« Je l’ai vu, j’en ai lu une partie, c’est bien », déclarait en novembre 2018 Donald Trump, déjà Président des États-Unis, d’un ton nonchalant devant les micros tendus des journalistes lors de la remise au Congrès du rapport national sur le climat. Mais la sentence était très vite tombée : « Je n’y crois pas. Non, je n’y crois pas. » Deux ans de labeur avaient pourtant été nécessaires aux agences fédérales, réunies sous la houlette de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique), ainsi que la participation de quelque 300 scientifiques de renom, pour élaborer ces 1500 pages. Pendant que l’administration Trump encourageait l’extraction d’énergie fossile, ce lourd volume tirait la sonnette d’alarme face au changement climatique risquant fort d’ « entraîner des pertes croissantes dans les infrastructures et les biens américains et entraver le taux de croissance économique au cours de ce siècle. » Un rapport en retour largement questionné par la Maison Blanche qui le jugeait « inexact » et dont la porte-parole déclarait qu’il était « largement basé sur le scénario le plus extrême ».
« Même si bon nombre de ces actions [antisciences] étaient rapportées dans les médias, il était difficile pour les gens de prendre conscience »
Romany Webb
War is peace. Voici un exemple parmi tant d’autres de remise en cause de la science par le pouvoir exécutif entre 2017 à 2021, recensées au sein du Silencing Science Tracker. Romany Webb, chercheuse en droit de l’environnement au Sabin Center for Climate Change Law dépendant de la Columbia University située à New York, a lancé l’initiative avec ses collègues un an après la première investiture de l’élu républicain : « Nous avons vu, au cours de cette première année, l’administration Trump prendre de nombreuses mesures pour entraver la recherche et le débat scientifiques. Même si bon nombre de ces actions étaient rapportées dans les médias, il était difficile pour les gens de réaliser l’ampleur des actions antisciences qui se déroulaient. » Romany Webb et ses collègues ont donc épluché la presse et listé chaque entrave au sein des agences fédérales comme celles pour la santé ou l’environnement, ainsi que dans l’équivalent étasunien des ministères, les départements.
2 + 2 = 5. Résultat : en quatre ans, près de 350 attaques ont été recensées – d’autres sont certainement passées sous les radars – notamment au sujet du changement climatique. « Elles coïncident avec un des objectifs clés de Trump : revenir sur les régulations pour lesquelles les scientifiques ont montré qu’elles amélioreraient la santé publique ou la qualité environnementale », analysent Romany Webb et Lauren Kurtz dans leur étude publiée en 2022 dans la revue Progress in Molecular Biology and Translational Science. La technique est rodée : restreindre l’accès aux savoirs scientifiques ou semer le doute afin de limiter la compréhension du public. Les autrices ont relevé environ 150 cas de suppressions d’informations sur les sites web d’agences fédérales comme les Centers for Disease Control and Prevention, principale agence pour la santé publique, mais aussi des réécritures de rapports par la Maison Blanche. Un exemple ? Des références au changement climatique évincées d’une analyse d’impact réalisée en 2018 par l’Environmental Protection Agency (EPA). Une véritable censure exercée par le pouvoir exécutif qui a peu à peu instauré une culture de la peur parmi les experts : si en 2016 72% des scientifiques de l’EPA se sentaient libres de s’exprimer sans crainte, ils n’étaient plus que 57% en 2018 deux ans après l’investiture de Donald Trump. Avec des conséquences : cette même année, près de 400 scientifiques avaient observé des manquements à l’intégrité scientifique au sein de l’agence mais ne les avaient pas signalés, révélait un rapport interne.
« Les partisans [Donald Trump] ont été amenés à croire que la recherche scientifique était facilement influençable et que les faits scientifiques étaient sujets à interprétation »
Romany Webb & Lauren Kurtz
Obey, obey. Une peur entretenue par la pression sur les postes dans l’ensemble des agences et des ministères – l’EPA a par exemple vu ses effectifs diminuer de 6% en quatre ans – et par la restriction du recours à des experts externes. Plusieurs comités ont été dissous, notamment celui pour l’évaluation du climat en août 2017 alors qu’il était sur le point de produire un rapport – celui-ci sera finalement publié après que la Columbia University recrute le président du comité, qu’il a ensuite reformé. De plus, bien que le financement de la recherche au global ait plutôt progressé grâce au Congrès durant le mandat de Donald Trump, certains programmes ont vu leur budget réduit à peau de chagrin, à l’image de l’étude sur les impacts sanitaires des mines de charbon mise en pause en août 2017. Au même moment, une nouvelle règle a vu le jour à l’EPA : l’approbation obligatoire des projets de recherche financés par une personne nommée par l’administration Trump pour s’assurer qu’ils collent à la politique de ce dernier. Enfin, des entraves à la recherche et à l’expertise ont été documentées : en septembre 2018 par exemple, le Department of Interior – qui s’occupe entre autres des parcs nationaux et non de la police comme en France – annonçait la destruction de données relatives à la faune et la flore, aux ressources en eau ou aux terres.
