Le doctorat attend sa révolution française

Les politiques vont-ils enfin s’atteler à la reconnaissance du diplôme de docteur dans un pays où il est historiquement sous-côté ? Un rapport donne des propositions concrètes.

— Le 13 novembre 2024

Comment permettre une meilleure reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société ? Le sujet est sur le tapis depuis trop longtemps et c’est en toute discrétion dans l’Hôtel des ministres de Bercy que votre nouveau ministre de tutelle Patrick Hetzel a reçu le 05 novembre dernier, aux côtés du ministre de l’industrie Marc Ferracci, un rapport sur le sujet cosigné par Sylvie Pommier, ancienne présidente du Réseau national des collèges doctoraux, et Xavier Lazarus, directeur associé du fonds d’investissement Elaia. Un rapport qui permettra de « renforcer les synergies entre public et privé », espère Patrick Hetzel lors de la conférence de presse sur le sujet — volonté reflétée par le choix du binôme mais aussi du lieu de remise du document.

« On a essayé de ne pas demander d’argent, on connaissait la réponse »

Xavier Lazarus, Elaia

In extremis. Rendu la veille de la Journée nationale du doctorat qui s’est tenue à Lille cette année — tout sauf une coïncidence vous vous en doutez — ce rapport (dont vous trouverez la version complète ici) ne sort pas de nulle part. Missionné il y a un peu moins d’un an par les anciens ministres Sylvie Retailleau et Roland Lescure à la suite du colloque Plan national pour le doctorat organisé par l’ANRT, le duo Pommier-Lazarus s’était vu fixer plusieurs objectifs bien précis afin d’accroître la part de docteurs parmi les chercheurs en entreprise mais aussi la part d’ingénieurs s’engageant dans un doctorat. Il s’agissait également de favoriser la reconnaissance du “PhD” dans le monde socio-économique. Mardi dernier, Patrick Hetzel a donc annoncé reprendre le dossier laissé par sa prédécesseure avec une promesse : le diagnostic rendu « enrichira la feuille de route » de son ministère, a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. Feuille de route qu’il dévoilera d’ailleurs le 19 novembre, nous y reviendrons évidemment.

Trois plus trois. « Nous sommes très heureux que le rapport soit arrivé à terme », avoue bien volontiers Sylvie Pommier lors de la journée nationale du doctorat*.  « Le sujet n’est pas passé à la trappe, d’un point de vue symbolique c’est très important », souligne Florian Andrianiazy, directeur général de l’entreprise spécialisée dans le recrutement de docteurs PhDTalent, lui aussi satisfait. Il faut dire que le tumulte politique français des derniers mois ne laissait rien présager de bon pour sa suite. Après plusieurs mois d’enquêtes, d’entretiens et de lectures, le rapport dresse au fil de ses 100 pages, dix recommandations « concrètes et opérationnelles », se sont réjouis les deux ministres. De ces recommandations, Patrick Hetzel et Marc Ferracci en ont, après une première lecture stabilo à la main, retenu trois : la création d’une journée européenne du doctorat, la mise en place d’une plateforme nationale du doctorat et le développement de parcours pré-doctoraux pour les élèves ingénieurs. Tout comme Sylvie Pommier et Xavier Lazarus devant le public de Lille, les deux ministres — eux-mêmes docteurs — ont souligné l’importance d’un changement culturel profond pour valoriser ce diplôme « qui vous transforme », a souligné Patrick Hetzel. Le cas de nos voisins allemands — dont le titre de docteur est affiché jusque sur leur passeport et carte de crédit — n’a pas manqué d’être cité en exemple.

« Pour la majorité des docteurs, le devenir professionnel hors du secteur académique n’est pas un plan B mais le plan principal »

Sylvie Pommier

Sois ingé, mon fils. Une donne  culturelle particulièrement tenace dans l‘Hexagone, où les écoles d’ingénieurs restent encore le parcours royal. « En France, les docteurs sont perçus comme formés à la recherche et non formés par la recherche », pointe Xavier Lazarus. Résultat des courses : seuls 11 % des chercheurs en entreprise sont docteurs, contre 56% d’ingénieurs. « Finalement, même pour faire de la recherche, on préfère un ingénieur », remarque au micro Xavier Lazarus, d’un ton volontairement provoquant. Pourtant, pour 15 187 diplômes de doctorats délivrés en 2023, environ 1500 postes — de maître de conférences ou de chargé de recherches — sont ouverts par an dans la recherche publique. « Pour la majorité des docteurs,  le devenir professionnel hors du secteur académique n’est pas un plan B mais le plan principal », souligne ainsi Sylvie Pommier. Le problème existe aussi du côté des élèves ingénieurs pour qui la thèse est très peu envisagée. Avec deux gros points noirs : trois ans supplémentaires lui sont dédiés sans que le salaire d’embauche n’en soit meilleur et une image supposément négative — propagée par les réseaux sociaux et les médias — du déroulement de ces années de thèse. Le constat est donc sans appel… et connu « depuis des années », tient à préciser Florian Andrianiazy. Le rapport aura au moins le mérite de mettre des chiffres par écrit.

