Un voyage étudiant sur un chantier de fouilles archéologiques à Oman, en Turquie, en février 2019. Une chambre d’hôtel, un enseignant-chercheur et une étudiante. Le décor de cette nuit fatidique que M. X qualifie de « pire erreur de sa vie » est planté. Il rentrera en France plus tôt que prévu, sous la pression des étudiants suite aux accusations de viol de leur camarade. Tout s’enchaîne très vite : une plainte au pénal ainsi qu’au disciplinaire, suspension de l’intéressé. Mais entre les deux versions d’une même nuit, les juges du tribunal judiciaire de Nanterre ont tranché. En février 2022, les plaintes pour viol à son encontre sont écartées. En novembre 2022, le Cneser disciplinaire prononce lui, en droite ligne de la section disciplinaire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant trois ans avec privation de la totalité du traitement », peut-on lire dans la décision. Une décision que le Conseil d’État annule pour défaut de motivation sur le caractère fautif du comportement de M. X — nous vous parlions des problèmes de l’instance.
« Aujourd’hui ce que nous jugeons ce ne sont ni le viol, ni la réaction de l’université mais le comportement de M. X »
Le président d’audience
Double peine. C’est en l’absence de la plaignante que l’affaire est rééxaminée par le Cneser disciplinaire ce jeudi 26 septembre dans les locaux du ministère de l’Education nationale. Dans la salle d’audience, une dizaine de juges font face à un M. X préoccupé, son avocate prête à en découdre ; celui de l’université arbore un air serein. Après une lecture résumée du dossier d’instruction, l’accusé, enseignant-chercheur en archéologie, revient d’une voix timide sur ses dernières années. « Un véritable enfer », au cours duquel il a été non seulement suspendu de ses fonctions mais s’est aussi séparé de sa compagne. Son avocate tient à appuyer la gravité de la situation : « Il a vécu une mort professionnelle et maritale et il n’est pas passé loin de la mort tout court ». Si depuis deux ans, il a de nouveau le droit d’enseigner, son retour ne s’est pas fait sans encombres. Et pour cause : à la suite de sa suspension, l’université avait diffusé par mail les articles de presse concernant les plaintes pour viol aux étudiants de l’établissement et ce « bien que la décision pénale n’ait pas encore été rendue », précise l’avocate de M. X. Aucune autre information ne leur sera transmise par la suite, « malgré une décision innocentant l’accusé », poursuit-elle d’un ton comminatoire. Pour elle, l’université à voulu faire du cas de son client « un exemple ».
« La proximité émotionnelle était grande, ce qui fait que sur le moment, je n’ai pas trouvé ça illogique »
M. X
Protection rapprochée. « À son retour, M. X fait face à des étudiants qui le pensent encore coupable », poursuit-elle. « Je rasais les murs », explique l’enseignant-chercheur qui souligne la forte politisation des étudiant·es du campus de Tolbiac. « L’université a pris des mesures oui, mais ce n’était pas suffisant », poursuit-il. Et de fait, malgré un vigile à ses côtés, un groupe d’étudiants masqués débarque dans son amphithéâtre et tag sur les murs de la salle « M. X violeur ». Si l’université porte plainte contre les étudiants pour dégradation de matériel, elle ne dit rien des accusations de viol. « Il faut que ça s’arrête. M. X a subi sa peine et la subira à vie », complète l’avocate. « Son nom restera à jamais associé au mot viol ».
