La route sans fin |
La croissance économique peut-elle être continue ? Depuis les débuts de la discipline, la question a divisé et n’est toujours pas résolue. Péché originel. En pleine révolution industrielle, le désaccord régnait déjà entre les économistes de l’école classique. Si la plupart pensaient que l’économie devait converger vers un état stationnaire, notamment John Stuart Mill, d’autres, comme Jean-Baptiste Say, suggéraient l’idée tentante de croissance infinie basées sur des ressources “gratuites”, donc illimitées. Keynésianisme. Les économistes sont appelés en renfort durant la crise des années 1930. C’est là que naît le concept moderne de produit intérieur brut (PIB), nouvelle mesure de la croissance. Mais ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale qu’elle s’impose dans les politiques publiques pour stabiliser une économie “sur le fil du rasoir”. Flower Power. L’idée que croissance et progrès sont intimement liés se renforce durant les Trente Glorieuses. Dans les années 1970, une critique écologiste apparaît avec la prise de conscience des conséquences désastreuses de la croissance, mais ne prend pas parmi les économistes, du moins dans le courant majoritaire, l’école néoclassique. Newton vs Clausius. Une poignée d’économistes regarde tout de même du côté des sciences physiques : si les modèles de croissance néoclassique se basent sur la réversibilité des processus, découlant de la mécanique de Newton, de nouvelles voix introduisent la notion d’irréversibilité, provenant elle de la thermodynamique et du concept d’entropie. En d’autres termes, on brûle du pétrole, mais on ne peut pas le “débrûler”. Retour en grâce. Après avoir été délaissée, la recherche sur la croissance redevient active à l’aube de la crise de 2007. Les études se focalisent aujourd’hui sur les liens entre la croissance et certains paramètres comme la démographie. En parallèle des simulations, les économistes sont de plus en plus incités à confronter leurs modèles aux données, s’appuyant sur des expériences grandeur nature de politiques économiques, méthodes développées par le dernier prix Nobel en date. Controverse scientifique. Génératrice d’emploi pour certains économistes, cette “agitation économique” qu’est la croissance ne représente rien pour d’autres – les hétérodoxes. La croissance ne dit en effet rien du bien-être humain ou de la santé des écosystèmes. C’est pourquoi le besoin d’interdisciplinarité avec la sociologie, l’histoire, la physique ou la biologie est aujourd’hui revendiqué. |
Les dogmes de l’innovation Cela ne vous aura pas échappé, l’innovation – qui annule et remplace le terme de progrès technique – est promue par les politiques, notamment auprès de vous chercheurs. Pourquoi cette obsession ? Selon la chercheuse en économie de l’innovation Marie Coris, c’est « parce qu’il semble acquis que l’innovation porte la dynamique du capitalisme » notamment depuis les travaux de Joseph Schumpeter. Ses enseignements « sont toujours éclairants pour comprendre les cycles et les crises économiques, pas forcément pour orienter les politiques », explique-t-elle. Pour le biochimiste Hervé Philippe, c’est plus largement l’acceptation d’une croissance infinie de savoir qui est à l’origine de notre modèle de société basé sur une croissance économique sans limite. |
Croissance ou non ? Les grands noms Simon Kuznets Inventeur du concept moderne de produit intérieur brut (PIB) à la demande du Congrès américain dans les années 1930. Retravaillé par John Keynes, il a pour objectif de mesurer les effets de la Grande Dépression sur l’économie. Robert Solow Prix Nobel en 1987 pour son modèle néoclassique de croissance économique où est mis en avant le rôle du progrès technique. Développé en 1956, le modèle de Solow restera dominant jusque dans les années 1990. Nicholas Georgescu-Roegen Mathématicien et économiste, il veut replacer l’économie sous l’égide des lois physiques et biologiques. Considéré comme le père de l’économie écologiste dans les années 1970, même s’il n’a jamais parlé de décroissance. Donella Meadows Co-autrice du rapport Meadows pour le club de Rome en 1970, c’est la première à pointer du doigt les conséquences désastreuses de la croissance économique pour l’environnement et à recommander une stabilisation de l’économie. |