Rien ne va plus. Depuis la présentation du projet de loi de Finances 2026 par le gouvernement de Sébastien Lecornu le 14 octobre, les esprits s’échauffent. Avec un point de friction spécifique à l’ESR : la mise en place du nouveau régime obligatoire de protection sociale complémentaire (PSC) pour l’ensemble des personnels. Déployée progressivement depuis quelques mois, cette mutuelle devait être prise en charge à hauteur de 50% de son coût par l’employeur — l’État, en l’occurence. Mais voilà… tout ne se déroule pas comme prévu : « L’effort sur la PSC (…) n’est pas compensé à ce stade », annonçait Philippe Baptiste devant la commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale, le 28 octobre dernier. Pour les principaux concernés — organisations syndicales, président·es d’universités et personnels de l’ESR —, l’incompréhension et la colère prévalent.
« Le ministère a décidé de cette mesure, il se doit de payer »
Françoise Grolleau (Université d’Angers)
Reste à charge. Annoncée en 2020 dans la foulée de la loi relative à la Transformation de la fonction publique, la réforme de la protection sociale complémentaire (PSC) pour les fonctionnaires se concrétise pour les agents de l’ESR le 8 avril 2024 : Sylvie Retailleau et Nicole Belloubet, alors respectivement ministre de l’ESR et ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, signent avec les syndicats un accord sur ladite PSC. L’objectif ? Permettre aux fonctionnaires et contractuels de l’ESR de bénéficier d’une couverture santé négociée et financée majoritairement par leur employeur. Seulement quelques mois plus tard, en juin 2024, le groupement MGEN – CNP Assurances est finalement sélectionné pour gérer ce nouveau régime dont l’entrée en vigueur est fixée à mai 2026, près de dix ans après les salariés du privé.
Carte Vitale. Si du côté du ministère de l’Éducation nationale, sa prise en charge par l’État figure bien dans le projet de loi de Finances 2026, ce n’est pas le cas pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. En clair : les coûts induits par cette mesure reviendront — si le budget était amené à être voté en l’état — entièrement aux universités, sans compensation de l’État. Un effort chiffré à une soixantaine de millions d’euros en 2026 pour l’ensemble des opérateurs soit « 0,2 ou 0,3 % du budget des universités », estimait Philippe Baptiste devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale avant de poursuivre : « Sans que ce soit facile (…) ce n’est pas inaccessible ». Mais pour le reste de la communauté de l’ESR, la question n’aurait pas dû se poser. Car l’accord majoritaire du 8 avril 2024 négocié avec les syndicats, prévoyait explicitement l’engagement du ministère à compenser intégralement le coût revenant à l’employeur. En témoigne l’article 2 dudit accord qui stipule que « l’État compense le coût de cette participation pour les établissements publics (…) dans le cadre de la subvention pour charges de service public ».
« Au moment de payer, l’État revient sur un accord (…) qu’il a lui-même initié et signé »
Christophe Bonnet (CFDT)
Chose promise… « Au moment de payer, l’État revient sur un accord favorable aux personnels de l’ESR qu’il a lui-même initié et signé », pointe Christophe Bonnet, secrétaire fédéral au Sgen-CFDT. Un désengagement qui s’associe pour l’ensemble des syndicats à « une décrédibilisation de la parole de l’État par rapport à un accord signé à l’issue d’une négociation collective », explique de son côté Véronique De Aguiar pour l’UNSA-Education. Même son de cloche du côté de France Universités qui a tenu à rappeler dans un communiqué l’importance du respect du principe de décideur-payeur. « Le ministère a décidé de cette mesure, il se doit de payer », explique simplement la présidente de l’université d’Angers, Françoise Grolleau qui chiffre la charge de cette mesure pour son établissement à 300 000 euros pour 2026 et 600 000 euros en année pleine : « Certaines universités sont dans une telle situation qu’il leur faut envisager de supprimer des postes pour pouvoir payer la mise en place de la protection sociale complémentaire. Nous marchons sur la tête. »
Compte à rebours. Philippe Baptiste a également annoncé laisser la main aux établissements sur la date de mise en œuvre de l’accord — initialement fixée au 1er mai 2026 — sous couvert d’autonomie. Avec une seule exigence : qu’elle soit effective avant la fin décembre 2026, puisque « le seul engagement de l’État était qu’elle soit mise en place en 2026 », avait-il ainsi rappelé devant le Sénat. De quoi réduire l’impact financier de sa mise en œuvre pour les universités l’année prochaine. « Ce n’est pas à nous de faire ce choix, c’est à l’État d’assumer ses responsabilités », insiste la présidente de l’université d’Angers. D’autant plus de responsabilités que les affiliations — qui concernent près de 176 000 agents dans le périmètre universitaire — ont déjà débuté depuis plusieurs semaines. « L’autonomie des établissements ne peut pas servir de prétexte pour leur transférer la charge de mesures décidées par l’État », poursuit Christophe Bonnet.
