Pour les chercheur·ses qui viennent de terminer la rédaction d’un article après plusieurs mois, voire années, de dur labeur, c’est le moment très satisfaisant… de sortir la carte bleue. En effet, depuis la montée en puissance du mouvement de la science ouverte et des politiques d’open access mises en place par les institutions et notamment celles qui financent la recherche, les frais s’accumulent pour les auteurs. Avec en premier lieu les maintenant bien connus frais de publication, article processing charge en anglais ou APC pour les intimes, contrepartie imposée par de nombreuses revues pour publier en accès ouvert. Fini donc les abonnements – encore que pas tout à fait – mais pas les frais : le coût total des APC a triplé en France entre 2013 et 2020 pour atteindre 30 millions d’euros. Un phénomène mondial, à tel point que les National institutes of health états-uniens ont annoncé la mise en place d’un plafonnement de leurs dépenses en la matière. Le modèle d’auteur-payeur a aussi vu l’arrivée d’éditeurs prédateurs, des paper mills et autres arnaques visant les chercheurs avides de publier pour obtenir une promotion, un poste ou un visa, ou tout simplement perdus dans leurs droits et devoirs en terme de publication.
« Nous payons déjà un abonnement à ces revues et il faudrait en plus payer pour que nos chercheurs gardent leurs droits d’auteurs sur leurs publications ? »
Loetitia Moya (Enac)
La douloureuse. Les débats sont aujourd’hui ravivés par l’arrivée de frais d’un nouveau genre, bien qu’ils ressemblent aux APC comme deux gouttes d’eau : les Repository License Fee (RLF). Introduits en avril 2025 par la société savante Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE), ils s’adressent en réalité aux auteurs qui publient leur papier dans une revue accessible sur abonnement et qui veulent déposer immédiatement sur un entrepôt d’archives ouvertes comme HAL la version acceptée du manuscrit tout en y apposant une licence Creative Commons CC BY – qui permet une réutilisation du contenu en citant les auteurs. Le tarif ? 1275 dollars pour un article de revue et 400 dollars pour des actes de conférence. À titre de comparaison, le prix moyen des APC chez IEEE pour les revues sans abonnement – dites gold – s’élève à 2000 dollars, ce qui correspond à la moyenne mondiale. Une nouvelle taxe qui « s’apparente à un “APC light” », explique le CNRS dans une communication en juillet 2025 au sein de laquelle le directeur général délégué à la science Alain Schuhl s’insurge contre cette nouvelle « pénalité » pour les auteurs et les appelle à « ne pas céder au paiement de la Repository License Fee ».
Coûts cachés. « Nous payons déjà un abonnement à ces revues et il faudrait en plus payer pour que nos chercheurs gardent leurs droits d’auteurs sur leurs publications ? », s’interroge Loetitia Moya, bibliothécaire à l’École nationale de l’aviation civile (Enac). Les chercheurs y ont une longue tradition de publication dans les revues de l’IEEE spécialisées en électronique et ingénierie. Des chercheurs qui dénoncent aujourd’hui une véritable “chasse aux sorcières”, coincés entre les injonctions contradictoires des financeurs qui exigent la publication en open, celles de leurs employeurs qui préfèrent les revues prestigieuses pour grimper dans le classement de Shanghai… et les revues qui les ponctionnent à la moindre occasion. « Choisir une revue pour publier devient de plus en plus compliqué », témoigne la bibliothécaire qui tente de les conseiller au mieux.
« À part pour quelques spécialistes, les implications des licences sur les publications scientifiques restent mal comprises »
Alexandre Hocquet, Université de Lorraine
Pertes et profits. Ce n’est pas la première fois qu’une maison d’édition tente de compenser les pertes dues au dépôt sur archives ouvertes. L’American Chemical Society (ACS) propose depuis septembre 2023 ce qu’elle a nommé des article development charge (ADC), « une nouvelle option pour satisfaire aux exigences des financeurs en matière d’accès libre (…) sans embargo », permettant aux auteurs de déposer immédiatement après acceptation la dernière version de leur manuscrit sous une licence CC BY. Exactement le même service que les RLF, si vous avez bien suivi. S’élevant à 2500 dollars, ces frais couvrent selon la société savante les coûts de gestion du peer review, la vérification des données… et non les frais de publication en tant que tels. Une annonce qui n’avait pas manqué de faire réagir, notamment le consortium européen cOAlition S qui dénonçait un vocabulaire trompeur. Les conséquences pour les chercheurs français ont depuis certainement été atténuées par les négociations menées par Couperin, permettant aux douze établissements signataires du « Zero embargo green Open Access » de déposer les manuscrits acceptés par l’ACS sur archives ouvertes sans délai et sans coût additionnel.
