Géographe, Denise Pumain a été une des premières à développer des modèles dynamiques et complexes dans sa discipline. Pourquoi avoir introduit de nouvelles méthodes de traitement des données en géographie ? Ma motivation était avant tout de répondre à des questions de géographe : trouver les raisons de la croissance des villes – pouvait-on l’expliquer surtout par des conditions locales ou surtout par des processus généraux ? J’ai commencé très tôt à travailler avec des données chiffrées sur les migrations de personnes dans toute la France, à la fois entre les villes et entre villes et campagnes. Avec une collègue, nous avons passé trois mois à recopier des chiffres dans de grands registres à l’INSEE en 1968. A l’époque il était assez difficile de trouver des moyens efficaces pour traiter les données. Comment comparer les profils de migration par âge, par catégorie socio-professionnelle ou par origine des migrants de plusieurs villes ? C’était très frustrant, d’autant qu’en géographie, on veut souvent considérer plusieurs variables à la fois. Je suis partie au Canada, j’ai appris le Fortran, je me suis formée en statistique afin de pouvoir extraire plus d’information à partir des données. C’est ainsi que les propriétés typiques des systèmes complexes ont émergé en géographie ? Je me suis aperçue que l’évolution des villes avait des points communs avec celle d’autres systèmes complexes dans la nature : les inégalités de taille peuvent être décrites par une distribution de Pareto, ressemblant à celle de la dimensions des étoiles. Mais l’interprétation de cette régularité est spécifique aux systèmes de villes : c’est à cause de leurs échanges qui les rendent très interdépendantes qu’elles gardent longtemps à peu près le même rang, même si elles évoluent toutes en taille et transforment considérablement leurs populations et leurs activités. Nous avons pu ainsi donner une réponse à la persistance des hiérarchies urbaines et à la résilience des villes ! Comment développer une vraie interdisciplinarité ? Il faut d’abord construire un langage commun entre les disciplines. Nous sommes fiers d’avoir publié sur le premier modèle multi-agent de géographie en 1996 mais il restait bien des incertitudes. Les informaticiens ne savaient pas exactement traduire en code nos hypothèses et, à l’inverse, nous n’avions pas une compréhension totale du modèle informatique. Un immense bond en avant a été fait à partir de 2010 lorsque nous avons reçu un financement pour recruter des ingénieurs informaticiens au sein de l’équipe. Nous avons pu inclure des outils de visualisation, obtenir des résultats pertinents, reproduire des simulations avec du calcul intensif, ce qui permet de valider la construction du modèle. C’est un gros investissement qui demande de l’exigence à la fois en sciences humaines et en informatique mais qui rapporte beaucoup. Cette problématique de traitement des données en SHS résonne toujours aujourd’hui… Oui, à l’époque, on en avait très peu et il fallait beaucoup d’énergie pour les trouver et les traiter. Aujourd’hui, on croule sous une avalanche de données, il est donc nécessaire d’avoir des méthodes efficaces pour les manipuler. Mais il faut également éviter le gaspillage d’information qu’on observe lorsque le traitement informatique est fait sans tenir compte de l’avancement des connaissances dans le domaine. Par exemple, certains plaquent leur savoir faire mathématique sur des problèmes de SHS. Cela nous fait rire lorsque des physiciens réinventent la roue et retrouvent des résultats bien connus des géographes – comme le fait que l’intensité des interactions sociales décroit avec la distance, même quand elle est mesurée avec un GPS ! Souvent, les études réalisées à partir des données des réseaux sociaux ou de celles glanées sur Internet n’apportent pas assez de connaissances nouvelles en géographie si l’on n’a pas pris assez de soin pour assurer la qualité et la pertinence des données. |
Hélène Gispert : « L’absence des femmes aux Nobel n’est que la partie émergée de l’iceberg »
Les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de cette série de Nobel 2024. Faut-il s'en indigner ? En effet, si l’on regarde les cinq dernières années, sur les trois prix de médecine, physique et chimie, 29 hommes et seulement six femmes ont été récompensés....