« Le port du masque était une mesure politique »

La Covid, vous vous rappelez ? Cinq ans après les confinements, un enseignant-chercheur phocéen est jugé en appel par le Cneser disciplinaire pour non port du masque devant ses étudiants.

— Le 26 novembre 2025

Cette histoire prend ses racines il y a tout juste cinq ans, en septembre 2020. L’épidémie de Covid 19 a plongé depuis quelques mois les pays du monde entier dans une crise sanitaire majeure et bouleversé le quotidien de la population mondiale. Un premier confinement de près de deux mois en mars de la même année avait déjà contraint les facultés à de nombreux ajustements. Mais malgré les craintes, la rentrée universitaire 2020 a bien eu lieu. M. X, maître de conférences à Aix-Marseille université, peut donc — comme tout un chacun — reprendre ses enseignements. La seule obligation : le port du masque dans l’enceinte des établissements — et dans tous les lieux publics en France par ailleurs. Règle à laquelle M. X refuse pourtant de se plier, la jugeant « politique », « une idéologie de la contrainte et de la peur » complètement « inutile, comme l’ont attestés de nombreux papiers scientifiques depuis », se défend-il.

« Mes cours ont été supprimés sans autre forme de procès »

M. X

Scène de ménage. Le 04 septembre 2020, lors de son premier cours, il apparaît donc sans masque devant l’amphithéâtre et laisse la possibilité aux étudiants qui le souhaitent de faire de même, tout en laissant les autres libres ceux de ne pas assister à son cours « en présentiel », en proposant « un poly ultra complet de près de 150 pages ». Quelques jours plus tard, deux membres de l’université ayant pris connaissance des faits viennent assister à son cours et y mettent fin très rapidement, constatant que l’enseignant « portait son masque autour de son cou ». Dans la foulée, il voit ses cours « supprimés sans autre forme de procès » selon ses dires, et reportés le temps « de trouver une solution pérenne » comme le décrit l’université. Celle-ci fait alors appel à un médiateur mais l’intéressé est catégorique, il ne portera pas de masque et propose de reporter ses cours au second semestre. La chose étant impossible, il accepte finalement de les délivrer en distanciel, « pour le bien des étudiants ». Dans les faits, l’enseignant ne reprendra en réalité pas ses enseignements du premier semestre 2020.

Boule de neige. Dans le même temps que cette tentative de médiation, son établissement de tutelle entame une procédure disciplinaire à son encontre. Avec pour motif : « [une] attitude de nature à porter atteinte à l’ordre et au bon fonctionnement de l’établissement liée [à] un refus d’appliquer les consignes (…) dans le contexte sanitaire actuel et notamment son refus revendicatif du port du masque ». Mais cela ne s’arrête pas là : lors des premiers mois de la procédure, M.X communique auprès de certains médias les adresses mail — et parfois même postales — du président de l’université ainsi que de la présidente de la section disciplinaire « afin que ses soutiens puissent directement les contacter » pour le défendre. Il ajoute ainsi un « manquement à son obligation de réserve » aux griefs de son dossier. Quelques mois plus tard, après le deuxième confinement, l’établissement lui propose en février 2021 — malgré la procédure en cours — de reprendre ses enseignements. Sa position sur le masque n’a pas changé pour autant : ses cours se feront sans masque et en présentiel, à l’écouter. Le premier se déroule dans le tumulte général en présence une nouvelle fois de quelques collègues qui interrompent le cours voyant les « conditions sanitaires non respectées ». 

« Il  y a eu pendant sept mois, une situation absolument ubuesque où je n’avais pas les moyens techniques de faire cours »

M. X

Déjà vu. Ce n’est qu’un peu plus d’un an plus tard, le 25 juillet 2022, que la section disciplinaire de l’université rend son verdict : M. X se voit écoper d’une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein d’Aix-Marseille université pendant un an, assortie de la privation de la moitié de son salaire. Une décision immédiatement appliquée, qu’il fasse appel ou non de la décision. L’affaire passe ensuite une première fois devant le Cneser disciplinaire en mars 2023 qui prononce un sursis à exécution de la sanction. En ce 27 juin 2025, ce n’est donc pas la première apparition de l’enseignant devant les juges de l’instance. Assis aux côtés de son avocat, cet homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux grisonnants semble impatient de s’exprimer. En témoignent les nombreux soupirs et commentaires lors de la lecture du dossier d’instruction (long, il faut l’admettre). Dossier qui précise par ailleurs que les juges ne sont pas tenus d’évaluer « le degré d’expertise de M.X sur la question [du masque] » ni de se prononcer « sur l’utilité de cette mesure dès lors qu’elle était prescrite par un décret non annulé ». 

