Vous avez lancé le 6 mars dernier le programme Safe place for science visant à accueillir les chercheurs étasuniens ciblés par la nouvelle administration américaine. Quelles ont été vos motivations ?
Ce qui se passe actuellement aux États-Unis est dramatique, autant pour les scientifiques que pour la société. Le gouvernement Trump jette des pans entiers de la recherche aux oubliettes, supprime des bases de données capitales, licencie à tout va, interdit l’usage de certains mots… C’est extrêmement choquant et brutal. Et il ne faut pas se leurrer, nous ne sommes pas à l’abri qu’il se passe la même chose en Europe un jour. Nous commençons déjà à voir les conséquences désastreuses de sa politique et il y en aura encore dans le futur : en supprimant des bases de données climatiques par exemple, ce sont les prédictions des événements climatiques de demain qui sont directement perturbées. Après avoir entendu les témoignages de nos collègues outre-Atlantique qui étaient pour la plupart choqués et apeurés, nous avons estimé qu’il était de notre devoir d’agir. Nous avons voulu leur montrer qu’il y avait une petite lumière qui s’allumait dans le Sud de la France, qu’ils n’étaient pas seuls et qu’Aix-Marseille Université pouvait leur offrir un environnement où ils pourraient mener leurs recherches en toute liberté.
« Nous ne pourrons réalistement pas nous en sortir seuls »
Quel est l’objectif du programme ?
Aider ces scientifiques dont les recherches sont aujourd’hui empêchées et défendre la liberté académique. Contrairement à ce que j’entends dire, ce n’est pas une démarche intéressée : nous aurions sincèrement préféré ne pas avoir à le faire, nous parlons ici d’asile scientifique. Le programme sera financé à hauteur de 15 millions d’euros sur trois ans et uniquement accessible aux chercheurs américains. Notre ambition est d’en accueillir une quinzaine sur des chaires de professeurs. Ils bénéficieront chacun de 600 000 à 800 000 euros pour couvrir leur salaire, les équipements, l’embauche des post-docs. La région se mobilise aussi pour faciliter leur accueil : la scolarisation des enfants pour ceux qui en ont, l’accès aux logements, la recherche d’emplois pour les conjoints… C’est une ingénierie importante que nous mettons en place.
Vous avez lancé le programme il y a trois semaines maintenant, avez-vous reçu beaucoup de candidatures ?
Nous avons communiqué pour la première fois sur le programme le 6 mars au matin. Le soir même nous avions déjà une candidature. Depuis, nous avons reçu des demandes en continu : plus de 150 à l’heure où je vous parle dont 100 sont déjà en cours de traitement. Elles nous sont transmises via les mails ou les réseaux sociaux mais aussi par l’intermédiaire de nos chercheurs qui sont en contact avec des scientifiques aux États-Unis. La première candidature retenue a déjà posé ses valises en France et va signer son contrat très prochainement. Nous croulons actuellement sous les demandes et nous ne pourrons réalistement pas nous en sortir seuls. Il faut que notre initiative soit rejointe par d’autres universités tant au niveau français qu’européen. À mes yeux, ce serait une bonne manière pour l’Europe de la connaissance de répondre à l’obscurantisme qui s’installe actuellement aux États-Unis.
« Ce n’est pas un budget qui aurait normalement été utilisé pour le fonctionnement de l’université »
Quels sont les profils des chercheurs qui candidatent ?
Nous n’avons pas de restrictions, tous sont les bienvenus. Dans les faits, lorsque l’on regarde les candidatures déjà étudiées, ce sont des scientifiques licenciés ou empêchés dans leurs recherches parce qu’ils travaillent sur des sujets qui ne sont pas en accord avec l’idéologie de Donald Trump : le climat, la santé — maladies infectieuses et les vaccins ARNm en particulier — mais aussi les études sur le genre ou les minorités, etc. Il y a aussi certains astrophysiciens, puisque la Nasa n’est pas épargnée par ces attaques.
Quels témoignages de vos collègues outre-Atlantique, tant sur votre initiative que sur ce qu’il se passe chez eux ?
Nous avons des retours très émouvants de chercheurs bien souvent apeurés. Certains sont très anxieux, leur licenciement témoigne d’une véritable violence de la part de leur gouvernement. C’est un épisode traumatisant à tel point que, pour nous contacter, certains utilisent des messageries cryptées ou les adresses de leurs parents ou leur conjoint·e par peur de potentielles représailles. Ces témoignages que nous recevons chaque jour nous incitent à continuer dans notre démarche.
Vous avez mentionné un budget de 15 millions d’euros sur trois ans. D’où viennent ces financements ?
Grâce à son Idex, Aix-Marseille Université bénéficie d’un financement de 26 millions d’euros par an pour des opérations d’attractivité et de recherche. C’est une partie de cet argent que nous mobilisons pour ce programme. Je tiens à être clair : ce n’est pas un budget qui aurait normalement été utilisé pour le fonctionnement de l’université. On ne déshabille pas Jacques pour habiller Paul. Mais nous sommes persuadés qu’il faut savoir se mettre à la hauteur du moment historique que nous vivons : pour la science, la connaissance et pour la formation de la jeunesse, ce qu’il se passe sous le gouvernement Trump est une véritable catastrophe.
