Au CNRS, un rapport chasse l’autre

L’organisme national a été passé au crible par un comité international désigné par le Hcéres : ces derniers ne mâchent pas leurs mots mais ménagent l’essentiel.

— Le 29 novembre 2023

Rapport et rapport. Dans la litanie des évaluations, enquêtes et analyses commandées par la puissance publique, les opus de la Cour des comptes ont souvent la palme de la franchise. Le récent rapport du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) sur le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), annoncé il y a maintenant 11 mois vient lui contester le podium. L’aréopage de scientifiques internationaux présidé par Martin Vetterli de l’École polytechnique de Lausanne n’a en effet pas enfilé des gants de velours pour traiter le cas de l’organisme de recherche, tout en sachant pertinemment qu’il irait peut-être rejoindre ses prédécesseurs au cimetière des consultations.

« [Sur l’administratif] La direction générale du CNRS ne semble pas apprécier à sa juste mesure le profond niveau de frustration [des agents] »

Le comité Hcéres

Micromégas. Ce rapport (que vous trouverez en intégralité ici), publié le 20 novembre dernier après des mois d’enquêtes et de consultations, contient en effet douze recommandations assorties de 74 sous-recommandations, qui vont des plus précises, notamment sur la gouvernance du CNRS, aux plus générales sur son positionnement international. Si le rapport semble ne pas susciter de grands remous parmi les agents CNRS, cette prescription “de choc” des experts du Hcéres se veut à la fois flatteuse et directe : le ton tranche, il est vrai, par rapport à la prose plus beige des autres évaluations du Hcéres. Il faut dire que la stature du CNRS et son positionnement totalement atypique dans la recherche mondiale font également de ce document un rapport d’étonnement, à la manière de ceux écrits par de nouveaux venus dans une institution.


Souvenirs, souvenirs. Rappelons que le précédent rapport d’évaluation de l’organisme avait été balayé du revers de la main. En 2012, autant les syndicats qu’Alain Fuchs avaient voué aux gémonies le rapport de l’Agence d’évaluation de la recherche (AERES) de l’époque. Alain Fuchs estimait ainsi dans une réponse de sept pages (consultable ici pour mémoire) que le dit rapport était écrit de manière « partisane » voire « ignorante » sur de nombreux points. « Le comité de visite ne voulait surtout pas se risquer à mettre les pieds dans un laboratoire (…) Le résultat de cette pseudo-évaluation n’est, logiquement, qu’un méli-mélo incohérent de statistiques et de préjugés », jugeait alors le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) par la plume de Christophe Blondel.

« Je me réjouis de ces avis élogieux qui s’adressent à (…) l’ensemble des agents » 

Antoine Petit, PDG du CNRS

À moitié plein. Rien de tel en 2023. L’évaluation a été accueillie par la direction générale avec un positivisme assuré dans sa lettre de réponse (consultable ici). Dans un message interne auquel nous avons eu accès, l’actuel PDG Antoine Petit estime que « ce rapport est (…) l’occasion d’enrichir notre réflexion à propos de notre projet grâce aux recommandations que le Comité a voulu partager, dans un esprit constructif » et se « réjoui[t] de ces avis élogieux qui s’adressent à (…)  l’ensemble des agents qui contribuent quotidiennement aux activités et aux succès de l’organisme ». De fait, les experts du Hcéres soulignent la fierté d’appartenance de ses agents. En France, on “est” CNRS. Le rapport de 2023 est donc certes « élogieux » sur certains points… mais pas que. Car, depuis 2012, de l’eau a coulé sous les ponts.


Effet Coubertin. Au-delà des injonctions au mieux et au plus, notamment sur le rayonnement européen et mondial de l’organisme, déjà valables il y a dix ans, les experts réservent quelques piques à la manière dont le CNRS est gouverné, estimant en substance que ses instances « ne sont pas utilisées à bon escient ». Les préconisations sont claires pour son organigramme : reboostant le rôle de son conseil d’administration (CA) puis « une fois le CA investi d’un rôle stratégique, dissocier les fonctions de président du CA et de directeur général du CNRS ». Un petit voyage dans le temps puisqu’il faut remonter au duo Arnold Migus / Catherine Bréchignac en 2006 pour retrouver une telle disposition, interrompue par la nomination en tant que PDG d’Alain Fuchs en 2010. Une pierre dans le jardin de l’actuel PDG, donc, qui n’évoque pas la proposition dans sa réponse. Les interlocuteurs que nous avons sollicités la manient quant à eux avec de très longues pincettes.

« Aucun commando interne n’a le pouvoir de changer les règles de la fonction publique »

Antoine Petit, CNRS

Kafka, je te vois. Mais s’il est un sujet qui a émergé au CNRS ces dix dernières années, c’est bien celui du fardeau administratif, autrement appelée « entraves à la recherche » par le conseil scientifique (CS) de l’organisme dans un rapport au vitriol paru en mai dernier (relisez-le pour mémoire) Antoine Petit l’avait alors accueilli vertement, le qualifiant en interne de « pamphlet » tout en se « désolidarisant totalement de [sa] tonalité générale ». Il aura suffi de quelques mois et de nombreux soubresauts internes, relayés jusque dans la presse généraliste suite aux bugs de déploiement de logiciels de gestion des missions tels qu’Etamine, Notilus et Goelett pour changer de ton. Gageons que les 1800 signataires de cette pétition contre le « calvaire » que représentent ces logiciels recevront le rapport du Hcéres comme une confirmation.


Bug de l’an 2023. L’aréopage d’experts continue en effet d’appuyer sur les plaies administratives de l’organisme, pointant que « la direction générale du CNRS ne semble pas apprécier à sa juste mesure le profond niveau de frustration » chez ses collègues et appelle à une « opération commando » sur ces sujets. La réponse du PDG de l’organisme est la suivante: « le terme “opération commando” peut se discuter car aucun commando interne n’a le pouvoir de changer les règles de la fonction publique (…), elle reflète un caractère d’urgence avec lequel nous sommes d’accord ». Le ministère, Sylvie Retailleau en tête, ont lancé une quinzaine d’expérimentations suite au rapport Gillet (rafraichissez-vous la mémoire) pour tenter de redresser le tir. Mais plus qu’un relooking, il s’agit là d’une révolution institutionnelle que le CNRS ne pourra engager seul.

Le timing de l’évaluation confortera les efforts de simplification souhaités par le ministère 

Cas particuliers. Tout à leur rôle d’aiguillon, les experts du Hcéres ne se privent pas de remarques plus personnelles, comme celle lue au détour du chapitre Ressources humaines : « Un exemple concret de mauvaise gestion d’inconduite qui a été rapporté au comité a été la suggestion que la victime pourrait changer de laboratoire (…) Le comité ‒ tout en étant conscient que le cas qui lui a été rapporté est peut-être très singulier ‒ a été troublé ». Si l’on en revient pour finir à des considérations de politique générale, le timing de l’évaluation confortera les efforts de simplification souhaités par le ministère — si ils aboutissent — et aidera certainement à la rédaction du Contrat d’objectifs de moyens et de performance (COMP) pour la période 2024-2028, précisément en pleine négociation. Tout en sachant pertinemment que le CNRS appartient à un système dont la réforme a tout d’un travail herculéen.

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