Une relation hors normes

Quand un contrat BDSM lie une étudiante à un enseignant-chercheur… Une affaire très particulière se présente aux juges du Cneser disciplinaire.

— Le 17 septembre 2025

Pour comprendre les fondements de l’histoire jugée aujourd’hui par le Cneser disciplinaire, il faut remonter au mois de juin de l’année 2018. M. X, alors maître de conférences à la faculté de droit de l’université Lumière Lyon 2 et doyen de cette même faculté, entame une relation avec Alice*, étudiante de première année de licence, tout juste âgée de 18 ans. Le premier contact s’établit grâce (notamment) au compte Facebook de l’université et mène à une relation discontinue de près de trois ans. Trois ans que M. X décrit comme un « amour passionnel ». C’est en fin d’année 2021, alors que leur relation est close, que l’étudiante porte plainte à son égard pour violences sexuelles. 

« Vous ne voyez pas de problème grave dans cette relation asymétrique par essence ? »

Un juge à M.X

Empreintes. Une procédure pénale est engagée d’un côté, une procédure disciplinaire de l’autre. Que lui est-il reproché dans le cadre de cette dernière ? Des comportements contraires à la dignité et à la déontologie ayant porté atteinte à la réputation de l’établissement. M. X aurait ainsi fait usage de ses fonctions de doyen pour — entre autres — « avoir des relations sexuelles avec une étudiante dans l’enceinte de l’établissement, s’adjoindre les services de l’étudiante, ne pas s’être déporté dans l’examen d’une demande de saisine de la section disciplinaire qui la concernait », explique le rapporteur du rapport d’instruction. En septembre 2022, la section disciplinaire de l’université Lumière Lyon 2 tranche et prononce la révocation [sanction la plus lourde du Code de l’éducation, NDLR] de M.X. Une décision dont M. X fait aujourd’hui appel devant le Cneser disciplinaire.

Le pourquoi du comment. C’est sans avocat·e à ses côtés que l’enseignant-chercheur se présente ce 5 juin 2025 devant les juges de l’instance. Non pas parce qu’il pense pouvoir se défendre seul, précise-t-il, mais parce qu’il « n’a plus les moyens », cette affaire l’a « ruiné ». Ce quadra au visage encadré par d’épaisses lunettes noires semble nerveux. La première question des juges tombe : pourquoi faire appel ? « Je ne conteste pas le fait d’être sanctionné, je conteste une sanction disproportionnée », explique-t-il. Il ne nie pas la relation avec Alice, bien au contraire : il en était amoureux. Ce qu’il conteste en revanche, c’est la description qu’en fait son ancienne université. « Vous étiez de 20 ans son aîné et étiez son enseignant… Vous ne voyez pas de problème grave dans cette relation asymétrique par essence ? », demande un juge. M. X ajuste ses lunettes. Ce n’est pas un comportement approprié, il le reconnaît mais nuance immédiatement. « Il y a une asymétrie formelle mais qui ne se concrétise pas en asymétrie matérielle », assure-t-il. Un court silence s’installe, les juges prennent quelques notes, M. X garde son regard posé sur eux.

« Le contrat BDSM la faisait fantasmer, j’étais ouvert d’esprit et ça ne m’engageait à rien »

M. X

Fifty shades… « Pouvez-vous nous parler de la nature de votre relation qui était… », entame un juge avant de marquer une pause hésitante, lançant quelques regards embarrassés à ses collègues : « … Particulière ». Par ce mot, il fait référence au contrat BDSM [pour Bondage, Domination, Soumission, Sado-Masochisme, NDLR] passé entre l’enseignant-chercheur et l’étudiante quelques mois après le début de leur relation. Un contrat écrit, selon les dires de M. X, à l’initiative de l’étudiante : « Le contrat la faisait fantasmer, j’étais ouvert d’esprit et ça ne m’engageait à rien ». Fantasmes, noms de codes, ou encore limites strictes… Ces contrats sont faits pour que le consentement des deux participants soit respecté, poursuit l’accusé qui met en avant une relation équilibrée. « Il y a des différences fondamentales entre ce qui est écrit dans le contrat et ce que nous avons réellement fait », assure-t-il.

