Igor Kadenko : « Je voudrais pouvoir me réveiller et que la guerre en Ukraine soit finie »

— Le 4 mars 2022

Ce physicien et chef de département veille sur ses collègues et étudiants et tient bon grâce à ses recherches.

Quelle est la situation à l’Université Taras-Chevtchenko de Kyiv ?

Lundi dernier [le 28 février, l’interview s’est déroulée le mardi 1er mars, NDLR], l’université a déclaré deux semaines de vacances pour tout le monde, donc nous restons chez nous. Tous les matins, je contacte l’ensemble des professeurs de mon département [Igor Kadenko est à la tête du département de physique nucléaire, NDLR] pour vérifier qu’ils ne vont pas trop mal et qu’ils sont disponibles pour les enseignements en ligne. Pour les étudiants, c’est plus compliqué : certains ont pris l’avion pour la France ou l’Allemagne, là où ils avaient des stages dans des labos. Nous avons par exemple des liens étroits avec le Laboratoire de l’accélérateur linéaire à Orsay [aujourd’hui IJCLab, voir notre article ▲, NDLR]. D’autres étudiants sont dans leur famille, éparpillés dans toute l’Ukraine, où ils sont actuellement plus en sécurité qu’à Kyiv. Mais la situation est plus critique pour ceux qui sont restés dans la capitale car il n’y a pas d’abri dans les logements étudiants. Ils se sont donc réunis dans le sous-sol de la faculté de physique qui ressemble maintenant à un camp de réfugiés. En plus, ils n’ont plus d’argent pour acheter à manger donc les professeurs ont organisé un système de dons.

J’imagine que la recherche n’est pas la priorité à l’heure actuelle…

De manière générale, en effet, ce n’est pas la priorité. Mais, malgré la terrible situation, je continue mes recherches avec nos collègues hongrois de l’Atomki qui nous soutiennent beaucoup. Parce que si je passais mon temps à lire les informations, je deviendrais certainement fou. Ainsi, j’analyse les données de l’expérience que nous venons de terminer ensemble et nous sommes en train de faire des découvertes intéressantes ! Mais un autre problème est que notre projet s’est terminé à la fin de l’année dernière et que le financement du nouveau projet que nous avions obtenu pour cette année a été coupé. Ainsi, beaucoup de membres de l’équipe sont aujourd’hui sans salaire.

Qu’espérez-vous pour les jours et semaines qui viennent ?

Ça devient de pire en pire et je n’ai aucun espoir tant que Vladimir Poutine reste au pouvoir. Je rêve de pouvoir me réveiller et que la guerre soit finie et que les Russes soient partis, mais cela n’arrivera malheureusement pas. Je peux juste espérer que notre université ne soit pas détruite comme celle de Kharkiv. Ce matin, j’ai demandé des nouvelles du bâtiment principal de l’université et il était toujours debout [le bâtiment rouge est un symbole de l’université de Kyiv, NDLR]. Je suis également inquiet au sujet des infrastructures de physique nucléaire au sud de la ville car elles contiennent des sources radioactives. Les employés de l’université ont vérifié ce matin qu’elles avaient bien été éteintes selon les règles de sécurité depuis jeudi dernier. Si jamais elles sont bombardées, ce qui peut arriver car les Russes ne contrôlent pas bien, des composants radioactifs partiraient en suspension dans l’air.

Quel est votre message à destination des chercheurs français ?

Nous avons été émus de voir le soutien de nos collègues aux Etats-Unis, au Japon ou en Allemagne… Mais je demande aux chercheurs d’être proactifs et d’appeler leurs gouvernements à faire plus : mettre plus de pression sur Vladimir Poutine, fournir une aide financière et militaire à l’Ukraine ou du moins, laisser les personnes qui veulent se battre pour la liberté nous rejoindre. Nous devons nous serrer les coudes pour ne pas atteindre le point de non-retour !

 

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