Pipettes, boîtes de pétri, tubes à essai, gants… C’est une poubelle entière que Juliette Rosebery et son équipe ont rempli suite à une série de manip’. Habituée au verre, cette hydrobiologiste avait été choquée de la quantité de plastiques à usage unique utilisés « juste pour une petite expérience ». Choquée et surprise de ne repérer aucune initiative pour remédier à ce problème. C’était en 2023. La directrice de recherche à INRAE a donc décidé d’agir. Première étape : mettre des chiffres sur la consommation de plastique et son impact – notamment carbone – dans les labos pour sensibiliser, puis réfléchir à sa diminution. « Pris dans ses habitudes, on ne se rend pas toujours compte de la quantité qu’on émet et comment on pourrait économiser », explique Juliette Rosebery, coordinatrice du projet ANR RedPlast_Up. Elle a depuis croisé la route d’autres chercheurs œuvrant dans ce sens en France.
« Les chercheurs réduiront le plastique quand ils réaliseront les économies qu’ils peuvent faire »
Marianne De Paepe
Gourmandise. L’enjeu est de taille : un chercheur en biologie utiliserait jusqu’à 20 fois plus de plastique qu’un Européen lambda, explique Labos 1point5 dans un récent décryptage. Et d’autres disciplines sont concernées : sciences de l’environnement, ingénierie, archéologie, santé… Au niveau mondial, 5,5 millions de tonnes de déchets plastiques auraient été générés par la recherche en 2014. S’il est peu onéreux et pratique, le plastique libère des gaz à effet de serre lors de sa fabrication mais également en fin de vie – incinération pour ceux contaminés, plombant les bilans carbone d’une bonne partie des labos. Son utilisation généralisée génère également des dangers pour la santé humaine : les plastiques se transforment au contact de l’eau et de l’exposition aux UV en micro voire en nanoplastiques et s’accumulent dans chaque recoin de la planète – des glaciers de l’Himalaya aux fonds des océans. Mais aussi dans les vivants : notre cerveau pourrait contenir jusqu’à 0,5% de plastique, un bon quart de ses composés serait toxique, comme le résume une synthèse publiée par l’OPECST.
Tri sélectif. Brisons d’emblée les espoirs des optimistes qui misent sur le recyclage : seuls 17% des déchets plastiques ont réellement été recyclés en France en 2018, contre 10% au niveau mondial, selon la note de l’OPECST. De toutes les façons, une bonne partie des déchets plastiques de la recherche étant contaminée, la réglementation impose de les envoyer directement à l’incinérateur – c’est le cas par exemple pour les Déchets d’activité de soins à risques infectieux (DASRI pour les intimes). « La prévention des risques – à la fois pour les agents et la population – prime sur l’aspect environnemental », explique Sandra Poulard, référente RSE (responsabilité sociétale et environnementale) du centre INRAE de Jouy-en-Josas-Antony. Cette dernière tente de lier des partenariats avec des entreprises locales pour reprendre les plastiques non contaminés – typiquement des emballages : « Quatre tonnes de polystyrène et polypropylène ont été revalorisées en 2024 ». Mais le meilleur déchet reste celui qu’on ne fait pas.
« À partir de 20 ou 30 utilisations, le verre devient très avantageux en terme d’empreinte carbone »
Sophie Schbath
In verro veritas. L’une des solutions peut sembler à la fois évidente et terriblement complexe à mettre en place : (re)passer au verre. Un retour en arrière pour certains, une nouveauté pour les plus jeunes, ainsi que des disciplines comme la microbiologie qui se sont développées en même temps que l’avènement du plastique. Même si son empreinte carbone à la fabrication est souvent équivalente au plastique, le verre a en revanche l’avantage d’être réutilisable un grand nombre de fois, diminuant ainsi l’empreinte d’une expérimentation : « À partir de 20 ou 30 utilisations, le verre devient très avantageux en terme d’empreinte carbone », analyse Sophie Schbath, bioinformaticienne qui a participé à l’élaboration de l’outil EcoLabWare permettant de comparer les empreintes carbone et eau du verre et du plastique dans les labos – nous vous en parlions et il est aujourd’hui disponible parmi les outils de Labos 1point5. Mais qui dit réutilisation dit… lavage. Malgré sa consommation en eau et en énergie, le verre est-il vraiment plus écolo ? « J’avais besoin de chiffres pour convaincre mes collègues », témoigne Marianne De Paepe, biologiste à INRAE, co-responsable développement durable de son laboratoire et co-développeuse du module EcoLabWare. Et les résultats sont là, au grand étonnement de certains : l’empreinte eau d’un tube de 30mL passe de 35 litres pour un plastique à usage unique à seulement 10 litres pour un verre réutilisé 30 fois – quand le bilan carbone est divisé par cinq.
