La décarbonation est l’une des transformations majeures que doivent opérer les sociétés humaines modernes pour assurer un avenir durable et désirable. L’Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable souligne la nécessité d’accélérer la décarbonation de tous les secteurs de notre économie (Objectif de Développement Durable 13). Au sein du monde académique français, il semblerait qu’une petite révolution soit en marche, dans le contexte de crises sanitaire, énergétique et climatique qui se succèdent et ébranlent jour après jour le dogme du modèle socio-économique extractiviste.
Successivement, le rapport spécial 1.5° du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) en 2018, le rapport Jouzel et l’élaboration du plan Climat-Biodiversité et transition écologique ont mené à la mobilisation générale en 2022, et la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) a alors invité tous les personnels de l’ESR à expérimenter et incarner la transition bas-carbone et la réduction de leur impact environnemental dans la pratique de leurs métiers. Si l’appel ministériel est louable, la tâche est loin d’être aisée pour les organismes et leurs directions, car les logiques de performance et de reconnaissance internationale prédominent, même si une large part de chercheur·e·s, d’enseignant·e·s chercheur·e·s, de personnels administratifs et techniques, de doctorant·e·s interrogent le modèle et le remettent en cause (enquête de décembre 2020 du collectif Labos1point5).
Par conséquent, comment passer du constat à l’action ?
Construit par et pour le monde académique, l’atelier Ma Terre en 180 minutes, porté par l’OSUG, immerge six à dix participant·e·s au sein d’équipes de recherche virtuelles carbonées, et leur propose de scénariser une pratique sobre, s’inscrivant dans le cadre de l’accord de Paris qui prévoit une réduction de 40 % des émissions globales françaises d’ici 2030 par rapport à 1990 (loi énergie-climat de novembre 2020 et feuille de route Européenne Fit for 55 de juin 2022). L’atelier repose sur le postulat d’un effort équitablement distribué et consenti, autrement dit, d’une transition climatique indissociable d’une forme de justice sociale.
Déployé en présentiel, distanciel et mixte, l’atelier Ma Terre en 180 minutes a rassemblé un millier de participant·e·s de plus de 50 villes et 9 pays. Les données recueillies lors des 85 premiers ateliers ont été analysées et présentées ce 3 avril dans la revue PLOS Sustainability and Transformation. Elles révèlent le poids important des vols longs courrier dans le bilan de gaz à effet de serre (GES) des activités de recherche (hors achats). Les résultats montrent également qu’un mélange d’alternatives simples et équitables entre les différents statuts (jeunes chercheur·e·s, partenaires étrangers …) permet de réduire les émissions à hauteur des objectifs (46 % de réduction médiane, hors achats). Les alternatives permettant la plus grande réduction des émissions sont l’usage d’outils de communication vidéo (36 %), suivies par la mutualisation des activités professionnelles et l’annulation ou la réduction volontaire, qui représentent respectivement 22 et 14 % des réductions proposées. Les chercheur·e·s devraient-ils alors ralentir pour savoir où atterrir, selon la formule de Bruno Latour ?
C’est fort possible, du moins si l’on se reporte au récent sondage publié dans la revue Nature, et selon lequel près de deux-tiers des personnes sondées dans le monde de la recherche ont réduit volontairement leur participation à des conférences (en présentiel) suite à la crise COVID. Dans notre étude, la réduction des conférences fortement émettrices de GES est également l’alternative la plus plébiscitée.
Utilisés depuis près de 40 ans en réponse aux enjeux climatiques, les serious game stimulent nos réflexes cognitifs, modifient notre perception des enjeux climatique et interrogent nos comportements individuels et collectifs, en combinant la pédagogie et le ludique. Cette étude unique a permis de prendre conscience que la recherche scientifique peut réduire significativement ses émissions.
La démarche sera cependant performative si les pistes esquissées par les personnels nourrissent les stratégies des établissements et permettent la mise en place d’actions de réduction audacieuses, équitables et acceptables, puisque plébiscitées tant par les personnels qu’ils administrent, que par les ministères dont ils dépendent. C’est la voie que prennent plusieurs structures (CNRS, IRD, Université Grenoble Alpes notamment) qu’il convient d’amplifier au sein de l’ESR et au-delà, en adaptant l’atelier au milieu scolaire, aux collectivités et aux entreprises, cet atelier offrant une méthode unique clé en main et inclusive pour passer de la sensibilisation à l’action. Cela dans l’objectif de porter une science responsable et qui propose des solutions avec et pour la société.
Cette tribune accompagne un article publié dans PLOS Sustainability and Transformation et dont voici les auteurs : Nicolas Gratiot, Jérémie Klein, Marceau Challet, Olivier Dangles, Serge Janicot, Miriam Candelas, Géraldine Sarret, Géremy Panthou, Benoît Hingray, Nicolas Champollion, Julien Montillaud, Pascal Bellemain, Odin Marc, Cédric-Stéphane Bationo, Loïs Monnier, Laure Laffont, Marie-Alice Foujols, Véronique Riffault, Liselotte Tinel, Emmanuel Mignot, Nathalie Philippon, Alain Dezetter, Alexandre Caron, Guillaume Piton, Aurélie Verney-Carron, Anne Delaballe, Nelly Bardet, Florence Nozay-Maurice, Anne-Sophie Loison, Franck Delbart, Sandrine Anquetin, Françoise Immel, Christophe Baehr, Fabien Malbet, Céline Berni, Laurence Delattre, Vincent Echevin, Elodie Petitdidier, Olivier Aumont, Florence Michau, Nicolas Bijon, Jean-Philippe Vidal, Sébastien Pinel, Océane Biabiany, Cathy Grevesse, Louise Mimeau, Anne Biarnès, Charlotte Récapet, Morgane Costes-Thiré, Mariline Poupaud, Maialen Barret, Marie Bonnin, Virginie Mournetas, Bernard Tourancheau, Bertrand Goldman, Marie Paule Bonnet, Isabelle Michaud Soret