© Ivan Mathie
Pourquoi être candidat aux élections municipales, dans un arrondissement — le 5e à Paris — historiquement à droite ?
Ce n’était pas vraiment prémédité : mon engagement est initialement venu de mon activisme dans les Scientifiques en rébellion [relire notre enquête sur le sujet, NDLR], où je suis passé de la recherche à l’action politique. J’ai passé deux ans dans la branche parisienne de SeR à monter des actions, structurer le groupe, assurer des relais dans les médias… J’ai notamment participé aux trois dernières tentatives de blocage des Assemblées générales de TotalEnergies ou me suis positionné dans les médias contre l’A69 depuis Paris. J’ai rejoint également les actions d’autres structures comme Extinction rébellion ou Les Soulèvements de la terre. Le dernier exemple en date : une mobilisation contre le canal Seine Nord Europe, un projet à 10 milliards d’euros.
« J’ai l’air jeune, je suis chercheur, j’espère que cela fera pencher la balance en ma faveur »
Irénée Frérot
Quand est venu le déclic ?
Lors des législatives 2024, j’ai tracté pour la première fois pour la candidate PS de la circonscription. Devant la menace du Rassemblement national, je ne pouvais faire autrement. Cela a été mon entrée en matière pour investir le champ politique. J’ai donc rejoint le groupe écologiste dans le 5e arrondissement, où j’habite. Un groupe composé de militants de terrain dont j’apprécie le fonctionnement. Sur leurs conseils, je me suis lancé dans le processus de candidature interne aux municipales, sachant que le candidat écologiste précédent, Laurent Audouin [également chercheur, NDLR], voulait passer le relais.
Est-ce une candidature de témoignage ?
Non, le but c’est de gagner ! Les municipales sont des scrutins très serrés dans le 5e arrondissement : cela se joue à 500 voix près au deuxième tour, même si il est vrai que le 5e est à droite depuis longtemps [Florence Berthout (Les Républicains puis Horizons) est maire depuis mars 2014. Elle a succédé à Jean Tiberi lui-même maire pendant 25 ans, NDLR]. De plus, hors élections municipales, la gauche est majoritaire parmi les 20 000 électeurs. La figure du maire change la donne : on vote pour une personne plus que pour un parti. Notre but est de faire basculer cet arrondissement à gauche, arrondissement électoralement original avec de nombreux étudiants — près de 30% — des personnes âgées et un « creux » sur la catégorie des actifs. Creux qui s’accentue d’ailleurs à cause du coût de la vie pour de jeunes parents. J’ai l’air jeune, je suis chercheur, j’espère que cela fera pencher la balance en ma faveur.
« Pour construire une société meilleure (…), ce n’est pas nécessairement de plus de connaissances dont nous avons besoin (…) mais d’action »
Irénée Frérot
Comment allez-vous partager votre temps jusqu’au premier tour, qui a lieu le 15 mars prochain ?
Une campagne est par nature chronophage : toutes mes vacances y seront dévolues, j’ai même hésité à passer à temps partiel, ce qui ne s’avère finalement pas nécessaire. Actuellement, je me consacre à la structuration de la campagne, aux actions de terrain et aux alliances politiques avec les autres partis. Cette mécanique politicienne est complexe mais importante. Nos alliances à gauche de Macron doivent être les plus larges possibles, ce qui ne semble pas évident aujourd’hui, y compris dans le 5e. Entre le Parti socialiste et La France Insoumise, il y a parfois beaucoup d’animosité. Je n’ai pas su réunir la gauche autour d’une table pour le moment.
Est-ce que suffisamment de scientifiques s’impliquent dans la vie politique ? Il semble y en avoir assez peu, si l’on excepte Cédric Villani par exemple.
Il n’y en a pas assez effectivement. Nous sommes pourtant en première ligne face aux enjeux écologiques. Ceci étant dit, nous ne sommes pas seuls à prendre la mesure du problème : la Cour des comptes a récemment publié un rapport pointant qu’en 25 ans, l’inaction dans la transition écologique coûtera environ 10% du PIB. 300 milliards s’évaporeront donc de l’économie [11,4 % du PIB précisément, si vous avez un moment pour le lire, le voici, NDLR]. Devant ce constat, je n’ai pas la réponse au manque d’implication citoyenne sur le sujet. Et la question n’est pas différente pour les scientifiques. Le fait que nous ne le fassions pas me met en colère : nous sommes des classes privilégiées, payées au service de l’intérêt général. Pour construire une société meilleure ou au moins une société qui se dégrade moins dans les années à venir, ce n’est pas nécessairement de plus de connaissances dont nous avons besoin, sauf ponctuellement, mais d’actions.
« Les scientifiques sont peut-être victimes du « syndrome du bon élève » »
Irénée Frérot
La science et les scientifiques doivent-elles donc cesser de se croire neutres ?
