La résistible réforme des UMR

Il faut que tout change pour que rien ne change : la gestion des tutelles des 859 Unités mixtes de recherche est casse-tête pour les gouvernants.

— Le 14 septembre 2022

C’est un acronyme — un de plus — qui ne dira pas grand-chose à pas grand monde en dehors du monde de la recherche : les UMR ou unités mixtes de recherche, au nombre de 829. Elles forment le creuset au sein duquel la grande majorité de la recherche française se fait (relire notre interview de Julien Barrier). Au prix d’un manque de lisibilité certain : deux, trois, quatre tutelles par labo, cette situation typiquement française prend parfois des dehors kafkaïen. Nous nous en amusions avec vous il y a déjà un an quand, le chercheur Loïc Queval avait gagné notre petit concours de la signature à rallonge : 

Université Paris-Saclay, CentraleSupélec, CNRS, Laboratoire de Génie Electrique et Electronique de Paris, 91192, Gif-sur-Yvette, France. Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Génie Electrique et Electronique de Paris, 75252, Paris, France

La feuille de route de Sylvie Retailleau est simple, en droite ligne du discours de politique générale de la première ministre Elisabeth Borne le 06 juillet dernier : simplifier le système et redéfinir les rôles des organismes et des universités. Évidemment plus facile à dire qu’à faire, le constat étant posé depuis de nombreuses années. En 2008 déjà, le rapport D’Aubert dressait un constat qui reste aujourd’hui d’actualité : labyrinthes administratifs pour les chercheurs (gestion, ressources humaines, double saisie), manque de lisibilité à l’international ou pour le monde socioéconomique des travaux de recherche… Quinze ans plus tard, le débat est posé dans les mêmes termes et la ministre navigue pour l’instant sur une ligne de crête en préconisant de manière sybilline « d’articuler la position des organismes de recherche et des universités ».

Petits pas. Les années passent, les changements sont… incrémentaux et la réforme toujours aussi piégeuse pour un ministre de la Recherche. Toucher aux UMR, c’est bouger une des briques de base du système de recherche français. Le débat agite le landernau à nouveau depuis quelques mois, notamment depuis les annonces du président de France universités Manuel Tunon de Lara en janvier dernier, réclamant « la délégation pleine et entière » de ces UMR aux universités, reprenant les termes d’une note de la Cour des comptes de décembre 2021. Un discours volontairement tranché qui résonne avec le “tout université” assumé par tous les gouvernements depuis 2006 mais peu suivi d’effets pour le moment.

« On perd tous beaucoup de temps à laisser croire que tout le monde a le même poids »

Antoine Petit

Lors du même évènement, Emmanuel Macron assumait en apparence vouloir transformer le CNRS en « agence de moyens » ou en « agence de programmation », selon les interprétations. Malgré ses accents volontaristes, il ne fait que remettre cette réforme entre les mains de ceux qui la porteront : les syndicats, les organismes de recherche, les universités, les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs… au risque de laisser certains sur le bord de la route. Le débat qui s’est tenu le 30 août dernier lors du colloque des vice-présidents Recherche à Montpellier l’a prouvé.

Punchline. Antoine Petit, président directeur général du CNRS, a ainsi mis les pieds dans le plat à propos des tutelles : « On met sur un pied d’égalité l’université qui représente 60% des forces en présence et la petite école sympathique qui met un poste un demi de maître de conférence (…) On perd tous beaucoup de temps à laisser croire qu’on a tous le même poids, alors que ce n’est pas vrai. Je propose une contractualisation en deux étapes », à savoir un premier accord entre l’organisme de recherche et l’université et un contrat secondaire entre l’université et la grande école ou l’école d’ingénieurs présente dans l’UMR.

« L’UMR reste la brique de base de notre organisation. Je ne crois pas au grand soir »

Gilles Bloch, Inserm

Abrupts, les propos d’Antoine Petit ont évidemment fait réagir : « mépris », « condescendance », la réponse des intéressés ne s’est pas faite attendre : dans un communiqué incendiaire, la CDEFI (les écoles d’ingénieurs) et la CGE (les grandes écoles) estiment que « ces propos bafouent les valeurs de respect mutuel entre partenaires qui sont au cœur du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche et ne sont pas appropriées » et renvoie le CNRS dans ses cordes, rappelant qu’Emmanuel Macron a souhaité le transformer l’organisme de recherche en « agence de moyens ».

Optimisme de rigueur. Moins véhément que son homologue du CNRS, Philippe Mauguin président de l’Inrae avance que « si on a des organismes nationaux qui sont des agences nationales de programmation et qu’elles le font de manière concertée avec les universités de manière pluriannuelle, on sera dans une singularité positive ». Gilles Bloch, président de l’Inserm, veut aussi croire que les choses avancent dans le bon sens : « L’UMR reste la brique de base de notre organisation. Je ne crois pas au grand soir, au grand chambardement (…) quel chemin parcouru en quinze ans depuis la transition vers l’autonomie des universités ! Le paysage et les rôles ont été redéfinis, (…) on est aujourd’hui dans la coconstruction avec les universités, les méthodes ont changé. »

« La réussite des universités est celle du CNRS et inversement »

Manuel Tunon de Lara

Est-on pour autant au bout du chemin ? Certainement pas. Sur d’autres sujets, « il ne s’est pas passé grand-chose en quinze ans depuis le rapport d’Aubert », regrette paradoxalement Gilles Bloch, pointant notamment la difficulté à partager les informations entre les tutelles, un autre serpent de mer de la recherche française. Également présent à Montpellier, Manuel Tunon de Lara, président de France Universités veut aussi voir le verre à moitié plein. Malgré les efforts, « il s’agit maintenant de rattraper le retard français » vis à vis des universités : «  L’idée que les organismes, c’est l’excellence, le très bon boulot » et aux universitaires le reste a selon lui évolué ces quinze dernières années.

Stop ou encore. Même satisfecit sur l’existence des UMR, un « dispositif qui nous est spécifique, excellent dans beaucoup de situations (…) même si la science française n’est pas à la place où elle devrait être. Or, la réussite des universités est celle du CNRS et inversement. Affirmons-le ensemble, les choses peuvent ainsi changer (…) il nous faut un pilotage unique et facilité », continue-t-il. Et ce malgré les bisbilles régulières entre les universités et le CNRS sur la gestion de ces unités. Reste la voix des chercheurs dans ce débat, qu’on entend finalement très peu : victimes de la complexité administrative du système, ils bénéficient aussi des opportunités de ces multiples tutelles.

Céder la place. Antoine Petit enfonce le clou : « Il y a parfois une forme de schizophrénie de la part des directeurs et directrices d’unité qui se plaignent de la complexité du système mais ne souhaitent pas qu’une école abandonne la tutelle de l’unité au cas où il puisse bénéficier d’un hypothétique poste (…) il faut aller au bout de la logique et que le CNRS devienne tutelle secondaire d’un certain nombre d’unités » où l’organisme est minoritaire… mais sans en préciser le nombre. Tout le monde est d’accord pour simplifier. Il ne reste qu’à la locataire de la rue de la Montagne Sainte-Geneviève de tracer une route que tout le monde voudra prendre. 

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