Frédérique Bordignon : « Survendre ses papiers est dangereux »

Avec deux collègues informaticienne et sociologue des sciences, cette linguiste a passé au crible les abstracts des preprints liés au Covid.

— Le 11 février 2022

Les chercheurs ont-ils changé leurs habitudes d’écriture avec la Covid ?

C’est exactement la question que nous nous sommes posée, mes deux co-autrices et moi : la crise de la Covid et la déferlante de preprints qui l’accompagnait avaient-elles un impact sur la façon de rédiger ? La réponse est oui : les chercheurs ont utilisé un lexique plus optimiste dans les abstracts des preprints sur la Covid partagés au tout début de la crise, comparé à un corpus témoin avant Covid.

Comment quantifier ces changements ?

Nous avons cherché différents types de marqueurs dans les abstracts [presque 24 000 preprints au total, NDLR] et comparé leur évolution par rapport à avant la crise. D’une part les mots positifs comme « robust », « impressive », « effective », « significant » ou encore « novel » – le plus fréquent de tous – étaient encore plus employés dans les preprints sur la Covid. D’autre part, les mots négatifs, déjà peu présents dans la littérature scientifique, l’étaient encore moins. Enfin, nous avons remarqué la présence accrue de mots montrant l’incertitude comme « may », « would », « suggest ». En résumé, notre corpus regorge de « it could be effective » (« ça pourrait être efficace »).

Surpromotion et incertitude en même temps, cela peut sembler contradictoire, non ?

Les chercheurs ont certainement eu recours à l’exagération pour accrocher le lecteur et se démarquer dans le très large lot de preprints. Mais ils ont aussi très vite compris que dans ce moment particulier, ils allaient toucher une audience particulière. Tout le monde peut lire les preprints au-delà de la communauté scientifique, comme les politiques ou les journalistes. D’où cette invitation à la prudence vis-à-vis des tout premiers résultats partagés, surtout que le résumé est souvent la seule partie que les gens lisent.

Cette tendance à la surpromotion existait-elle avant la Covid ?

Oui et elle avait déjà été repérée dans les abstracts, les introductions ou même dans le corps principal des articles. L’exagération des résultats – « hyping science » en anglais – est particulièrement visible dans les abstracts car il s’agit d’un genre promotionnel en général gratuit : une accroche pour que le lecteur lise la suite. 

Y a-t-il des conséquences néfastes ?

Oui, on peut parler de méconduite scientifique lorsque les résultats scientifiques sont exagérés, mais aussi lorsque la présentation des résultats est infidèle à la réalité – notamment en laissant de côté ce qui n’a pas marché. La survente est dangereuse et il faut éviter de partir dans l’exagération car si les chercheurs savent déjouer les pièges, un lecteur moins averti peut être biaisé et de faux espoirs être communiqués dans la presse. Pour lutter contre cette mauvaise pratique, les éditeurs scientifiques ont réagi en publiant des guidelines ou en interdisant même l’usage de certains mots

Avez-vous donc fait attention lorsque vous avez écrit votre abstract ? 

Oui, nous avons fait attention ! On se surveille mais on se surprend également : ne serions-nous pas un peu trop positives ici ? Et il n’y a pas que dans les publications que cela nous arrive, les promesses sont très présente dans les réponses aux appels à projets, à coup de « promising » et « unique ». Mais sommes-nous capables de les tenir ?

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