À la plonge. Seulement voilà, pour laver, il faut… une laverie. Un service à part entière, comprenant machines mais aussi personnels – les préparateurs. Auparavant courantes dans les labos de biologie, les laveries sont en perte de vitesse, faute de recrutement. Sur le campus de Jouy-en-Josas où travaille Marianne De Paepe, le laboratoire Micalis, qui compte 300 personnes, se démarque avec la présence de six préparateurs à la laverie, dont trois en CDD payés par l’unité – un prélèvement sur les financements de toutes les équipes et une participation du centre INRAE. Désinfection dans des autoclaves, lavage manuel à l’eau, lavage à l’eau acide dans des machines, stérilisation… le responsable Ludovic Prieux nous a montré toutes les étapes du travail des préparateurs dont la qualité est cruciale pour la réussite des manips. L’élaboration de l’outil EcoLabWare a permis d’identifier certains points d’amélioration : « Que les chercheurs donnent aux préparateurs un verre moins sale permet de diviser par deux ou trois le temps de lavage, et donc la quantité d’eau utilisée », atteste Marianne De Paepe. Une eau qui doit être récupérée dans des bidons et éliminée par la même voie que tous les déchets contaminés par les expériences – toujours ces fameux DASRI.
« Pourquoi utiliser 50 litres si on n’en a réellement besoin que de 5 ou 10 ? »
Ludovic Prieux
Moins, mieux. Cependant, passer au verre semble impossible dans certains cas : le lavage devient compliqué lorsque les volumes sont très petits ou quand les infrastructures manquent. Une autre solution reste donc plus prosaïquement de diminuer les volumes des expériences. C’est exactement ce qu’a réalisé une autre unité située sur le même campus de Jouy-en-Josas : MetaGenopolis. À l’initiative du projet Le French Gut visant l’analyse de 100 000 échantillons de selle pour cartographier le microbiote intestinal de la population française, l’unité a prévu en amont une augmentation qui leur semblait inéluctable des volumes de plastiques utilisés. Soutenu par son institution, l’ingénieur INRAE Christian Morabito a misé sur l’automatisation pour miniaturiser les volumes : « En fin de traitement, les machines manipulent seulement quelques microlitres, ce qu’il serait impossible de faire à la main », explique-t-il lors de notre visite des lieux. Un volume suffisant pour l’analyse ADN permettant d’identifier les bactéries présentes dans l’intestin des donneurs. Ainsi, alors que le débit de l’unité a été multiplié par quatre, 150 kg de plastiques ont été économisés et le bilan carbone est resté stable, selon les calculs de l’ingénieur.
Usage multiple. Pourquoi ne pas réutiliser certains matériels en plastique ? Christophe Fliedel, chimiste au CNRS et spécialiste des polymères, explore cette possibilité en coopération avec sept laboratoires de biologie et de chimie à Toulouse – c’est la suite d’un projet bas carbone du CNRS. « Après un sondage auprès des chercheurs sur leurs usages du plastique, des protocoles de lavage sont élaborés. Ils sont validés par une analyse de routine afin d’assurer une réutilisation sure du matériel, sans impact sur les expériences », explique le chercheur. Un exemple : les flacons de culture cellulaire, pesant plusieurs dizaines de grammes. Au lieu de les jeter après la première utilisation, les chercheurs ont pu les laver et s’en resservir sans problème jusqu’à quatre fois – et plus serait certainement possible. Voilà qui permettrait de diminuer la quantité de déchets, le coût des manips, le temps passé à commander le matériel, le recevoir, le stocker… Cette action a été présentée dans le cadre du nouveau schéma directeur de l’Université de Toulouse, avec le soutien du CNRS. Les premiers résultats seront bientôt publiés et diffusés sous la forme de fiches via le projet RedPlast_Up d’ici la fin 2025.
« Disons que nous avons ralenti l’augmentation généralisée [de l’utilisation des plastiques] »
Marianne De Paepe
Concevoir un véritable « outil de design expérimental » permettant de comparer les empreintes de différents protocoles – avec ou sans réutilisation, utilisant du plastique ou du verre – est un des objectifs du projet ANR RedPlast_Up, qui implique aujourd’hui quinze laboratoires sur Bordeaux et emploie deux ingénieurs à plein temps. « Les chercheurs pourront choisir objectivement », explique Juliette Rosebery. Ne restera plus qu’à motiver les troupes. « À Micalis, nous n’en sommes qu’au début – certains laboratoires sont bien plus avancés que nous dans la réduction des plastiques. Disons que nous avons ralenti leur augmentation généralisée », résume Marianne De Paepe. Responsable de l’achat des consommables en plastique pour tout le labo, Ludovic Prieux nous montre le stock qui s’amoncèle sur plusieurs pièces qui ne durera que quelques mois. Des études pourraient certainement être menées pour réduire les volumes des expériences : « Pourquoi utiliser 50 litres si on n’en a réellement besoin que de 5 ou 10 ? » Une réflexion qui doit être soutenue par les chefs d’équipe et qui remet en question l’achat de matériel en commun qui ne profite pas à ceux qui réduisent. Marianne De Paepe en est persuadée : « Les chercheurs réduiront le plastique quand ils réaliseront les économies qu’ils peuvent faire ».