Choose France, atterrissage en vue

La volonté affichée de la France d’accueillir d’excellentissimes scientifiques étrangers — américains au premier chef — se confronte à la réalité.

— Le 10 septembre 2025

Le 4 juillet dernier, jour de fête nationale aux USA, les équipes de l’institut Cochin sont dans leurs petits souliers pour accueillir le ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche Philippe Baptiste en déplacement officiel consacré à l’accueil des étudiants internationaux en France. La date n’est qu’une coïncidence : la visite express de ces labos parisiens en pointe dans la lutte contre le cancer est le fruit du contexte politique français. Parmi les équipes présentées, de nombreuses chercheuses de tous horizons — Maghreb, Brésil… — accueillies dans l’Hexagone pour un master ou un doctorat. Logique dans la mesure où 37% des doctorants exerçant en France sont d’origine étrangère. Voici le côté pile de la recherche française : ouverte, accueillante, excellente.

« [Pour les scientifiques américains] Répondre à un sondage est plus simple que de faire ses bagages »

Un scientifique en off

Moulin rouge holala. C’est précisément ces aspects chatoyants que le président de la République Emmanuel Macron a voulu mettre en avant le 5 mai dernier en Sorbonne lorsqu’il a lancé en grandes pompes l’initiative Choose France For Science (nous vous en parlions) dans le contexte géopolitique que l’on sait. Sur la table : 100 millions d’euros pour accueillir les scientifiques étrangers “empêchés” qui souhaiteraient rejoindre le pays aux 1000 fromages. Si les États-uniens n’étaient pas expressément cités, l’appel du pied était clair : santé, climat, IA, études spatiales, agriculture, énergies décarbonées… Toutes ces disciplines sont les bienvenues dans nos contrées avec un principe simple : l’établissement d’accueil et l’État, par l’intermédiaire du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) financeront à 50-50 l’accueil des candidats qui ne manqueront pas de se bousculer au portillon, pressés par la menace trumpienne. Le chiffre de « 30 000 connexions » à la plate-forme est alors avancé.

Now or never. Quatre mois après, c’est déjà l’heure du bilan. À l’occasion de l’Assemblée de rentrée de France Universités à Aix-Marseille université le 28 août dernier, le désormais ex-ministre Philippe Baptiste a évoqué « une soixantaine de candidatures déposées pour de bon », avec parmi elles des dizaines « d’excellentes ». Une déception ? En off, il s’avère que l’Élysée et, in fine, le ministère de la Recherche ont bien soufflé dans les bronches des établissements pour arriver à rassembler ce premier contingent, frustrés que ces derniers ne se soient emparés qu’assez mollement de l’initiative Choose France For Science – même si la France a, il faut le reconnaître, pris une certaine avance sur l’Europe. Choose Europe for Science, annoncée également le 5 mai dernier par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, ne serait lancée qu’en octobre. L’initiative pionnière “Safe place for science” d’Aix Marseille Université (relire notre interview d’Éric Berton) a donné le tempo dans l’Hexagone.

« Le climat et la santé représentent la majorité — environ 60% — des candidats »

Ministère de la Recherche

Top of the pop. Sur la mécanique mise en place par le gouvernement, le portail Choose France (jetez-y un oeil) sert de réceptacle aux candidats étrangers, qui doivent se lancer main dans la main avec leur établissement ou leur laboratoire d’accueil dans le remplissage d’un formulaire très complet, avant de le soumettre pour sélection et approbation auprès de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et, in fine, des services du Premier ministre qui décideront — ou non — de débloquer les subsides de Choose France. Subsides sans lesquels les universités ou organismes de recherche, très contraints financièrement, ne pourraient certainement pas avancer. « Le programme Choose France For Science visait à accueillir des candidatures de toutes nationalités, sans nécessairement privilégier les Américains mais en visant dans tous les cas l’excellence scientifique », précise-t-on au ministère. Être bon ne suffit donc pas, il faut être “ERC compatible” pour prétendre à Choose France (voir encadré).

Coule une rivière. « La volonté martelée du ministère d’attirer des scientifiques de très haut niveau, d’excellents à excellentissimes, dirons-nous, vise aussi à aller décrocher des financements européens. Le niveau d’exigence a été monté d’un cran si on compare au programme Make our planet great again [MOPGA lancé en 2017, il visait les sciences du climat, NDLR]. C’est un choix assumé », résume un connaisseur du dossier. Dans ce process, charge aux nouvelles agences de programme et à leur direction de servir de “hotline” (souvent par mail) ou de gare de triage vers les labos ou établissements hôtes. Reste la principale question : qui sont les futurs scientifiques “recueillis” en France ? « Le climat et la santé représentent la majorité — environ 60% — des candidats. Ce sont des scientifiques exerçant aux USA mais pas forcément américains », précise le ministère. La liste détaillée ne sera pas connue avant plusieurs semaines, le temps que les évaluations scientifiques et administratives, effectuées au fil de l’eau, n’arrivent à leur terme. Certains établissements, comme l’Université Paris-Saclay, ont par ailleurs choisi de mettre de leur poche pour accueillir des doctorants, « sept à huit » en ce qui concerne l’université francilienne, pour un total d’un million d’euros.