Si proches, si loin. « Aujourd’hui ce que nous jugeons n’est ni le viol, ni la réaction de l’université mais le comportement de M. X vis-à-vis de son étudiante », interrompt poliment un juge. L’intéressé reconnaît-il sa faute ? M. X se replace sur sa chaise avant de bafouiller quelques explications. Cette nuit-là, il ne le conteste pas, l’étudiante est bien venue dans sa chambre d’hôtel, dont la porte était bien close. Mais c’était à l’initiative de l’étudiante et ils n’ont fait que discuter, « de sujets très personnels », précise-t-il. Puis, ils finissent tous les deux par s’endormir côte-à-côte sur son lit, « pendant une quarantaine de minutes ». « Du fait de nos discussions, la proximité émotionnelle était grande, ce qui fait que sur le moment, je n’ai pas trouvé ça illogique », explique-t-il tant bien que mal. Sur le moment car aujourd’hui assis sur cette chaise face aux juges il le reconnaît d’une voix tremblante : « C’est une évidence, j’aurais dû dire non ». « Vous plaidez coupable mais vous demandez une peine moins lourde », s’amuse alors l’avocat de l’université, le doigt pointé vers M. X, le regard tourné vers les juges.
« Que faites-vous des doctorant·es marié·es avec leurs encadrant·es de thèse ? Est-ce considéré comme une faute disciplinaire ? »
L’avocate de M. X
Manipulations. Un léger rire se fait entendre du côté de l’avocate de M. X : « Si vous me permettez d’interrompre… » Elle tient à ajouter aux propos tenus par M. X ceux rapportés par le dossier pénal sur le comportement de la plaignante. Les deux examens psychologiques que cette dernière a dû réaliser ne constatent « à aucun moment un état de souffrance réel » et précisent « qu’elle ne peut se placer comme vulnérable ». Ce à quoi l’avocate ajoute : « nous avons à faire à une étudiante affabulatrice et manipulatrice ». Les juges se tournent vers l’accusé qui acquiesce d’un mouvement de tête. Des étudiants lui rapportaient notamment qu’elle parlait dans son dos, « soit-disant je faisais la tête parce qu’elle ne voulait pas coucher avec moi », explique-t-il, « alors que le message auquel elle faisait référence n’avait rien à voir avec ça ». Des messages auxquels les juges ont accès.
Consentement éclairé ? « Elle est à l’origine de toutes les initiatives de rapprochement », insiste l’avocate bien qu’elle reconnaisse que son client n’ait pas ou « que très mollement » essayé de les arrêter. « Est-ce qu’une faute nécessite forcément une sanction ? Ce n’est pas à moi d’en juger mais à vous », lance l’accusé d’une voix hésitante lorsque les juges questionnent le sens de sa demande d’appel puisqu’il reconnaît lui-même les faits. Son avocate complète, le buste penché en direction des juges : il n’y a pas eu de viol et, si les échanges de messages et les témoignages montrent que la plaignante et l’accusée avec une relation de proximité, elle n’était « ni sexuelle ni sensuelle ». Et quand bien même, les deux étaient adultes et consentants. « Que faites-vous des doctorant·es marié·es avec leurs encadrant·es de thèse ? Est-ce considéré comme une faute disciplinaire ? ».
« Les regrets ne doivent pas être retenus contre lui »
L’avocate de M. X
Délibération. L’heure est à la conclusion. « Ne pas sanctionner serait ne pas prendre en compte la récidive », insiste avec aplomb l’avocat de l’université. Récidive car en 2014, l’enseignant-chercheur avait été accusé de faits quasi-similaires par une autre étudiante. Le même séjour, les mêmes comportements inappropriés. À la différence que cette fois-là, il était à l’origine des initiatives de rapprochements. Un véritable « copier-coller », à en croire l’avocat de l’université, de l’affaire jugée aujourd’hui mais « la peine pour l’affaire du jour, elle, il ne faudra pas la reprendre par traitement de texte », conclut-il. Du côté de l’avocate de M. X, le son de cloche est complètement différent. Elle qui se bat pour que l’enseignant-chercheur retrouve « un peu d’honneur, un peu de dignité », affirme que rien ne justifie que la sanction soit maintenue aujourd’hui. « Les regrets ne doivent pas être retenus contre lui », conclut-elle.
La décision des juges du Cneser disciplinaire n’a pas encore été rendue publique. Le délai est d’en moyenne un mois. Nous complèterons la chronique avec la décision finale dans les jours à venir.