« Nous n’avons sans doute pas encore pris la mesure de ce qu’il se passe »
Le lancement de Safe place for science a été très rapide. L’aviez-vous anticipé avant la réélection de Donald Trump ?
Pas du tout, tout s’est fait très rapidement. Le mouvement Stand up for science [dont nous vous parlions, NDLR] a mis en lumière les témoignages accablants que nous recevions de la part des scientifiques outre-Atlantique, c’était le bon moment pour réagir nous aussi. Je suis arrivé le 6 mars au matin en proposant l’idée à mes collègues ; ils l’ont tout de suite approuvé et nous avons lancé le programme dans la foulée. Je pense que personne en France ou en Europe ne s’imaginait que les répercussions de l’élection de Donald Trump puissent être aussi violentes et rapides. Et nous n’avons sans doute pas encore pris la mesure de ce qu’il se passe dans le monde scientifique aux États-Unis. D’où peut-être la lenteur d’action. Si à Aix-Marseille Université nous sommes très fier que notre programme ait rencontré un tel succès, nous ne pouvons pas imaginer le continuer sans aide.
En 2017, à la suite de sa première élection, des programmes similaires avaient été mis en place au niveau national, Make our planet great again par exemple sous l’initiative d’Emmanuel Macron. En est-il de même aujourd’hui ?
À ma connaissance, pour l’instant rien n’a été mis en place au niveau national ou européen. Mais certaines universités et établissements français ont déjà commencé à réagir et à mettre en place des initiatives similaires à la nôtre [voir notre encadré, NDLR]. Centrale Supélec nous a par exemple contacté et nous leur avons proposé de nous rassembler sous la bannière Safe Place for Science pour faciliter l’identification des programmes proposés en France pour les chercheurs étasuniens. Nous recevons énormément de demandes que nous ne pourrons pas toutes traiter et nous aimerions pouvoir les partager avec d’autres institutions en capacité de les accueillir pour satisfaire le maximum de demandes. Élisabeth Borne et Philippe Baptiste sont venus soutenir notre initiative et ont promis des annonces prochainement et nous espérons qu’elles seront faites assez rapidement. Il y a une véritable urgence à offrir cet asile scientifique au plus grand nombre de nos collègues.
Des chercheurs américains, à tout prix
Suite au lancement du programme Safe place for science d’Aix Marseille Université (AMU), quelques établissements ont à leur tour mis en place des dispositifs permettant d’accueillir des scientifiques étasuniens. Central Supélec s’est associé à l’AMU sous la bannière Safe place for science et propose un programme doté d’un fonds de 3 millions d’euros via sa fondation qui financera entre autres « des tenure tracks au niveau professeur ou assistant professeur, des welcome packages ou des chaires d’accueil », ont-ils expliqué dans un communiqué de presse. L’université PSL a elle annoncé la création de quinze postes de Research Fellows associée au financement de postdoc et à l’hébergement de chercheurs. Du côté de la recherche médicale, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer mobilise 3,5 millions d’euros. Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université, a elle rappelé dans une interview aux Échos l’existence des chaires de professeur junior (CPJ) et sénior qui pourraient permettre l’accueil de ces scientifiques. Paris-Saclay a de la même façon mis en avant les dispositifs déjà existants en son sein.
Depuis 2017, le programme PAUSE du Collège de France accueille les chercheurs et artistes ne pouvant plus poursuivre leurs activités dans leur pays d’origine en raison de guerres, de persécutions politiques ou de censures. S’ils n’ont reçu qu’une candidature étasunienne depuis la réélection de Donald Trump, ils pourraient être en capacité de le faire en particulier pour les scientifiques n’ayant pas la nationalité américaine « et qui se trouveraient dans une situation de danger s’ils perdaient leur poste et étaient expulsés vers leur pays d’origine », nous expliquent-ils. Avec un point noir : du fait de coupes budgétaires considérables, PAUSE ne peut soutenir cette année que 70 personnes, contre 170 l’année dernière. « Et ce, alors que les besoins des scientifiques et des artistes ne cessent d’augmenter dans le monde, y compris dans des pays considérés comme des démocraties établies, comme le montre l’exemple des États-Unis », poursuit notre interlocuteur.
Si en 2017, à la suite de la décision de Donald Trump de sortir des Accords de Paris, le président de la République, Emmanuel Macron avait mis en place le programme national Make our planet great again pour faciliter l’accueil des scientifiques américains, rien de tel pour l’instant. « En France, nous croyons que la recherche doit être soutenue, quoi qu’il en coûte », a pourtant insisté la ministre de l’Éducation nationale et de l’ESR Elisabeth Borne, le 17 mars dernier lors du lancement du centenaire de la Cité universitaire de Paris, rapporte nos confrères de l’AEF. Elle a assuré que des mesures concrètes seraient annoncées dans les prochains jours pour soutenir les universités qui s’engagent à accueillir des chercheurs, des idées et des données menacées. Annonces qui se font encore attendre. Philippe Baptiste a quant à lui demandé aux établissements de lui remonter leurs propositions pour l’accueil de chercheurs empêchés. Un accueil qui doit, pour un collectif de scientifiques, « s’organiser au niveau européen », ont-ils déclaré dans une tribune au Monde.