Epsiloon sort par le haut des tribunaux

Le journalisme scientifique est parfois un sport de combat : la justice a tranché en faveur du magazine Epsiloon, visé par cinq plaintes.

— Le 14 juin 2023

Pour le prix d’un. Le groupe Reworld Media a finalement été débouté non pas une, mais deux fois. Après deux ans de bataille judiciaire, le mercredi 7 juin, la justice a tranché en faveur du magazine Epsiloon et de ses créateurs, Hervé Poirier et Mathilde Fontez, à l’issue de toutes les procédures engagées par le groupe de presse. « Au total, Reworld avait déposé cinq plaintes différentes », explique Hervé Poirier. Deux à son encontre ainsi qu’à celle de Mathilde Fontez pour « diffamation ». Et une autre, toujours à l’encontre des deux journalistes mais aussi de la maison d’édition Unique Media Heritage (UMH) et de la société éditrice It is not rocket science, pour « concurrence déloyale et parasitisme ». Le groupe de presse se voit donc dans l’obligation de fournir la somme de 5000 euros pour les frais de justice. Ces décisions pourront faire l’objet d’un appel à l’initiative de Reworld Media, qui n’a pas communiqué encore sur le sujet ni n’a donné suite à notre demande d’entretien. 

Reworld Media réclamait en tout plus d’un million d’euros au jeune titre de presse

Damoclès. Petit rappel des faits : Hervé Poirier et Mathilde Fontez ont quitté la rédaction du magazine Science & Vie – dont Reworld est propriétaire depuis 2019 – à la suite de différends éthiques avec le géant de la presse et se sont lancé en 2021 dans la création d’un magazine scientifique concurrent : Epsiloon. Un projet bousculé par la bataille judiciaire dans laquelle ils ont été entraînés. Des procès perçus comme « très violents » par les deux journalistes : « c’était un danger pour nos vies personnelles », explique Hervé Poirier. Un danger car le groupe de presse réclamait en tout près d’un million d’euros. Une somme effarante qui mettait en péril la survie de leur tout nouveau titre de presse.

C’est qui le patron ? Après deux ans à jongler entre les procès et le développement du magazine, l’équipe voit s’éloigner les  menaces de leur ancien employeur. L’histoire remonte à 2019, lorsque le groupe Mondadori – Science & Vie, Grazia, Top Santé… – cède l’entièreté de ses magazines. « Au départ, on avait de l’espoir, on pensait que Reworld allait accorder plus d’importance à Science & Vie que Mondadori, en particulier sur la partie numérique », explique Hervé Poirier. Le groupe de presse formé en 2012 par Pascal Chevalier détient 81 titres de presse pour un chiffre d’affaires s’élevant à près de 500 millions d’euros.

« [En août 2020] J’ai compris que c’était la fin de mon aventure avec eux »

Hervé Poirier

Faux semblants. L’équipe déchante lorsque Hervé Poirier, alors rédacteur en chef de Science & Vie, se voit dépossédé du contrôle éditorial du site internet, désormais géré par une flopée de “chargés de contenus”. « J’ai compris que c’était la fin de mon aventure avec eux », raconte le journaliste. En août 2020, après 22 ans sur les bancs du canard, Hervé Poirier prend la décision de quitter la rédaction de Science & Vie. Il sera suivi quelques mois plus tard de Mathilde Fontez, à l’époque rédactrice en chef adjointe, ainsi que de neuf des 13 journalistes de l’équipe. 

Sur les ondes. Les anciens de Science & Vie reçoivent alors une immense vague de soutien, à la fois de l’opinion publique et des politiques, mais aussi de la part d’éminents scientifiques qui avaient pris leur défense dans une tribune au Monde. Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture, évoque la possibilité de conditionner les aides de la presse à la présence de journalistes dans les rédactions. En somme, l’affaire fait grand bruit et mène Hervé Poirier et Mathilde Fontez à se rendre sur les plateaux radiophoniques pour y expliquer les raisons de leur départ.  Sur France Inter et Europe 1, les deux journalistes soulignent ainsi à l’antenne le risque d’une dégradation de la qualité du site de Science & Vie. Des propos qui poussent Reworld à déposer plaintes pour diffamation. Le tribunal de Paris le déboutera le 7 juin, jugeant qu’ils ne faisaient « qu’exprimer leur point de vue et exercer en cela leur libre droit de critique. » 

« La forme de Science & Vie n’a pas changé, mais le fond est très différent »

Un collaborateur anonyme

Viser la lune. Après avoir claqué la porte de Science & Vie, le duo s’embarque dans une aventure non sans risques : la création d’un magazine scientifique papier et surtout indépendant. « Cette indépendance est primordiale pour nous car c’est une garantie qu’on est au seul service des lecteurs », explique Hervé Poirier. L’équipe se lance donc le défi de convaincre à la fois le néophyte et l’expert. « Ce qu’on cherche à transmettre, c’est l’émotion du chercheur », souligne Hervé Poirier. Avec près d’une centaine de scientifiques interrogés par numéro, le magazine cherche à regarder le monde sous l’angle de la science. Un « journal d’émotion » que le rédacteur en chef aime aussi qualifier de véritable « drogue éthique ».

Sans rancune. « Je suis vraiment content que Reworld ait perdu ces procès », explique un collaborateur actuel de Science & Vie. Des procès qu’il qualifie de « bâillons » et qu’il a perçus comme déloyaux de la part du groupe de presse qui aurait dû profiter de l’occasion pour faire peau neuve du magazine. Car si le départ des journalistes était à l’origine causé par un désaccord sur le web, le journal en a de fait souffert. « La forme du magazine n’a pas changé, mais le fond est très différent », explique-t-il. La rédaction a ainsi perdu plus de la moitié de ses journalistes permanents, dont le nombre est passé de huit à trois. Difficile avec ces effectifs d’assurer la même qualité éditoriale. 

« Depuis deux mois, on ne perd plus d’argent »

Hervé Poirier

Pilier. « Ils se reposent beaucoup sur les vieux pigistes qui connaissent bien le canard », explique le collaborateur. Car si une grande partie de l’équipe de journalistes permanents à claquer la porte du magazine en 2020, de nombreux collaborateurs “freelance” n’ont pas pris cette décision. « Nous n’avions pas les mêmes clauses de départ que les journalistes permanents : faire le choix de partir pour nous, c’était partir avec une somme très faible », souligne le collaborateur. Un choix pragmatique car « beaucoup ont eu l’impression qu’on dégradait la qualité de leur travail », rapporte le collaborateur. Pourtant malgré une baisse d’audience de 15% par rapport à l’année précédente, le journal historique – qui fêtait ses 110 ans en avril – reste « de très bonne qualité », explique le collaborateur. Quant au site… « c’est un peu plus aléatoire ».

À suivre. « Il y a de la place pour pleins d’autres magazines scientifiques et le défi pour Epsiloon va être de trouver une audience différente de celle de Science & Vie », explique le collaborateur. Avec 35 000 abonnés, ce dernier a aujourd’hui atteint l’équilibre. « Depuis deux mois, on ne perd plus d’argent », explique Hervé Poirier. Si le journal est sorti de la “vallée de la mort”, l’équipe multiplie maintenant les projets avec l’objectif de « pérenniser l’esprit Epsiloon ». 

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