« La misogynie se ressent toujours au quotidien »

Dénoncer les inégalités femme-homme, c’est salutaire. Proposer des solutions, c’est concret. Deux physiciennes, Maurine Montagnat et Christiane Koch, ont décidé de faire bouger les choses dans leur discipline.

— Le 12 décembre 2025

Maurine Montagnat (CNRS) à gauche, Christiane Kock (Freie Universität Berlin) à droite

Les prix Euromech, pas que pour les mecs 

Cela fait plusieurs années que Maurine Montagnat, chercheuse CNRS à Grenoble, tente de sensibiliser ses collègues sur la place des femmes dans sa communauté. En lien avec les secteurs de l’aviation, du bâtiment ou de l’énergie… elles ne courent pas les rue dans les labos en mécanique des matériaux : seul environ un chercheur sur cinq est une femme. Malgré une timide prise de conscience, pour beaucoup, le problème n’en est toujours pas un.

« On baigne toutes et tous dans cette culture où les hommes sont davantage mis en avant »

Maurine Montagnat, CNRS

Où sont les femmes ? À la dernière conférence de la société savante européenne de sa discipline à Lyon en juillet dernier, ce fut le pompon : sept prix décernés, aucune lauréate. « En discutant entre chercheuses, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas la première fois », se souvient Maurine Montagnat. Ces récompenses existent depuis plus de 20 ans mais n’ont compté qu’une seule femme parmi les 35 lauréats… Alors que les prix sont souvent remis par des femmes – les photos parlent d’elles-mêmes – et qu’elles représentaient cette année 27% des participants. L’idée d’une lettre ouverte à la European mechanics society (Euromech) est actée le soir même autour d’un verre.

Quota, quota ? « L’objectif n’est pas simplement de dénoncer mais aussi de questionner un processus qui reproduit les inégalités et de proposer des solutions », explique Maurine Montagnat. Inconsciemment, quand vient le moment de proposer des collègues pour les prix, les noms masculins viennent en premier : « On baigne toutes et tous dans cette culture où les hommes sont davantage mis en avant ». D’où l’idée d’une double nomination : proposer obligatoirement deux noms, un chercheur et une chercheuse. « Cela force à puiser dans le vivier des femmes », argumente la chercheuse. Le comité disposerait ainsi du même nombre d’hommes et de femmes pour y sélectionner les lauréats. 

« Elles n’ont qu’à partir dans un secteur où la reconnaissance ne s’effectue pas au mérite »

Un courageux anonyme

Missive. Effet Matthieu oblige – on donne à celui qui a déjà –, l’attribution de ces prix a des conséquences durables, notamment pour l’obtention de financements : « Des nominations plus justes pourraient compenser ce phénomène », espère Maurine Montagnat. Ouvert à la signature depuis septembre, l’appel a recueilli une centaine de signatures, essentiellement féminines. La lettre – à lire ici – a été envoyée début décembre à Euromech, sans réponse pour l’instant.

Hey boys, hey girls. Comment réagissent les collègues masculins ? « Beaucoup sont enthousiastes et soutiennent l’initiative, mais certains semblent embêtés que cela fasse du bruit », observe Maurine Montagnat. Avec au passage quelques réactions pas très agréables, voire tout à fait déplacées : cette lettre serait le fruit de femmes frustrées de n’être pas reconnues. « Elles n’ont qu’à partir dans un secteur où la reconnaissance ne s’effectue pas au mérite si elles ne sont pas contentes… », a pu lire la chercheuse. 

« Il y a quelques années, tout aurait été nié. Les choses commencent à bouger »

Maurine Montagnat, CNRS

Tous ensemble. Mais l’initiative bénéficie d’appuis au niveau national : l’Association française de mécanique et l’association Mecamat l’ont soutenu sur Linkedin, ainsi que l’association Femmes & sciences. Maurine Montagnat veut croire à une inflexion dans les politiques des institutions, avec notamment la mise en place de formations de sensibilisation aux biais de genre. « Nos institutions semblent plus clairvoyantes : il y a quelques années, tout aurait été nié. Les choses commencent à bouger. »

Women for quantum et vice versa

Un soir, trois chercheuses se retrouvent autour d’un apéro en pleine école d’été. Théoriciennes en physique quantique venant des quatre coins de l’Europe, elles se mettent à partager leurs frustrations : « Nous étions déjà bien avancées dans nos carrières mais nous nous heurtions constamment à un plafond de verre », explique Christiane Koch, professeur à la Freie Universität Berlin. Obtenir des financements, publier, augmenter sa visibilité… tout semble plus simple pour leurs homologues masculins. Et ce n’est certainement pas sans raisons : « Les hommes se soutiennent via des réseaux informels. Nous sommes beaucoup moins nombreuses et nous en sentons souvent exclues. » Des conversations de vestiaire en apparence banales mais qui permettent d’échanger de nouvelles idées, des tuyaux sur les conférences à venir, voire sur les prochains appels à projet… « Dans les technologies quantiques, c’est encore pire : il y a beaucoup d’argent européen qui reste dans les mains de certains, surtout des hommes ».

« La misogynie n’est plus aussi flagrante (…) mais se ressent toujours au quotidien »

Christiane Koch, Freie Universität Berlin

Confessionnal. « On ne pouvait pas juste se plaindre » : les physiciennes Christiane Koch depuis Berlin, Sabrina Maniscalco depuis Helsinki et Roberta Zambrini depuis Majorque décident de passer à l’action.. En septembre 2022, elles créent le réseau « Women for Quantum  », qui rencontre un franc succès. Leur première rencontre au printemps 2023 est un véritable « moment d’empowerment » : une vingtaine de chercheuses âgées de 45 à 60 ans, toutes bien établies, partagent leur vécu et réalisent – parfois tardivement – que les problèmes qu’elles rencontrent ne viennent pas d’elles. « Ça m’a rendu très triste », admet Christiane Koch, choquée également par les témoignages de jeunes chercheuses « parfois isolées, peu respectées et ne sachant à qui en parler » lors d’un événement organisé à Paris en septembre 2025. « La misogynie n’est plus aussi flagrante qu’auparavant mais se ressent toujours au quotidien. »

À ciel ouvert. Disciplinaire ne veut pas dire rester dans l’ombre : le réseau de chercheuses a publié un manifeste défendant leurs valeurs. Des valeurs « partagées par beaucoup d’hommes et de femmes mais pas toujours prises en compte dans les décisions politiques », observe la physicienne. Une association vient d’être créée pour pérenniser le collectif, représenté par un trio de chercheuses. Seules les femmes seniors – ayant soutenu leur doctorat depuis au moins dix ans et en poste permanent dans le public ou dans le privé – pourront y adhérer. La raison ? « Avoir plus de poids et garantir la liberté de parole », explique Christiane Koch. 

« Les hommes se soutiennent via des réseaux informels (…) Nous nous en sentons souvent exclues. »

Christiane Koch, Freie Universität Berlin

Altmétriques. Et parce que les chercheuses veulent être force de proposition, des groupes de travail vont plancher sur des modèles alternatifs de financement et d’évaluation de la recherche, ainsi que sur les inégalités de salaire. En Allemagne, le fait que le salaire soit en partie négociable entraîne un “gender pay gap” de 700 euros par mois selon leurs estimations. Dans d’autres pays, c’est l’accession plus tardive des femmes à des postes permanents qui en est la cause. « Certaines prises de conscience sont encore nécessaires », estime Christiane Koch.

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