La neutralité de la science n’est qu’un prétexte à mon sens. S’engager est dur, demande du temps et nous sommes peut-être victimes du « syndrome du bon élève » : nous sommes sélectionnés sur des critères qui font que nous rentrons dans le rang, sans sortie de route. En bref, des conformistes ayant une confiance en l’institution qui nous a toujours valorisés. C’était mon cas aussi. Notre carrière ne nous prédispose pas à tout remettre en cause même lorsqu’il dysfonctionne.
Quel impact a eu votre engagement politique sur votre vie de chercheur ? Publiez-vous différemment ?
Mes engagements ont commencé dans ma vie personnelle : je ne prends plus l’avion, j’essaie de ne plus faire de gros calculs numériques [relisez l’enquête de Lucile Veissier sur le sujet, NDLR] et suis même revenu au crayon et au papier dans de nombreux cas. Ma pratique scientifique ne pollue donc quasiment plus et je me suis éloigné du productivisme en me rapprochant de questions plus fondamentales, ce qui est l’essence de ma recherche. Mon poste au CNRS [en physique quantique, NDLR] m’octroie une grande liberté à la fois sur mes sujets et mes collaborations. Je rends des comptes régulièrement mais pas au quotidien, c’est ce qui me permet de prendre des risques. Il y a un impact sur ma disponibilité mentale : pour être créatif en tant que chercheur, on travaille parfois la nuit ou pendant les pauses, comme c’était le cas durant ma thèse. Ma productivité scientifique a donc certainement baissé mais c’est un choix et cela n’a pas d’impact sur mon équipe ou mes financements à ce stade.
« Le RN est un parti ultraconservateur, tout ce qui peut contribuer à remettre en cause les hiérarchies existantes (…) les rend furieux »
Irénée Frérot
Avez-vous songé à arrêter la recherche ?
Si je suis élu maire, oui, la fonction s’entend évidemment à plein temps. Mais je ne souhaite pas à ce stade faire une carrière dans la politique. Je ne suis pas dans l’idée de trouver des solutions magiques mais de trouver une énergie collective au service d’autres options que celles qu’offrent la société de consommation, qui me semble superflu et futile. Il y a une écologie du quotidien à construire. L’échelon local me semble adapté pour cela et le parti écologiste a justement cet avantage de ne pas séparer les échelons : tous ont leur pertinence, que ce soit au niveau local, national ou européen. Quant à me lancer dans d’autres campagnes, comme les législatives, pourquoi pas dans un second temps. Je me concentre pour le moment sur les élections municipales, qui réunissent à elles seules beaucoup d’enjeux.
La perspective d’une élection favorable au Rassemblement national en 2027 se matérialise. Quelles seraient les conséquences sur la science ?
Ils auraient la volonté de démanteler la recherche publique, même s’ils ne le disent pas au plus haut niveau. Une suppression du CNRS a été mise sur la table dans certains journaux [notamment dans cette enquête parue dans le magazine Causeur, NDLR]. Ils n’auront aucune sympathie pour l’Enseignement supérieur et la recherche or le CNRS dépend directement de l’État, tout comme les universités. Le cas américain a montré que les subventions d’État restent le nerf de la guerre. Surtout dans un futur où nos financements seront encore plus comptés ; si la Cour des comptes a vu juste, il nous faut donc faire sobre et simple. Le RN est un parti ultraconservateur, tout ce qui peut contribuer à remettre en cause les hiérarchies existantes en les mettant simplement en lumière les rend furieux. Les attaques contre les personnes ne sont même pas indispensables, les polémiques autour de la suppression de l’Ademe [l’Agence de la transition écologique, NDLR] le prouvent. Valérie Masson-Delmotte [relire notre interview, NDLR] parle d’un combat contre les sciences de la durabilité, une catégorie qui englobe les sciences humaines et certaines sciences expérimentales.
« L’annulation du colloque Palestine et Europe au Collège de France est un avertissement »
Irénée Frérot
Qu’apporte la science à la démocratie ?
On a besoin d’objectifs pour agir, d’une réalité partagée qu’apporte la science. Sinon seule la loi du plus fort ou de celui qui crie le plus fort prévaut. C’est cela qui tue la démocratie et c’est en cela que les sciences sont imbriquées dans un fonctionnement démocratique sain. Il faut pouvoir s’accorder sur une description commune du monde. Il en va du climat comme de l’immigration, sujet sur lequel beaucoup racontent n’importe quoi, en tentant pourtant de s’appuyer sur des chiffres.
Quel enseignement tirez-vous de l’annulation du colloque Palestine et Europe au Collège de France les 13 et 14 novembre derniers ? Le Collège se situe dans le 5e arrondissement.
C’est un avertissement pour les personnes qui se demanderaient comment nos grandes institutions scientifiques réagiraient à la prise de pouvoir d’un gouvernement comme celui de Donald Trump. Le signe d’un manque de courage. Cela commence toujours sur ce genre de sujets « faciles » qui génèrent beaucoup d’émotions. Aujourd’hui le Collège de France, et demain ? Il s’agit d’un test de résistance du système face à une entrave réelle à la liberté académique. Nous devions faire confiance aux chercheurs, une censure a priori n’est pas acceptable.