Biais d’humeur. En cas d’échec de ces manœuvres dilatoires, « les responsables de l’administration ont souvent fait preuve de partialité et de fausses déclarations, sapant ou rejetant simplement les résultats qui ne soutenaient pas leur politique », analysent Romany Webb et Lauren Kurtz. La réaction de Trump au rapport sur le climat donnée en introduction est un exemple mais son attitude a été similaire durant la Covid, période durant laquelle le nombre d’actions antisciences a explosé. Le président des États-Unis a en effet accusé les chercheurs de biaiser leurs résultats pour prouver que l’hydroxychloroquine n’était pas un traitement efficace parce qu’ils n’étaient « manifestement pas des amis de l’administration ». « Une fois encore, ses partisans ont été amenés à croire que la recherche scientifique était facilement influençable et que les faits scientifiques étaient sujets à interprétation », expliquent les autrices de l’étude.
« L’administration Trump semble cette fois-ci plus organisée et il y a des raisons de penser qu’elle pourrait être plus efficace pour atteindre ses objectifs »
Romany Webb
Crise de confiance. L’impact sur la confiance dans la science ne s’est pas fait attendre, avec de grandes disparités selon l’orientation politique. Selon un sondage réalisé par le Pew Research Center en mai 2020, plus de la moitié des électeurs démocrates déclaraient avoir grandement confiance en les scientifiques – pour agir selon l’intérêt général – contre seulement un quart des électeurs républicains. Des chiffres qui ont depuis largement décliné, passant en octobre 2024 à 40% côté démocrate et 12% côté républicain. Au global, la confiance dans les scientifiques a dégringolé après 2020 pour atteindre son taux le plus bas (23%) en octobre 2023. En comparaison, les scientifiques français sont bien plus estimés puisqu’environ 80% de la population leur accorde sa confiance, malgré la crise de la Covid. Concernant les USA, les créatrices du Silencing Science Tracker ont peu de doute qu’il s’agisse des conséquences du mandat de Donald Trump : « Alors que les précédents présidents ont toujours défendu la recherche scientifique, du moins publiquement, l’administration Trump l’a remise en question à plusieurs reprises ». Ces membres ont en effet qualifié certains résultats de recherche dérangeants de “peu fiables”, certains allant même jusqu’à suggérer que la science était “une affaire de démocrates”.
Drill, baby, drill. En conclusion de leur étude, Romany Webb et Lauren Kurtz appelaient en 2022 à la mise en place de mécanismes plus forts pour protéger la science de l’influence politique et permettre aux scientifiques de s’exprimer librement pour corriger de fausses informations ou s’affranchir des conflits d’intérêt. Ce que Joe Biden a partiellement fait durant son mandat (voir encadré). Mais le retour de Donald Trump n’annonce rien de bon : « L’administration Trump semble cette fois-ci plus organisée et il y a des raisons de penser qu’elle pourrait être plus efficace pour atteindre ses objectifs », nous confiait Romany Webb quelques jours avant la seconde investiture de Donald Trump. Elle et ses collègues continueront à suivre les actions de la nouvelle administration visant la science au sein du Silencing Science Tracker, ainsi que les reculs sur les réglementations liées au climat dans le cadre d’une nouvelle initiative : Climate BackTracker. Lancée ce lundi, celle-ci affiche pour l’instant quelques-uns des décrets signés par Donald Trump durant sa cérémonie d’investiture, notamment ceux visant à « forer à tout va » – en remerciement des sommes plus que généreuses versées par les compagnies pétrolières pour le financement de sa campagne ? – ou actant la sortie de l’accord de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Un autre décret annule à lui tout seul 75 mesures prises sous le mandat Biden, dénonçant un « extrémisme climatique » ayant « fait exploser l’inflation et surchargé les entreprises de réglementations ». La liste risque fort malheureusement de s’allonger.
Du mieux durant Biden ?
Le Silencing Science Tracker a continué à recenser les actions antisciences durant le mandat de Joe Biden : « Il y en a eu quelques-unes, mais pas autant que lors de la première administration Trump. L’administration Biden a pris des mesures vraiment positives pour protéger les scientifiques et l’intégrité scientifique », explique Romany Webb. Le président sortant avait notamment nommé Eric Lander, biologiste et professeur au MIT, comme conseiller scientifique – alors que Donald Trump n’en avait pas eu durant deux ans – et avait donné plus d’importance au bureau de la science à la Maison Blanche. Une task force pour revoir les politiques d’intégrité scientifique au sein des agences et des ministères avait été mandatée en 2021, débouchant en 2023 sur un texte cadre.