole de manière totalement déconnectée, le message ne peut pas passer.
« J’ai personnellement bifurqué de l’astrophysique pour me consacrer aux enjeux socio-écologiques dans la recherche et l’enseignement »
Guillaume Blanc
Y a-t-il de petits changements faciles à réaliser ?
Pour inciter un changement d’état d’esprit vers des modes de vie plus sobres, on peut déjà modifier les exemples qu’on donne. J’enseigne en première année la mécanique classique et au lieu de prendre comme objet en mouvement dans les exercices un avion ou une voiture – ce qui, avant, allait complètement de soi – j’ai opté pour des trains ou des vélos. Au sein de l’équipe Enseignement de Labos 1point5 et de l’Association pour l’enseignement des enjeux socio-écologiques dans l’enseignement supérieur (AEESE), nous avons commencé à réaliser des fiches sur l’intégration disciplinaire de ces enjeux. En physique, il s’agit notamment d’apporter un recul historique et social. Les sciences ne sont pas neutres et les découvertes ne sortent pas du chapeau, elles viennent de décisions, voire d’injonctions politiques qu’il est important de remettre en contexte.
Ce changement dans l’enseignement entraîne-t-il un changement dans les pratiques de recherche ?
J’ai personnellement bifurqué de l’astrophysique pour me consacrer aux enjeux socio-écologiques, en particulier dans la recherche, et surtout à leur enseignement. La production pure de connaissance est certes passionnante mais dans une situation de crise majeure, si on ne fait rien, elle deviendra tout à fait anecdotique. Réfléchir à comment s’en sortir me paraît beaucoup plus important. Un 7ème ou 8ème rapport du GIEC permettra d’en savoir un tout petit peu plus sur la problématique mais les sciences humaines et sociales devraient maintenant prendre le relai : comment vivre ensemble de manière sereine à l’intérieur des frontières planétaires n’est pas une question de physique mais de sociologie, d’anthropologie. Parmi mes collègues mobilisés sur ces enjeux d’enseignement, j’observe que certains ont changé de thématique de recherche, d’autres l’ont mis de côté pour se consacrer à l’enseignement.
« Pour créer de nouveaux enseignements, nous avons besoin de temps »
Guillaume Blanc
Qu’est-ce qui peut justement entraver l’enseignement de ces enjeux sociaux-écologiques ?
La lettre de cadrage du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de 2023, qui préconise notamment un enseignement d’au moins 30 heures au cours du premier cycle universitaire, a réduit les freins institutionnels. Beaucoup de collègues s’en emparent, malgré le manque de temps. Comme le pointait le rapport remis par Jean Jouzel en 2022, préparer ce type d’enseignement nécessite de faire un pas de côté – que des physiciens aillent lire des ouvrages de sociologie par exemple. Le manque de légitimité est également revenu plusieurs fois durant le colloque, de la part d’enseignants-chercheurs qui témoignaient des réticences à enseigner un sujet éloigné de leurs recherches. C’est pourtant déjà souvent le cas à l’intérieur de nos disciplines : on n’enseigne pas directement sur ses travaux de recherche mais un travail de bibliographie intègre permet de s’approprier suffisamment un sujet pour l’enseigner. Mais pour le faire dans d’autres disciplines et/ou créer de nouveaux enseignements, nous avons besoin de temps. Alors ministre, Sylvie Retailleau avait annoncé à l’automne 2023 la mise en place de congés pour projets pédagogiques représentant une dispense de service durant six mois ou un an avec un fléchage sur les enjeux écologiques. Ce format n’est pas adapté car les enseignants-chercheurs ont besoin de temps long. Des décharges pluriannuelles sur 3 à 5 ans, comme c’est le cas pour les responsables d’unités ou de composantes, seraient utiles dans ce cas.
Ne serait-il pas plus efficace de prodiguer un même enseignement à tous les étudiants, toutes filières confondues ?
Suite à la lettre de cadrage du ministère, plusieurs universités se sont penchés sur la question, notamment à Bordeaux ou à Sorbonne Université qui ont constitué des groupes de travail chargés de préparer un enseignement pluridisciplinaire à destination d’étudiants de toutes disciplines. Du point de vue des enseignants-chercheurs, le processus était intéressant et a plutôt bien fonctionné. Le déploiement se fera en septembre. Le décloisonnement disciplinaire est donc en cours mais il faudrait aller au-delà, vers une coopération inter-universitaire. Celle-ci se heurte malheureusement à de nombreux freins administratifs.
Un peu de littérature
Une nouvelle revue académique avec relecture par les pairs a vu le jour sur ces sujets : le Journal Enseigner les Enjeux Socio-Écologiques dans le Supérieur. Créée par l’équipe Enseignement du collectif Labos 1point5 avec le soutien de l’Université Paris Cité, elle vise à publier des retours d’expérience pour les faire connaître au plus grand nombre, ainsi qu’à diffuser des ressources pédagogiques. Il s’agit également de permettre une reconnaissance du travail, du temps et de l’engagement des enseignants-chercheurs « qui ont deux métiers mais dont un seul n’est reconnu par les institutions », témoigne Guillaume Blanc.