Incompréhension. « Pouvez-vous revenir sur votre situation professionnelle depuis les premiers événements de septembre 2020 ? », entame un premier juge une fois la lecture du rapport d’instruction complétée. Lorsqu’il s’exprime, M. X est confiant et arbore sur son visage deux paires de lunettes — l’une plantée sur son nez, l’autre posée sur le haut de sa tête — qu’il échange selon qu’il s’adresse aux juges ou qu’il lit ses quelques notes. À partir de septembre, « il y a eu pendant sept mois une situation absolument ubuesque où je n’avais pas les moyens techniques de faire cours », explique-t-il en précisant que l’arrêté du président de l’université actant sa suspension n’arrive qu’en mars 2021. « Vous étiez donc dispensé de cours sur cette période ? », interroge un juge. « Pas dispensé, interdit ! », s’exclame M. X dans la foulée. Son salaire lui n’a été suspendu qu’à partir de 2022 pour un an.

« Dans ce cas précis, oui je l’assume, c’est une position qu’on peut appeler militante »

M. X

Justice League. « De nombreux étudiants ont témoigné de leur inquiétude pour la suite de leur cursus universitaire », pointe l’un des juges. Pour cause : le report — voir l’annulation — de cours au coefficient parfois élevé. « C’est en effet regrettable », admet l’enseignant pour commencer mais, « ça ne les a pas empêchés de poursuivre leur cursus sans encombre ». Il en veut pour preuve le non-remplacement de ses cours magistraux dans les années qui ont suivi ces événements. « Lorsque j’ai demandé des explications sur ce point, on m’a signalé que dans l’ensemble, il n’y avait pas eu de problème particulier malgré ce mode dégradé », explique-t-il les yeux rivés sur les juges, les bras croisés et le dos bien droit, enfoncé dans sa chaise sur laquelle il se balance légèrement. Pour ce qui est des étudiants, M. X affirme également que sa volonté de faire en cours en présentiel « n’est qu’une question de justice ». 

Liberté, liberté. Les juges lèvent vers lui des regards inquisiteurs, l’enseignant s’explique. En octobre 2020, l’annonce d’un nouveau confinement par le gouvernement survient en même temps que la reprise des cours pour les classes prépa « en présentiel » et ceux à l’université… « en distanciel », s’exclame-t-il indigné. Les présidents d’université avaient eux même dénoncé cette mesure. « Dans ce cas précis, oui je l’assume, c’est une position qu’on peut appeler militante », explique M. X avant de justifier : « Je ne vois pas pourquoi mes étudiants auraient dû être pénalisés quand d’autres ne l’étaient pas ». Qu’en est-il de sa position sur le masque, interrogent les juges. « Je me répète : le masque est une idée politique », affirme l’enseignant avant d’entamer un long discours sur les libertés dont jouissent les enseignants-chercheurs. « Les enseignants-chercheurs, par leur connaissance et par une discussion raisonnée, construite, contradictoire et transparente ont les moyens de dire non à un dogme, à une autorité qui s’oppose à la connaissance vraie, à une pression politique », poursuit-il. Une obligation du port du masque que M. X décrit ainsi comme « inconstitutionnelle » et dont son refus à la suivre n’est selon lui « [qu’un agissement conforme] au principe d’indépendance et de liberté d’expression des enseignants-chercheurs ». 

« Il faut être honnête intellectuellement, c’est un sujet qui a divisé »

L’avocat de M. X

Point final. Un argument que l’instruction remet en cause : « [ces libertés] ne peuvent les soustraire à leurs obligations de respect des consignes relatives à la sécurité des personnes », tant que ces consignes ne portent pas atteinte à leur liberté d’expression et à leur indépendance. Chose que l’obligation temporaire du masque n’obérait pas, toujours selon le rapport. L’audience s’essouffle et la chaleur de l’été se fait ressentir dans la salle. Le président de la séance appelle à conclure : l’université demande le maintien de la sanction. Quand vient son tour, M. X retire les lunettes de son nez et assume une nouvelle fois sa position. Son avocat prend le relais : « il faut être honnête intellectuellement, c’est un sujet qui a divisé ». Il pointe le manque de preuve à charge contre son client et insiste sur la disproportion de la sanction. « C’est comme condamner un voleur de pomme à 30 000 euros d’amende », s’exclame-t-il avant de demander la relaxe. Les plaidoiries se terminent, le président du Cneser disciplinaire clôt la séance. Quelques mois plus tard, et cinq ans exactement après les premiers faits, le verdict tombe. Si le Cneser jugent que les comportements de M. X, « constitutifs de manquements à ses obligations déontologiques, sont fautifs », la sanction est réduite à une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement pendant six mois, avec privation du salaire. 

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