Je ne me suis jamais imaginée entrepreneuse ! Une fois le bac en poche, j’ai suivi des études de physique à l’ESPCI ; j’étais conquise par l’aspect prédictif et mathématique de la discipline. Cette école d’ingénieur a la particularité d’orienter vers la thèse, un choix qui me convenait bien car j’étais déjà familiarisée à la recherche : plusieurs membres de ma famille sont chercheurs à l’étranger. En 2006, au sortir du doctorat, j’hésitais entre carrière publique et privée, c’est finalement la seconde option que j’ai suivie. Rapidement, Schlumberger, entreprise de services pétroliers, m’a donné ma chance en tant qu’ingénieure d’opérations. Le contact avec le terrain me plaisait beaucoup malgré des conditions parfois rudes, comme les appels pour se rendre sur des chantiers en pleine nuit. J’ai assuré plusieurs fonctions au sein de cette multinationale. Cela m’a permis d’évoluer tout en restant à l’interface entre la dimension académique et la transformation du produit.
« Il fallait structurer mon idée et lui donner une dynamique »
À 40 ans, et malgré un réel épanouissement professionnel, une prise – si ce n’est une crise – de conscience va peu à peu naître chez moi. L’urgence écologique s’invite de plus en plus dans l’actualité et le conflit intérieur devient inévitable : comment continuer à défendre l’industrie pétrolière trop longtemps présentée comme la clef du progrès ? Très vite, je partage mes états d’âmes à mes collègues et réalise que je ne suis pas un cas isolé. Nous lançons alors un projet « d’intrapreneuriat » – une démarche interne de développement de projet –, avec plusieurs salariés de Schlumberger. Nous nous intéresserons notamment à la géo-énergie. Ce procédé de valorisation énergétique des sous-sols – dès 5 mètres sous terre, zone dans laquelle la température est comprise entre 12 et 15°C – permet de chauffer ou de rafraîchir les bâtiments, selon la saison. Mais si la technologie nous paraissait fiable, elle était compliquée pour moi dans ce cadre. Il me fallait lui donner une structure et lui insuffler une dynamique : l’entrepreneuriat s’imposait et j’ai décidé de créer Geosophy.
« Je n’ai pas pour autant oublié mon passé de doctorante »
À la rentrée 2018, j’ai quitté mon poste et me suis consacrée à mon entreprise de géo-énergie. La méthode utilisée est simple : permettre la circulation de l’eau depuis les sous-sols pour rafraîchir les bâtiments en été et les chauffer en hiver à l’aide d’une pompe à chaleur. Dès lors, le sentiment naissant d’être enfin alignée à mes valeurs a agi comme un moteur formidable. Entre automatisation et modélisation, les besoins de la start-up sont de plus en plus avancés. Je m’appuie sur mon expérience pour avancer et sur mon réseau pour constituer mon équipe. Et je n’en n’oublie pas non plus mon passé de doctorante ! Nous mettons en place rapidement des partenariats avec les labos universitaires : à l’Ensam, à l’IFP Energies Nouvelles et à Paris Dauphine-PSL. Notre choix de collaborer avec l’académie nous apparaît comme une évidence pour éviter de réinventer la roue.
« La crise énergétique a généré une prise de conscience globale »
Depuis quatre ans à la tête de Geosophy, je poursuis sans relâche le même objectif : démocratiser l’accès à la géo-énergie Si cette initiative a été plusieurs fois encouragée par des bourses, telles que celles de BPIfrance et de l’Ademe, cette technologie souffre encore d’un grand déficit de notoriété. Tout le monde connaît les panneaux solaires mais qui a entendu parler de la géo-énergie? Nous devons faire évoluer cela : les sous-sols sont invisibles, peu attractifs, voire un peu effrayants. Pourtant peu à peu, de plus en plus d’investisseurs immobiliers comprennent l’intérêt de valoriser l’énergie qu’ils produisent. Probables conséquences de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique qui en découle. Je pense que cette actualité a généré une prise de conscience globale, la population commence à comprendre que les problématiques environnementales sont intimement liées aux enjeux géopolitiques. Le 14 juillet dernier, Emmanuel Macron déclarait d’ailleurs que l’Élysée serait prochainement équipé en géothermie. Dernière consécration : la labellisation de Geosophy en tant que start-up Greentech qui souligne la dimension d’intérêt général de notre entreprise ; c’est une vraie reconnaissance.
« Une seconde thèse ? Pourquoi pas ! »
Aujourd’hui, j’apprends à composer avec les nombreuses évolutions de la start-up et son besoin croissant d’embauches. Je ne regrette pas du tout mes douze années passées dans l’industrie pétrolière, tant je suis convaincue que cette expérience m’est encore extrêmement utile aujourd’hui. Cependant, je mesure désormais la dimension politique de mon engagement professionnel qui est clairement animé par l’urgence climatique. Quant à mon expérience du doctorat ? Je la renouvellerais volontiers ! Et, possible effet de la maturité, je me verrais davantage aujourd’hui en sciences humaines et sociales. J’ai réalisé que les niveaux de complexité de la physique sont finalement bien moindres que les niveaux de complexité humains ! Alors, une seconde thèse comme prochain défi ? Pas impossible…