La résistible ascension des DBA

La communication autour des Doctorate of Business Administration (DBA) dispensés par certaines écoles en France inquiète les promoteurs du doctorat tout court.

— Le 24 septembre 2025

DBA. Trois lettres qui gagnent en popularité mais qui font grincer des dents les défenseurs du doctorat, le plus haut diplôme français. Spécifiques aux sciences de gestion, les Doctorate of Business Administration (DBA donc) proposent à des cadres et managers expérimentés de mener un travail de recherche appliquée tout en poursuivant leur activité professionnelle. Avec à la clé, une thèse soutenue devant un jury. Sur le papier, tout rappelle un doctorat tel que vous le connaissez. Et c’est bien le problème. La récente publication d’un livre blanc sur le DBA, soutenu par la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege) et adressé au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ainsi qu’à celui du Travail et de la Santé en février 2025, n’a fait que relancer les inquiétudes déjà vives d’une partie du milieu académique.

« Ce ne sont pas tant les DBA (…) qui nous posent problème mais vraiment la promotion qui en est faite »

Raphaël Porcher, Béatrice Marin (RNCD)

First things first. Que sont ces DBA ? Introduits pour la première fois aux États-Unis dans les années 1950 par Harvard, ces formations marchent dans les pas des MBA — Master of Business Administration — et connaissent un succès très rapide dans les pays anglo-saxons. Leur importation en France est plus tardive : ce n’est que dans les années 90 qu’apparaît le premier DBA, à la Grenoble Ecole de Management (GEM). Aujourd’hui, ce sont plus d’une quinzaine d’établissements qui en proposent au sein de l’Hexagone, en grande partie des business schools mais également trois universités — Paris Dauphine – PSL, Montpellier 3 Paul-Valéry et Université Côte d’Azur – UniCA. Ces formations, que l’on retrouve également sous les noms executive DBA (eDBA) ou executive PhD (ePhD), « permettent de prendre du recul par rapport à l’exercice d’une profession et faire de la recherche utile pour les entreprises », nous explique Michel Kalika, président du Business Science Institute, coordinateur du fameux livre blanc et grand promoteur des DBA.

État des lieux. « C’est une expérience transformatrice qui a renouvelé en profondeur mes perspectives professionnelles et personnelles », vante l’un des témoignages du livre blanc. Le public cible : des cadres avec souvent plus de dix ans d’expérience, un profil international, qui cherchent à se distinguer sur un marché du travail où les MBA sont devenus monnaie courante. Mais également — « surtout », insiste Michel Kalika — à se former à la recherche « à un niveau doctoral » pour gagner en expertise. Chaque établissement est libre d’en déterminer le contenu. Isabelle Bouty, responsable du programme Executive PhD de Paris Dauphine – PSL — la première université française à avoir proposé ce type de formation — insiste : « Nous sommes très exigeants, tant en termes d’implication que de rigueur scientifique ». Plusieurs séminaires par mois, des formations à la recherche, un suivi de thèse régulier réalisé par des enseignants-chercheurs actifs, des attentes scientifiques élevées… « Notre objectif est de former des passeurs de savoir », explique-t-elle. Mais si certains font gage de sérieux scientifique, ce n’est pas le cas de toutes. 

« Ils entretiennent volontairement un flou entre ces programmes et le doctorat »

Stéphanie Danaux, ANDès

Petit tonnerre. « Le marché n’est pas régulé, donc forcément on y trouve une grande variété d’offres », explique Isabelle Bouty et dans certains cas les intérêts économiques débordent parfois sur le scientifique. Ce qui mène à des situations parfois cocasses : au sein d’un DBA, l’un des responsables encadrait près de 40 thèses, nous rapporte-t-on. « L’un des objectifs du livre blanc était justement de présenter des critères pour cadrer le niveau d’exigence attendu par des DBA français », nous explique Michel Kalika. Le livre blanc cite deux autres enjeux : faire connaître ces formations encore peu connues en France… et les faire reconnaître comme programme doctoral à part entière. De quoi relancer les inquiétudes de la communauté académique. En 2015 déjà, alors que Sciences Po envisageait l’ouverture d’un DBA, des étudiants et enseignants de l’établissement avaient pris la plume dans une tribune à Rue89 pour dénoncer la création de doctorats au rabais : « En deux ans, comment peut-on mener des entretiens, les dépouiller, effectuer du travail d’archive, s’approprier un sujet, intégrer un terrain, maîtriser des logiciels et produire 600 pages ou plusieurs articles de recherche ? (….) Que doit-on sacrifier ? ». 