Exception culturelle. Alors comment s’atteler à ce changement profond ? S’il y a un sujet qui semble être déjà bien engagé dans les rangs du ministère, c’est celui de la plateforme nationale — bien que ses contours semblent encore flous. Rassembler des statistiques, développer un réseau d’ambassadeurs, lister les compétences acquises au cours du doctorat… Le tout pour mettre à disposition de tous — et pas uniquement du monde académique — le plus d’informations possibles sur le devenir et la valeur ajoutée des docteurs. « Je trouve ça un peu dommage de ne pas proposer de mutualiser ou de s’appuyer sur des choses déjà existantes et qui fonctionnent bien comme l’ABG [Association Bernard Grégory, NDLR] », souligne pourtant Florian Andrianiazy.

« Le sujet n’est pas passé à la trappe, d’un point de vue symbolique c’est très important »

Florian Andrianiazy, PhD Talent

Lost in translation. Le problème actuel : l’absence de suivi du devenir des docteurs, en particulier lorsqu’ils sortent des cadres de la R&D. « Une fois qu’ils sont rentrés dans l’entreprise, on perd leur trace [ils sont placés dans une catégorie Master et plus, NDLR] ce qui nous empêche d’évaluer leur évolution professionnelle », insiste Sylvie Pommier. Pour plus de transparence sur les parcours des docteurs, le rapport recommande aussi la création d’un « indice d’intensité doctorale » qui permettrait de refléter le nombre de PhD au sein de toutes les entreprises et institutions qui le souhaiteraient. Avec une idée en tête : montrer que, plus cet indice est élevé, meilleurs sont les résultats de l’entreprise en termes d’innovation ou de croissance. L’objectif à long terme pour les deux co-auteurs serait même de moduler certaines subventions, comme le Crédit Impôt Recherche (CIR), en fonction de cet indice. « L’idée serait de dire que le taux de CIR ne peut pas être le même pour une entreprise qui n’emploie aucun docteur que pour celle qui est massivement orientée vers les partenariats avec la recherche », explique Xavier Lazarus. Un projet plus qu’ambitieux dont les prémices — une expérimentation avec quelques entreprises et établissements publics pilotes — ne pourraient néanmoins pas voir le jour immédiatement.


Prouve que tu existes. « Une telle mesure a déjà existé donc la bonne nouvelle c’est qu’elle est réalisable », souligne Florian Andrianiazy. En 2018, PhD Talent était en effet parvenu, avec le soutien de la député Amélie de Montchalin, à faire passer un amendement obligeant les plus gros déclarant du CIR — moins de trente entreprises en France — à faire état du nombre de docteurs dans leurs effectifs. Une mesure abandonnée l’année suivante. « Elle ne sera possible et pérenne qu’à condition que le ministère s’engage à lutter contre le lobbying que feront nécessairement les entreprises pour ne pas remplir ce type d’information », poursuit-il.

« Une fois qu’ils sont rentrés dans l’entreprise, on perd la trace des docteurs »

Sylvie Pommier

Et l’argent dans tout ça ? Transformer l’habilitation à diriger des recherches (HDR) en diplôme national, systématiser un stage de six mois en entreprise avant, pendant ou après la thèse… Vous l’aurez compris, les mesures proposées sont ambitieuses mais une question demeure : avec quels moyens ? « On a essayé de ne pas demander d’argent, sinon on connaissait la réponse », a expliqué Xavier Lazarus qui espère que le rapport ne s’arrêtera pas à sa simple présentation lors de la journée nationale du doctorat. Une chose est sûre : tous ces changements ne pourront se faire sans volonté politique claire. La nomination de Sylvie Pommier en tant que chargée de mission sur le doctorat au ministère et la reprise du rapport par Patrick Hetzel semblent autant de signaux positifs. 

* Toutes les citations de Sylvie Pommier et Xavier Lazarus sont issues de leur conférence lors de la journée nationale du doctorat.

Illustration Un peuple et son roi de Pierre Schoeller © 2018 

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