« Les salaires, c’est le vrai problème, la limite de notre attractivité »

Dix de chute. De « 30 000 connexions » annoncées en mai à une soixantaine de dossiers aujourd’hui… Après une com’ présidentielle emphatique, la chute peut sembler rude. 75% des lecteurs interrogés par Nature fin mars dernier déclaraient vouloir quitter les USA… ce temps semble loin. Pour autant, les raisons ne manquent pas : « Répondre à un sondage est plus simple que de faire ses bagages », analyse une source. « Bien que Donald Trump soit violent et stupide, la marche à gravir avant de partir de son pays pour exercer ailleurs est très haute surtout quand on cible des profils bien établis ». Profils qui sont précisément la cible de Choose France For Science : le gouvernement a volontairement délaissé les doctorants, post-docs ou chercheurs en entrée de carrière. De fait, « changer de pays, d’établissement, de mode de vie est une décision lourde », analysait Philippe Baptiste le 28 août dernier, « il serait illusoire d’espérer renverser d’un coup une suprématie états-unienne », comme le rapportaient nos confrères d’AEF.

Qualité ou quantité ? « De manière plus générale, les gens hésitent à sauter le pas même si nos deux candidats viennent d’universités particulièrement maltraitées par l’administration Trump [Harvard ou Columbia, NDLR] », témoigne Alexandre Legris (CEA), en charge de l’agence de programme Énergies décarbonées. « Nous avons eu l’agréable surprise de recevoir deux dossiers excellents de chercheurs déjà établis dans les domaines des batteries et des réseaux électriques, qui à mon sens apporteront un vrai plus », continue-t-il. De plus, « le fait de devoir déposer des ERC ne les dérange pas, le système américain est de toute façon ainsi fait ». Si la culture “entrepreneuriale” semble effectivement ancrée dans les pratiques outre-Atlantique, les futurs lauréats Choose vont devoir naviguer dans les méandres de l’administration française, au risque de l’hydrocution intellectuelle.

« La question de fond, très récurrente, est celle du sentiment de déclassement des chercheurs français »

Alexandre Legris, CEA

Revers de la médaille. On en arrive au côté face de la France. Un flashback nous ramène à l’institut Cochin en compagnie des jeunes chercheuses le 04 juillet dernier. À la question posée par Philippe Baptiste — qui a eu le mérite de mettre le sujet sur le tapis — de savoir si elles avaient eu des problèmes administratifs, une forêt de mains se lève pour décrire une litanie de mésaventures ayant mené certaines à l’illégalité, voire à la suspension de leur rémunération pour un temps malgré le soutien de leur équipe d’accueil. La plupart étant coincées dans un triangle des Bermudes avec la Préfecture de Police (censée délivrer les titres de séjour), l’Assurance maladie (pour la carte Vitale) et les services bancaires (pour le compte en banque) à chaque coin. Un chercheur nous confiait en off que ces démarches avaient été réglées en une après-midi et un rendez-vous lorsqu’il exerçait aux USA et que la situation française n’avait guère évolué depuis son retour « il y a une quinzaine d’années ». Un problème que le ministre s’est dit déterminé à résoudre.

Tour Eiffel et Cie. Mais, selon Alexandre Legris (CEA), « la question de fond, très récurrente, est celle du sentiment de déclassement des chercheurs français, j’ai notamment en tête le rapport de l’OST [sur le positionnement scientifique de la France dans le monde, NDLR] de l’année dernière. Il faut voir Choose France comme l’occasion d’apporter des idées nouvelles à un moment charnière. L’histoire en a donné d’autres exemples, comme après la Seconde Guerre mondiale ». Les grands discours se heurtent à une réalité, celle du sous investissement national dans la recherche : « L’effort de recherche des administrations [publique, NDLR] s’élève à 0,74 % du PIB en 2023, à son plus bas niveau depuis 1980 », notait ainsi les services statistiques du ministère de la Recherche en juillet dernier. Un sous-investissement qui se traduit dans les salaires, notoirement inférieurs à ceux des collègues allemands, suisses, anglais… ou américains. « C’est le vrai problème, la limite de notre attractivité, l’activité scientifique étant notre force », nous confie un universitaire. 

« Même si les collègues accueillis grâce à Mopga sont souvent retournés chez eux, le bilan reste positif »

Elsa Cortijo, CNRS

Billet aller-retour. Et maintenant ? Les recrutements continueront un certain temps : « Le budget initial de 100 millions d’euros n’a pas été dépensé en quatre mois. Les profils visés étant de très bons scientifiques entre 40 et 60 ans, nous sommes conscients que les recrutements prendront du temps », analyse le ministère. Les quelques dizaines de recrutés n’arriveront eux certainement pas avant le début d’année… pour combien de temps ? « Tous ces profils “seniors” que nous voyons arriver par Choose France ne resteront pas », nous confie-t-on en off. Ce qui n’empêche pas d’autres de positiver : « En tant que directrice d’unité au moment de l’initiative Mopga, ce fut un succès dans mon labo, analyse Elsa Cortijo, ancienne directrice du LSCE. Même si les collègues chercheurs que nous avons accueillis sont souvent retournés chez eux, le bilan reste positif, tant dans la production scientifique que dans les collaborations internationales qu’ils ont permis ». À date, une quinzaine de ces scientifiques du climat accueillis en 2017 ont définitivement posé leurs valises en France.

100 mètres carrés et des ERC

Après quelques atermoiements, le cahier des charges de l’opération Choose France for Science est paru le 8 septembre dernier sur le site de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Le prérequis est clair : pour candidater, il faut être « chercheur confirmé, ingénieur de très haut niveau ou exceptionnellement des managers de projets scientifiques complexes à l’international » et, une fois accueilli, il faudra aller présenter « dans les deux ans suivant sa prise de poste un projet international ou européen concurrentiel (ERC, EIC pathfinder) ». Détail qui n’en est pas un : les candidats mid-career devront avoir un espace minimum d’installation de 100 m2 dans un environnement d’excellence, fourni par l’établissement.

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