La salle du Cneser disciplinaire n’est pas bien pleine aujourd’hui. Seuls quelques membres du jury ont été convoqués, l’accusé apparaît aux côtés de son avocat, une seule représentante de l’université a fait le déplacement. L’affaire n’est pourtant pas commune. Le dos très droit et le costume bien en place, M. X comparaît devant le Cneser disciplinaire pour détention d’images « à caractère pédophile », explique la rapporteuse du dossier d’instruction. Ce sont près de 27 000 photos et 1000 vidéos enregistrées sur une période de six ans — de 2014 à 2020 — qui ont été retrouvées sur son ordinateur. Parmi ces images : des scènes de viol d’enfants par des adultes. La découverte de ces documents entraîne son arrestation en juin 2020, une condamnation au pénal quelques mois plus tard et une sanction disciplinaire émise par l’université en février de l’année suivante. C’est en appel de cette décision que quatre ans après, le Cneser juge aujourd’hui M.X.
« Je vais pouvoir m’attaquer à ce problème qui m’étouffe »
M.X
Sombres addictions. À la demande des juges, M. X se présente. Théologien, professeur d’Ancien Testament à la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg, devenu « l’un des plus meilleurs spécialistes de son domaine », précise son avocat. Des années de service « dévoué », de nombreuses publications « prestigieuses » et de nombreux titres universitaires pour récompenser ses travaux. Sa réputation est exemplaire, aussi bien auprès de ses collègues et étudiants que dans sa vie personnelle. Sa famille est soudée et très aimante. En l’entendant dépeindre ce tableau idyllique, on en oublierait presque la raison de sa présence dans cette salle. Mais il arrive à sa part d’ombre, connue de lui seule jusqu’à il y a encore quelques années. Face à ceux qui l’écoutent, il garde son calme et se met alors à tout expliquer. Cette « addiction » dans laquelle il était enfermé, ces années « de souffrance et de solitude », cette lutte interne contre cette pratique « contraire à mes valeurs et à mes choix de vie ».
Garde à vie. À l’annonce de son arrestation, « c’est un soulagement », confie-t-il à plusieurs reprises. Fini de ce secret dont il ne supporte plus le poids. Fini de cette double vie. Une seule pensée lui reste en tête : « Je vais pouvoir m’attaquer à ce problème qui m’étouffe ». Il accepte le jugement pénal sans contestation : un an d’emprisonnement accompagné d’une interdiction d’enseigner à des mineurs et d’une obligation de suivi psychologique. Le juge aménage sa peine pour lui permettre de continuer à exercer et les premières discussions avec son université lui laissent espérer qu’un aménagement pourra être trouvé — « toujours sans étudiants mineurs », précise son avocat. Mais la section disciplinaire de l’université en décide autrement : en février 2021, il est mis à la retraite d’office. Quelques semaines plus tard, il fait appel de cette décision.
« Il a connaissance de son petit problème… Petit, non. De son problème »
L’avocat de M. X
Double face. « Je ne conteste pas l’idée d’une sanction disciplinaire, je conteste simplement sa proportionnalité », explique-t-il. Aux remarques des juges sur le devoir d’exemplarité auquel sont tenus les enseignants-chercheurs, M. X répond par accoup : « j’ai honte », « je regrette terriblement ». Prostré, il regarde ses mains, tremblantes, sous le regard compatissant de son avocat. De concert les deux hommes s’attèlent à tracer une frontière étanche entre ce secret qu’il gardait au plus profond de lui-même « et sur son ordinateur » ajoute l’avocat, et sa vie professionnelle. M. X complète : « Tout se passait dans mon intimité stricte ». L’avocat répète : « son intimité la plus secrète ». Il n’a eu aucune discussion à propos de ces photos et vidéos avec quiconque de l’établissement « ni pour les vendre, ni pour les acheter ». Il n’a eu aucun comportement déplacé envers étudiants ou collègues.
