Après un processus de nomination rocambolesque, le mathématicien Thierry Coulhon a pris les rênes du Hcéres. Rencontre. Aux 80 ans du CNRS Emmanuel Macron (remember) pointait du doigt une « évaluation molle, sans conséquences ». Qu’est-ce qu’une évaluation « dure et suivie d’effets », en ce cas ? Emmanuel Macron n’emprunte pas les mots des autres s’il ne les pense pas. Son point de vue est juste : si évaluation il y a, elle doit avoir de l’utilité et du sens, donc se tenir à un impératif de vérité. Quand on parle d’évaluation, il faut remonter à son sens originel. Les politiques publiques doivent être évaluées : dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, c’est une idée qui remonte à 1983 avec Laurent Schwartz [auteur de Pour sauver l’université, NDLR] et qui me semble très partagée. Je m’inscris dans l’histoire de cette maison, l’AÉRES puis le Hcéres, bien retracée d’ailleurs dans le livre de Clémentine Gozlan [dont voici la thèse sur le sujet, NDLR]. Votre nomination, contrairement à celle de tous vos prédécesseurs, a été un vrai événement, politique qui plus est. Pourquoi ? Le fait que je sois un ancien conseiller présidentiel est trop réducteur [voir un CV complet ici, NDLR] et c’est une manière bien étrange de comprendre les relations de pouvoir que de me le reprocher. Ma vie professionnelle ne se résume pas à cette expérience et c’est sur cette base que je suis devenu conseiller d’Emmanuel Macron, puis président du Hcéres. Je suis né dans une famille où personne n’avait le Bac, j’ai démissionné de l’Ecole polytechnique — j’étais un peu antimilitariste à l’époque — pour aller étudier la philosophie et les mathématiques. Je suis devenu professeur dans une université de banlieue, à Cergy-Pontoise. J’ai enseigné en première année, j’ai fait beaucoup de recherche avant d’être aspiré par les responsabilités et de devenir le président de cette université. J’ai vécu de grands moments dans une ville nouvelle où l’on contribuait à changer le destin de jeunes qui, sinon, ne se seraient pas tournés vers l’université. Après avoir franchi les lignes, politiquement parlant, j’ai ensuite rejoint la CPU, le cabinet de Valérie Pécresse, puis le Commissariat général à l’investissement, dirigé un centre de recherche en Australie et été élu à la tête de l’université PSL. Au-delà des réseaux sociaux, je me sens plutôt bien accepté. Les communautés apprécient qu’on leur parle franchement même si l’on n’est pas d’accord sur tout, c’est ce que j’essaie de faire. Votre nomination est encore sous le coup d’un recours au Conseil d’État, ça vous inquiète ? C’est très sain, ça s’appelle l’Etat de droit, toute décision peut être contestée et ultimement cela ne fait que la renforcer. Les outils numériques ont amené une forme de transparence dans toutes les prises de décisions. La candidature collective au Hcéres initiée par RogueESR — très bien jouée de mon point de vue — en est l’illustration [plusieurs milliers de chercheurs y ont participé, NDLR]. C’est une forme de réappropriation, rien de choquant à cela même si je ne sais pas si l’un de ces candidats souhaitait devenir président en réalité. Votre prédécesseur Michel Cosnard arrivait à la limite d’âge, son départ était donc prévisible, n’y avait-il pas une meilleure manière de procéder ? Peut-être mais je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Désormais, je souhaite être jugé sur la manière dont j’exerce mon mandat. Nous vivons dans une ère de défiance : pendant que l’on débat d’une fantasmagorie qui voudrait que le Président de la République m’appelle pour peser sur l’évaluation, les vrais sujets sont évités. Et l’un de ceux-ci est : est-ce que l’enseignement supérieur et la recherche jouent leur rôle et comment peuvent-ils progresser ? Si noter est de droite et l’appréciation qualitative est de gauche, aujourd’hui est-on dans l’en même temps macronien ? L’évaluation navigue en permanence entre l’arbitraire et l’euphémisation : il ne faut tomber ni dans un extrême hiérarchisant ou punitif, ni dans l’euphémisation générale, où tout le monde est beau, tout le monde est gentil et se voit décerner un A+. La grande idée directrice du Hcéres était justement d’éviter le mandarinat, le copinage, les effets de couloir par la formalisation. Dans cette dynamique, il y a un risque : que cette formalisation « choufleurise », au prix d’une perte de sens. L’euphémisation, c’est dire d’un bon labo en progression, dont certains travaux sont au niveau mondial, qu’il est « au meilleur niveau mondial ». Toutes les activités humaines peuvent être appréciées, y compris l’art : il faut pouvoir y trouver des contrastes, sans qu’ils soient exagérés ou arbitraires. Les chercheurs pratiquent l’évaluation quotidiennement mais elle doit être rendue collégiale et collective. L’évaluation a donc certes ses limites… Il n’en reste pas moins que nous n’avons