Petits caractères. Déposer son manuscrit en accès ouvert sur HAL ou sur une autre plateforme d’archives ouvertes est en passe de devenir une pratique courante dans la recherche. Une victoire des partisans de l’open science. Pour preuve le baromètre de la science ouverte, indiquant que la proportion de publication en accès ouvert est passée de 38% en 2018 à 67% en 2024 – malgré de grandes disparités selon les disciplines. La loi pour une République numérique de 2016 protège les chercheurs dans cette démarche : « [l’]auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert […] la version finale de son manuscrit acceptée pour publication ». La seule réserve ? Un embargo « de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales ». Mais le diable se niche toujours dans les détails : la licence choisie par les auteurs semble faire toute la différence. En effet, s’ils ne souhaitent pas payer la Repository License Fee, les auteurs auront bien toujours la possibilité de déposer la version acceptée sur une archive ouverte… mais sans la licence CC BY, précise IEEE.
« Même si IEEE justifie que ces frais visent à garantir le service éditorial rendu, ces services sont déjà payés via les abonnements »
Alain Schuhl, CNRS
Grand méchant flou. Pour l’écrasante majorité des auteurs, la priorité est que leur publication puisse être lue par tous. Idem pour la plupart des lecteurs : seul l’open access compte, peu importe la licence. En 2019, seul un document sur 10 avait été déposé sur HAL avec une licence Creative Commons. Alors, pourquoi déposer avec une licence et, parmi toutes les licences possibles, pourquoi choisir la CC BY qui est une des plus permissives ? Pour les défenseurs du “libre”, autoriser la réutilisation, même commerciale, des résultats de la recherche est aussi important que leur ouverture. C’est pour certains même un acte militant. Mais il peut également permettre aux auteurs de republier ailleurs le même texte – ce que certains nomment auto-plagiat mais qui semble pratiqué en sciences humaines et sociales. « À part pour quelques spécialistes, les implications des licences sur les publications scientifiques restent mal comprises et il y aurait encore beaucoup à expérimenter », estime l’historien des sciences Alexandre Hocquet – que nous avions interviewé sur l’embellissement des résultats scientifiques.
Do’s and don’t. Autre raison d’importance pour déposer son article sous licence CC BY : c’est une demande explicite de l’Agence nationale de la recherche (ANR) depuis 2022 pour tous les projets qu’elle finance. Conséquence directe de cette politique de l’ANR : le CC BY est devenue la licence par défaut lors des dépôts sur HAL depuis décembre 2024. Mais du point de vue de l’éditeur, cette licence change également grandement la donne : il perd les droits qu’il avait gagnés lors de la signature du contrat avec les auteurs et se voit exposé à une republication libre des articles, dévalorisant ainsi la valeur de ses abonnements. C’est d’ailleurs pour cette raison que les chercheurs formulant auprès des éditeurs la demande d’apposer une CC BY sur leur article se font souvent refouler. Comme l’analyse le CNRS, avec ces Repository Licence Fee, « IEEE (…) cherche à rattraper financièrement la perte des droits d’exploitation exclusifs de l’article ». Pourtant, « même si IEEE justifie que ces frais visent à garantir le service éditorial rendu, ces services sont déjà payés via les abonnements aux revues d’IEEE auxquels souscrivent les établissements de recherche », rappelle Alain Schuhl.
« Il n’y a pas de contradiction à ce qu’un auteur dépose son manuscrit sous CC BY sur le fondement de la loi République numérique »
Lionel Maurel, CNRS
Dura lex, sed lex. Dernière question, sûrement la plus cruciale, dans cette affaire : la loi française protège-t-elle les auteurs apposant une licence CC BY sur la version acceptée de leur manuscrit, quel que soit le contrat passé avec l’éditeur ? Car, comme tout bon juriste le sait, la loi prévaut sur les contrats. La loi pour une République numérique ne mentionne aucunement l’utilisation de licence mais est explicite sur un point : « La version mise à disposition (…) ne peut faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial. » Une phrase interprétée par le juriste, bibliothécaire et spécialiste des questions de science ouverte Lionel Maurel en 2016 sur son blog comme une restriction pour les auteurs, ne leur permettant pas l’utilisation d’une licence CC BY, mais en revanche celles de type CC BY-NC (noncommercial) qui maintiennent l’interdiction d’un usage commercial – par un autre éditeur, par exemple. C’est ce que pratiquent donc certains établissements : « À l’Université de Rennes, dans la plupart des cas, nous avons décidé d’ajouter une licence CC BY-NC aux dépôts de manuscrits auteurs acceptés déposés dans HAL-Rennes. », explique son administrateur Laurent Jonchère.
Jugement révisé. Contacté par nos soins, Lionel Maurel révise aujourd’hui son jugement : « En réalité, la charge de respecter cette restriction légale pèse sur les éditeurs (ou tout acteur susceptible de conduire une « activité d’édition à caractère commercial ») et non sur les auteurs (…) Dès lors, il n’y a donc pas de contradiction à ce qu’un auteur dépose son manuscrit sous CC BY sur le fondement de la loi République numérique. » Une interprétation qu’aucune jurisprudence ne peut pour l’instant étayer car, à notre connaissance, aucun éditeur n’a encore poursuivi un auteur pour avoir apposé un CC BY sur son manuscrit. Et on espère que ce ne sera pas vous le premier !