Invité surprise. Mais les juges n’en démordent pas. Lui avait la quarantaine, elle était à peine majeure. « L’asymétrie de votre relation est flagrante », pointe un juge avant d’ajouter à son argumentaire les mails piochés dans le dossier d’instruction dans lesquels M. X appelait l’étudiante « ma soumise » et où elle l’appelait « maître ». M. X est recroquevillé, les mains jointes sur ses genoux qu’il agite nerveusement. « Ce n’était qu’un jeu entre nous », assure l’enseignant-chercheur. « Dans la majeure partie des échanges elle était mon adorée, pas ma soumise ». Plusieurs années après, les regrets semblent avoir pris le dessus :  « Je n’aurais pas dû me lancer là dedans, elle m’a fait perdre la… » 

« Ce dossier ne peut être réduit à une simple histoire d’amour »

La représentante de l’université

Interlude. Le bruit strident de l’alarme incendie retentit soudain dans la salle. Les juges sursautent, à la fois pris de court et amusés avant de se diriger de concert vers la sortie, bientôt rejoints par l’ensemble des personnes présentes dans le bâtiment. À l’extérieur, le ciel bas et la pluie lourde et continue donnent à la scène des allures de série judiciaire. Les juges se dispersent, M. X reste seul. Un officier de sécurité rappelle dans le grésillement d’un mégaphone les consignes. Une minute, puis cinq puis dix… avant de pouvoir finalement regagner la salle d’audience. Après quelques sourires confus, les discussions reprennent. M. X tente de retrouver le fil de sa pensée avant de réitérer : « Je sais que j’ai mal agi mais je ne pense pas que la révocation soit la solution adéquate ».

Sans fin. Les juges se tournent alors vers la représentante de l’Université. L’heure est à la conclusion ; c’est elle qui devra se plier à l’exercice en premier. « Ce dossier ne peut être réduit à une simple histoire d’amour », entame-t-elle, notes en main. Elle rappelle que M. X a « approché puis dragué » l’étudiante via le compte officiel de l’université. Puis explique que le fameux contrat BDSM a bien été appliqué : pas uniquement dans le bureau de l’enseignant-chercheur mais également dans certaines salles de classe. « La faute est aggravée par le pouvoir exercé sur l’étudiante », explique-t-elle. Elle dépeint le portrait d’une étudiante « fragile », sujette à des troubles alimentaires, et hospitalisée en établissement psychiatrique en 2019 dont le « un discernement peut être altéré », selon l’expertise psychologique. Si Alice* n’a jamais nié le caractère consenti de cette relation, « elle a décrit certains rapports sexuels violents dont elle est sortie avec le sentiment d’avoir été humiliée », pointe la représentante. Elle mentionne également un échange virulent au cours duquel M. X aurait insulté très violemment — « petite pute », « connasse » — la plaignante. Mais elle ne s’arrête pas là.

Un homme ne doit pas être réduit à sa faute… Je m’en remets à vous »

M. X

Copier-coller ? À plusieurs reprises, M. X aurait avantagé — de manière plus ou moins directe — l’étudiante : interruption d’un début de procédure disciplinaire à son égard pour plagiat, correction d’une de ses copies — sans qu’il ne soit son professeur — de manière trop bienveillante… L’enseignant-chercheur aurait même envisagé de lui confier des fonctions d’assistante de recherche alors qu’elle n’était pas qualifiée pour le poste. « Faut-il en dire plus ? », demande rhétoriquement la représentante. « Le devoir d’exemplarité qui pèse sur les enseignants-chercheurs est très fort, et au vu de ce que je viens de vous décrire, seule la révocation nous semble adéquate », termine-t-elle. Les juges la remercient d’un signe de tête et se tournent vers l’accusé. Après plus d’une heure et demi d’audience, M. X affiche un visage fatigué et lance d’une voix lasse : « La réalité est bien plus nuancée que ce que l’université tente de vous faire croire ».

Derniers mots. Une relation qu’il décrit à nouveau comme « consentie » mais dont l’établissement se serait emparée puisqu’il était à l’époque devenu « un opposant politique ». Et, il l’assure, « si la moitié des choses qui ont été dites à mon sujet étaient vraies », le parquet [les procureurs représentant le ministère public, NDLR] n’aurait pas demandé un non lieu. M. X tient également à revenir sur les propos « violents » qu’il a eu à l’égard de l’étudiante. Des propos qu’il admet lui avoir lancé après deux heures de réunions « particulièrement intenses » à la suite desquels il craque complètement : « ce n’est absolument pas ce que je pense, je l’ai au contraire toujours valorisée ». M. X inspire, regarde avec insistance les juges, leur rappelle « une carrière exemplaire dévouée au service public », puis les remercie pour leur écoute. « Un homme ne doit pas être réduit à sa faute… Je m’en remets à vous ». L’audience est close. Quelques semaines plus tard, la décision des juges du Cneser disciplinaire tombe. La sanction de première instance est maintenue : M. X est révoqué en raison « d’agissements, radicalement contraires aux valeurs (…) qui s’imposent à lui, en qualité d’enseignant-chercheur ». Autant de « manquements à l’exigence de dignité  [qui] portent atteinte à la réputation du service public de l’enseignement supérieur ». Une sanction dont il peut encore faire appel devant le Conseil d’État.

* Les prénoms ont été modifiés

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