pas d’autres moyens de faire. Ça n’a rien de simple : si la vérité était facile à élaborer, nous n’aurions rien à évaluer. Je n’ai aucun goût pour le déni de réalité. Allez-vous rétablir d’une manière ou d’une autre des évaluations notées, comme le pratiquait l’Aéres ? La confrontation avec la réalité de l’évaluation me conforte dans l’idée que la notation n’est pas la solution. Je n’ai pas d’agenda caché sur le sujet. En réalité, je n’y vois presque que des défauts : la notation fonctionne par seuil, elle est unidimensionnelle, simplificatrice, stigmatisante… et elle ne rend pas compte des dynamiques. La conséquence est connue : tout pousse vers le A+, qui rend tout le processus inutile. Depuis la Loi Recherche, le Hcéres est doté d’une personnalité morale, ça change quoi ? A bien des égards, notamment sur le plan budgétaire et comptable, le Hcéres était traité comme un service du ministère alors même qu’il s’agissait d’une autorité administrative censée être indépendante [la liste des AAI, pour les curieux, NDLR]. La transformation en Autorité publique indépendante [et la liste des API pour faire bonne mesure, NDLR] lui confèrera la personnalité morale et imposera de concrétiser l’indépendance prévue par les textes. Cela permettra aussi de développer des ressources propres dans un cadre moins contraignant, notamment en renforçant notre activité à l’international. Parlons des « conséquences » : de quelle manière les éva luations sont-elles liées aux dotations des établissements par exemple ? Je n’ai pas la maîtrise des effets de l’évaluation : notre rôle est de fournir aux tutelles des éléments d’appréciation utiles. Concernant les unités de recherche, la question est assez simple en réalité. En tant qu’organisme de recherche ou établissement, obtenir le maximum d’informations sur ses laboratoires est essentiel. Mais le cheminement de la décision qui mène d’une appréciation à l’augmentation ou à la diminution des moyens d’un laboratoire donné est complexe et peut aller dans les deux sens : une équipe en perte de vitesse peut soit être soutenue, soit être stoppée. Il n’y a pas d’automaticité ni d’algorithme dans le processus. Mon expérience en Australie m’a confronté à un système d’évaluation quantitatif, avec des coefficients multiplicateurs, de la bibliométrie beaucoup plus directe et violente, qui pouvaient faire varier les moyens de un à quatre. Rien à voir avec la France. Le modèle Sympa [quelques mots sur cet algorithme d’allocations des moyens, NDLR] n’a fonctionné que très peu de temps et a succombé à la crainte des universités, petites et grandes, d’y perdre au change. Cela revient à poser une autre question : comment le ministère utilise les rapports du Hcéres ? Le ministère établit un contrat d’objectifs et de performance avec l’organisme de recherche, la ministre alloue chaque année un budget à ces organismes, souvent reconduit de manière incrémentale. Les rapports du Hcéres — publiés tous les cinq ans, je le rappelle — informent les services du ministère et l’établissement, outillent le dialogue contractuel et, en somme, aident les acteurs à se former une image plus fidèle de la réalité. S’ il y a un effet de nos rapports sur les budgets, il est très « médié ». Nos rapports représentent beaucoup de travail, ils sont sérieux, honnêtes et globalement bienveillants. Le Hcéres n’est pas une machine à rogner les moyens alloués. Le Hcéres a été évoqué pour produire le rapport ou l’enquête ou l’étude (si vous avez raté le début), quelque soit le terme, voulue par Frédérique Vidal à propos de l’islamogauchisme. Qu’en est-il ? Personne ne nous l’a demandé et, de toutes façons, nous ne fonctionnons pas sur le mode de l’enquête mais celui de l’évaluation par les pairs. Hiérarchiser des contenus n’est pas de notre compétence pour une seule bonne raison : la liberté académique est tout de même le meilleur moyen qu’a trouvé l’humanité pour avancer en matière de connaissances. Que la recherche suive les mouvements de la société — le genre, le postcolonialisme —, quoi de plus naturel ? Ce n’est certainement pas au Hcéres de conseiller d’éviter certains sujets de recherche. Si des conférences [notamment celle-ci, NDLR] sont annulées, mieux vaut en référer à l’Inspection générale. Nous faisons des synthèses disciplinaires — épigénétique, archéologie, virologie —, les études postcoloniales me semblent être un sujet trop étroit pour rentrer dans ce cadre. Par ailleurs, l’islamogauchisme n’est qu’une forme de positionnement politique, pas un sujet scientifique. En revanche, il est bien dans les missions du Hcéres de veiller à la qualité et à la pluralité dans tous les domaines de l’activité académique, ce qui implique en particulier d’être vigilants sur la distinction entre discours scientifiques et discours militants de toute obédience. |
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