« Si rien ne change (…) près de 230 millions d’euros de charges s’ajouteront en 2026 »
France Universités
Prise en charge. Et s’il y a bien autre chose qui dérange, c’est la méthode employée pour prendre ces décisions. « Nous avons face à nous un ministère coupé de tout dialogue social : les décisions se font unilatéralement », pointe Emmanuel de Lescure, secrétaire général du Snesup-FSU. Une méthode qui questionnait déjà avant les annonces budgétaires de Philippe Baptiste puisque les syndicats s’étaient alarmés à la mi-octobre après avoir appris — par la MGEN — la suspension, à la demande du ministère, de l’affiliation à la mutuelle. « Aucune communication n’avait été adressée aux organisations syndicales signataires de l’accord et membres de la commission paritaire de pilotage et de suivi », pointe Véronique De Arguia. Si les affiliations ont aujourd’hui repris, l’incompréhension des organisations syndicales de l’ESR demeure entière.
Gagner des millions. La pilule est d’autant plus difficile à avaler qu’à ces coûts supplémentaires à viendraient s’ajouter à ceux d’autres mesures pour l’instant non compensées dans la copie du gouvernement. Car si Philippe Baptiste met en avant une progression de 566 M€ des crédits de la Mires par rapport à 2025, France Universités dresse un tableau bien différent : « Si rien ne change, en plus des 360 millions d’euros déjà non financés en 2025 et reconductibles, près de 230 millions d’euros de charges s’ajouteront en 2026 ». Une hausse « en trompe-l’œil », comme la qualifie l’association d’universités Udice. S’ajoute également à la charge des universités : la hausse du taux de cotisation du (CAS) « Pensions » — le régime de retraite des fonctionnaires — compensé à hauteur de 81 millions d’euros alors que son coût total est estimé à 200 millions d’euros, selon France Universités. Une doléance récurrente des universités. Sans oublier une compensation partielle des mesures dites Guérini… et le coût de l’inflation. Philippe Baptiste l’admet : « La marche [prévue dans la Loi de programmation de la Recherche votée en 2019] pour 2026 n’est pas intégralement respectée », empêchant notamment de procéder à l’augmentation de la prime statutaire dite C1 — nous vous en parlions — pourtant prévue dans la LPR.
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« Ce n’est pas Zola non plus »
Philippe Baptiste, ministre
Emile et image. « C’est le même mécanisme utilisé depuis des années : ils annoncent des bonnes nouvelles, mais laissent la responsabilité des déficits aux établissements », note Emmanuel De Lescure du Snesup-FSU. Et les prévisions budgétaires de Philippe Baptiste au Sénat le 29 octobre ne sont pas les seuls propos du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace à avoir fait réagir. « Ce n’est pas Zola non plus », avait-il ainsi déclaré pour décrire la situation financière des universités. Des propos « inadmissibles » pour l’entièreté des organisations syndicales : « Faire cette comparaison, c’est nier la profondeur des difficultés auxquelles font face les universités et universitaires », pointe Emmanuel De Lescure. Son commentaire sur le taux de réponse aux projets Horizon Europe — qualifiant « avec beaucoup de maladresse », selon le syndicaliste, les agents de l’ESR de « nuls », « à la ramasse » — n’est pas non plus passé inaperçu… Si ces mots ont bien été prononcés on vous invite à réécouter l’audition du ministre pour vous faire un avis (écouter le moment). Pour la présidente de l’université d’Angers, « ce ne sont pas des propos qu’on attend d’un ministre quand il s’adresse à ses opérateurs, surtout quand on connaît le contexte budgétaire d’un certain nombre d’universités françaises ». « Des excuses [sont] indispensables dans un tel contexte », ajoute même Sup’Recherche Unsa, avant d’enchaîner : « Si, par la même occasion, un budget convenable pouvait advenir, ce ne serait pas plus mal »
Suspends ton vol. Mais pour le savoir, il faudra attendre encore quelques semaines, le temps que le budget soit finalisé. Suite à l’audition de Philippe Baptiste, les députés ont examiné en commission les crédits de la Mires et ont émis un avis défavorable, selon nos confrères d’AEF info. Près de 19 amendements ont été votés dont : l’augmentation de 15 % du budget alloué aux universités, la compensation intégrale des mesures dites Guérini, ou celle du coût de la mise en place de la PSC. Rien n’est joué : l’année dernière, la hausse du CAS Pension avait finalement été prise en charge par l’État. Affaire à suivre donc dans les prochaines semaines. Ce qui est sûr, c’est que les syndicats n’entendent pas transiger, quitte à porter l’affaire devant la justice…
