Le chercheur Julien Clamand analyse les causes de la (trop) lente mue du doctorat en France. Il est même l’auteur d’une thèse sur le sujet. En quoi l’Hexagone fait-il figure d’exception pour les docteurs ? Le doctorat s’est traditionnellement construit en France comme un vivier de recrutement pour les universités, les grandes écoles fournissant les élites du privé et les hauts fonctionnaires. De fait, les docteurs sont très peu reconnus en dehors du secteur public, contrairement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne, où ils accèdent aux postes les plus élevés. La palette des débouchés s’élargit aujourd’hui sous l’influence de la compétition inter entreprises, qui ont besoin de docteurs car ils sont capables de favoriser l’innovation. Il y a un retournement de situation mais il est lent et progressif : aujourd’hui, même les écoles d’ingénieurs vont vers le doctorat, de plus, l’emploi dans la recherche publique se réduit et se précarise progressivement. Quels sont les points de blocage ? Si il y a un acteur qui a moins joué le jeu jusqu’à présent, ce sont les organisations patronales. Les entreprises intègrent des docteurs, financent des Cifre mais les conventions collectives bloquent leur reconnaissance. A tel point que le doctorat n’est reconnu que dans une branche, celle de la chimie. Une explication à cela : la reconnaissance du doctorat amènerait des rémunérations plus élevées que celles des écoles d’ingénieurs ou de commerce. L’Etat a tout de même joué un rôle décisif grâce aux Cifre ou au dispositif Jeunes docteurs ; les derniers chiffres du Cereq montrent d’ailleurs que les embauches augmentent. L’académie fait-elle toujours autant rêver ? Le processus de démotivation est en train de marcher : les doctorants veulent toujours intégrer la recherche académique mais dans une moindre proportion : 70% il y a cinq ans, 50% aujourd’hui. Pour beaucoup, se positionner dans la recherche publique est aujourd’hui synonyme de CDD, de post-docs… ça va les décourager. Ils gagnent des postes dans le privé, pas nécessairement dans la recherche d’ailleurs, même si nous manquons de statistiques sur cette population précise. Tous les docteurs sont-ils égaux face à cette situation ? Le doctorat fait sa mue sur fond de sélection au financement de la thèse et cette sélection ne se passe pas de la même manière dans toutes les disciplines, forcément. Cette sélection existait déjà depuis longtemps dans les sciences formelles et du vivant. Or en sciences humaines, les possibilités de financement ne sont pas aussi importantes, une inégalité se crée parce qu’il y a moins de partenariat public privé, moins de projets de recherches internationaux et beaucoup moins de postes, sauf en sciences de l’éducation ou sciences économiques. |
Hélène Gispert : « L’absence des femmes aux Nobel n’est que la partie émergée de l’iceberg »
Les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de cette série de Nobel 2024. Faut-il s'en indigner ? En effet, si l’on regarde les cinq dernières années, sur les trois prix de médecine, physique et chimie, 29 hommes et seulement six femmes ont été récompensés....