In english please. L’intitulé de la formation semble lui aussi d’emblée poser problème à cause de son usage « abusif » du terme doctorate. Si aux États-Unis, la différence entre DBA et doctorat est explicitement introduite par l’emploi du fameux PhD, en France, le terme a une toute autre connotation. « Le diplôme national du doctorat est un diplôme reconnu par l’État », explique Linda Lahleh, trésorière adjointe de l’Association nationale des docteurs (ANDès). Il est de ce fait cadré par le Code de l’Éducation et enregistré au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Il est donc soumis à un cadre bien précis : il doit être encadré par une personne habilitée à diriger les recherches, réalisé dans un établissement, école doctorale et unité de recherche accrédités pour délivrer le doctorat, et a pour finalité la production de connaissances nouvelles. Cadre auquel ne sont pas soumis les DBA qui sont des diplômes délivrés par les établissements : n’importe lequel peut donc se targuer de proposer un DBA sous des formes diverses et variées. « Ce ne sont pas tant les formations en elles-mêmes qui nous posent problème mais vraiment la promotion qui en est faite ainsi que la demande de reconnaissance au même niveau », pointent d’une même voix Raphaël Porcher et Béatrice Marin, respectivement président et vice-présidente du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD). 

« Nous avons une position très claire auprès de nos étudiants sur le fait que DBA et doctorat sont deux choses différentes »

Isabelle Bouty

Optique 2000. Thèse, encadrant, soutenance… Le vocabulaire pour décrire la grande majorité des DBA est le même que celui utilisé pour le doctorat. « Ils entretiennent volontairement un flou entre ces programmes et le doctorat », explique Stéphanie Danaux, présidente de l’ANDès. Avec pour conséquences directes : des candidatures de titulaires de DBA à des postes d’ATER ou des demandes d’adhésion à l’ANDès dont l’accès est pourtant réservé aux “vrais docteurs”. Qui plus est, « ils opposent les deux diplômes et affichent une vision faussée du doctorat », explique Linda Lahleh. Premier exemple : l’idée qu’un DBA permette de choisir son sujet de thèse quand il est imposé dans le cadre d’un doctorat. Deuxième élément de langage qui fait tiquer : l’opposition entre un doctorat « professionnel » (le DBA) et un doctorat académique qui n’aurait pour finalité que — ou du moins en très grande majorité — la formation d’enseignants-chercheurs. « C’est une vision très datée du doctorat », pointe Béatrice Marin. Et pour cause : un peu plus de 50% des docteurs sortent du monde académique une fois leur diplôme en poche, selon la dernière note en date du ministère de l’ESR concernant l’insertion professionnelle à trois ans des docteurs diplômés. « Si le doctorat n’est pas professionnel, qu’est-il ? », interroge Stéphanie Danaux.

Ligne droite. « Nous avons une position très claire auprès de nos participants sur le fait qu’Executive PhD et doctorat sont deux choses différentes », affirme pour sa part Isabelle Bouty. Pour Michel Kalika, il est important de sortir de la vision étriquée et « typiquement française » du doctorat : « les objectifs et le public visés par les deux formations ne sont pas les mêmes ». Les DBA répondent, aux yeux de leurs défenseurs, autant à une demande qu’à un besoin dans le domaine des sciences de gestion. « Dans une discipline où le statut de la connaissance est dévalué, il est extrêmement important de former de manière rigoureuse des praticiens managers éclairés qui repartent ensuite vers leur domaines d’activité d’origine », pointe la responsable du programme de l’université Paris-Dauphine PSL. 

« Le DBA va valoriser le doctorat et pas l’inverse »

Michel Kalika

Alternatives secrètes. « Nous ne remettons en aucun cas en doute la qualité scientifique de nos collègues ou des formations qu’ils pourraient proposer », précisent les deux membres du RNCD. Mais l’incompréhension persiste : « On nous décrit les DBA tout à la fois comme différents… et fondamentalement identiques au doctorat ». Différents parce qu’ils ne s’adressent pas au même public et ne répondent pas aux mêmes attentes. Identiques parce qu’ils formeraient au niveau doctoral et selon les mêmes exigences. « Si tout est identique au doctorat, pourquoi y a-t-il besoin de créer cette nouvelle formation ? », pointe Raphaël Porcher. D’autant que certains dispositifs permettent déjà aux professionnels — du management ou autre — d’obtenir un doctorat national : la VAE (Validation par acquis d’expérience) d’une part et la formation tout au long de la vie d’autre part — qui permet à des professionnels en poste de préparer leur doctorat en parallèle de leur activité professionnelle. Des possibilités qui restent encore trop méconnues des entreprises ainsi que des universitaires. 

En eau trouble. « Le DBA s’est engouffré dans une brèche que nous n’avons pas encore assez investie », reconnaît le président du RNCD. Une situation qui trahit le long travail encore à effectuer pour la reconnaissance du doctorat en France. « Pourquoi apporter de la complexité dans la formation doctorale qui nécessite plutôt d’être clarifiée pour le monde socio-économique ? », s’interroge Béatrice Marin. De son côté, Michel Kalika — dont le livre blanc est né à la suite du rapport Pommier-Lazarus sur la valorisation du doctorat dans le privé (nous vous en parlions) — l’assure : « Le DBA va valoriser le doctorat et pas l’inverse ». Pas convaincus pour le moment, le RNCD affiche pourtant son ouverture à la discussion pour tenter de comprendre les motivations derrière la création de ces formations. « Ce qui nous importe, c’est la valorisation du doctorat et la protection de son intitulé », concluent Stéphanie Danaux et Linda Lahleh de l’ANDès. Un sujet dont le ou la prochain·e ministre de l’ESR devra donc s’emparer.

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