Introspection. Et c’est justement ce qui le pousse à faire appel : tout s’est produit dans un cadre privé, sans qu’« aucune faute professionnelle ne soit commise ». Preuve en est la décision du juge correctionnel qui avait aménagé sa peine considérant que son activité d’enseignement « n’induisait pas de risque particulier », cite l’avocat. Aujourd’hui, plusieurs années après la découverte des faits, il travaille « avec succès » à s’en sortir. « Mon état est stable », explique M. X en s’appuyant sur les évaluations des médecins « qui écartent quasiment tout risque de récidive ». Son avocat va même un peu plus loin et le décrit comme « beaucoup plus secure » que la plupart des gens : « il a connaissance de son petit problème ». Une moue dubitative apparaît sur le visage des juges, l’avocat acquiesce et concède volontiers « petit… non ». Les juges sourient. « Son problème », se reprend-il.
« Ces faits sont incompatibles avec la fonction d’enseignant-chercheur »
La représentante de l’université
Allez en paix ? « Le trouble à l’ordre public a été jugé, réprimé et éteint », maintient ce dernier, accompagné des hochements de tête de M. X qui trouve que la société se soucie trop du « politiquement correct ». Pour lui, cette addiction dont il était prisonnier a été perçue « à la lumière des phénomènes actuels », MeToo et le scandale des prêtres pédophiles en tête de ligne. Une « situation singulière » insiste l’avocat, qui dénonce au côté de son client une comparaison abusive à d’autres dossiers de violences sexuelles. Les bras de M. X s’agitent, sa voix jusque-là calme se teinte d’une pointe de colère : justifier sa mise à la retraite d’office en comparant son cas avec celui d’un viol sur mineur commis par un enseignant « n’est pas acceptable ». Sa situation demande une appréciation « plus douce, plus indulgente ».
Orgueil et préjudices. La représentante de l’université, restée silencieuse jusque-là, entame sa plaidoirie d’un raclement de gorge. Que les faits se soient déroulés dans un cercle privé, « c’est une chose ». Mais ils n’en restent pas moins à « incompatibles avec la fonction d’enseignant-chercheur », souligne-t-elle à plusieurs reprises. Qui plus est, son comportement « a porté atteinte à l’image et à la réputation de l’université », dans la presse mais aussi vis-à-vis de l’université d’Oxford auprès de laquelle il était en détachement. M. X nie. Les articles de presse n’ont jamais critiqué les deux universités, leur réputation n’a jamais été remise en cause, « la mienne, oui, par contre », poursuit l’accusé. Son avocat approuve : « On essaye encore une fois de lui faire porter un costume trop grand pour lui ». La représentante secoue la tête en forme de refus, rassemble ses papiers et demande le maintien de la sanction.
« Avec dix ans de moins, ça aurait pu être la révocation »
Un juge
En suspens. Les juges restent dubitatifs : cet homme de 65 ans assis face à eux et dont ils ont écouté les regrets et la honte conteste cette mise à la retraite d’office malgré son âge. Dans quel but ? « Moral », interroge un juge, ou « dans la volonté d’exercer de nouveau », demande un autre. « Lorsque j’ai fait appel, j’avais 62 ans, pas 65 », explique M.X. Et il n’en doute pas, son âge à sûrement joué « en sa défaveur » dans la sanction rendue. Un juge le contredit : « Avec dix ans de moins, ça aurait pu être la révocation ». L’accusé poursuit ses explications, il n’est « pas dupe », se demande lui aussi comment il pourrait aujourd’hui réintégrer « de manière réaliste » l’université, mais insiste : « Je ne me sens pas vieux, je ne suis pas au bout de mes forces ». Ne reste donc plus qu’à savoir si le Cneser disciplinaire maintiendra la sanction.
La décision du Cneser disciplinaire sera bientôt publiée. Nous mettrons à jour le papier dès sa publication.