Les labos sont à un sou de Bruxelles

De la science dans la campagne pour les Européennes ? Si elle n’occupe évidemment pas le devant de la scène, elle sous-tend nombre de programmes.

— Le 5 juin 2024

Le 9 juin, tous aux urnes ! Avec une abstention prévisible frôlant les 50%, les Européennes ne soulèvent pas les foules. À tort certainement, tant la politique européenne étend son influence sur les États qui la composent. Quelques chiffres concernant la recherche : le programme Horizon Europe consacre 95,5 milliards d’euros aux labos et établissements entre 2021 et 2027, avec les programmes phare que sont le Conseil européen de la recherche (2,2 milliards pour 2024), le Conseil européen pour l’innovation (1,2 milliards en 2024) ou les Actions Marie Skłodowska-Curie (100 millions environ), sans compter le programme estudiantin Erasmus +, les universités européennes de recherche — une définition — ou l’Agence spatiale européenne. N’en jetez plus, la recherche est le troisième budget de l’Union européenne et cette dernière en façonne de très nombreux aspects : « Un très grand nombre de questions climatiques et écologiques sont de l’ordre de la compétence de l’Union européenne », pointait il y a peu le collectif Scientifiques en rébellion dans Libération.

« La question de savoir si l’Europe sera une puissance d’innovation, de recherche et de production se joue maintenant »

Emmanuel Macron

Comme des cabris. Alors au moment de plonger votre bulletin dans l’urne, pourquoi ne pas se préoccuper de science ? Malgré des joutes oratoires entre les têtes de liste ayant une chance raisonnable de passer la barre des 5% — La France Insoumise, Le Parti communiste, Les Ecologistes, Place publique, Renaissance, Les Républicains, le Rassemblement national, Reconquête —, largement dominées par les questions migratoires ou la géopolitique, la remise en question du Pacte vert européen imposant la neutralité carbone en 2050 a permis quelques passes d’armes scientifico techniques lors des débats télévisés qui ont précédé le scrutin. Car si cet objectif n’est pas remis en cause per se, certaines de ses mesures emblématiques le sont, notamment l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035. 

Parlementons. Et puisqu’il faut rendre à Jules ce qui appartient à César, notons que le Président de la République Emmanuel Macron avait donné le “la” le 24 avril dernier lors de son discours sur l’Europe à la Sorbonne, en déclarant notamment : « La question de savoir si l’Europe sera une puissance d’innovation, de recherche et de production se joue maintenant ou pas ». Avant d’inventorier les sujets scientifiques qui émaillent le programme de “son” parti Renaissance autant que ceux des principales concurrentes : hydrogène, semi-conducteurs, batteries électriques, santé (maladie d’Alzheimer et neurodégénératives ou les maladies rares et orphelines), l’intelligence artificielle et les capacités de calcul associées. L’informatique quantique, enfin. Il omet toutefois un débat plus souterrain mais pas moins important : celui de la future régulation des New genomic/breeding techniques (NGT), la nouvelle génération d’organismes génétiquement modifiés, qui divise les scientifiques. Le tout en réaffirmant « l’objectif de 3 % du PIB européen consacré à la recherche ». 

3% du PIB consacré à la recherche, une promesse vieille de 24 ans 

Ceux qui les croient. Or, seuls quatre États membres dépassent en 2023 cette barre des 3% : la Belgique (3,44%), la Suède (3,4%), l’Autriche (3,2%) et l’Allemagne (3,13%). La France, plafonnant à 2,2%, ne tient donc toujours pas sa promesse vieille de 24 ans. Notons que, parmi les programmes des principales listes, c’est le programme de François-Xavier Bellamy (LR) qui propose le coup de pouce le plus significatif au budget de recherche, avec pas moins de 4% du PIB, soit rien de moins qu’un doublement. Une mesure néanmoins très difficilement réalisable et ce pour deux raisons, pointées par nos confrères de Contexte qui jugent la mesure « très difficile » à mettre en oeuvre : d’une part le budget vient d’être révisé, avec une ponction de 2,1 milliards sur Horizon Europe (voici le document officiel), d’autre part ce sont les gouvernements qui ont la main sur un éventuel coup de pouce… et ceux-ci ne semblent pas si pressés que ça de le faire. Le programme de Raphaël Glucksmann (PS-Place publique) propose, lui, avec sensiblement les mêmes termes, de doubler le budget d’Horizon Europe, une mesure improbable pour les mêmes raisons.

Sur un plateau. Parcourir les programmes des huit principales listes précitées permet de se faire une idée de la place de la science dans l’inconscient politique. Fort de son attachement historique à la science, le Parti communiste a par exemple publié une tribune dans L’Humanité dénonçant notamment les appels à projets ultra compétitifs du Conseil européen de la recherche (le fameux ERC) et les menaces sur les libertés académiques. Son programme présente une somme de mesures consacrées à la recherche, dans des domaines divers (endométriose, essais cliniques…), ainsi que la création d’un pôle européen de recherche pour le climat, financé à hauteur d’1% du PIB. Une proposition qui n’est pas sans rappeler celle du « projet Manhattan à la française » (nous vous en parlions). Du côté des Républicains, outre sa proposition de doubler la part du PIB consacré à la recherche, François-Xavier Bellamy veut promouvoir la recherche dans de nombreux secteurs (Alzheimer, endométriose…) mais n’oublie pas de glisser une pique à la recherche « militante » sur le wokisme et l’islamisme.

Plongeons dans les programmes des candidats

Aréopage. Le programme de la France insoumise, dont la liste est menée par Manon Aubry, a été coécrit par un chercheur : Hadrien Clouet (également député à l’Assemblée nationale). Il propose « d’atteindre effectivement 3 % du PIB » consacré à la recherche mais aussi, plus original, de « créer un comité d’éthique européen garant de l’indépendance de la recherche et de la liberté académique ». Sans transition, le programme de Marion Maréchal-Le Pen qui emmène la liste Reconquête est, sans surprises, moins dense en la matière et propose des mesures centrées sur l’ingénierie et l’innovation, notamment des « programmes de recherche en robotique/IA/numérique » ou pour des alternatives au glyphosate. Un saut de puce à gauche dans l’échiquier politique et nous retrouvons les propositions du grand favori des sondages, Jordan Bardella (Rassemblement national) où la recherche ne se fait pas une grande place. Parmi elles, néanmoins : « renforcer les échanges scientifiques comme lutte contre le cancer, recherche agronomique, chimie verte, etc ». Vous ne les avez peut-être pas attendus pour cela.

Verts de rage. Transition toute trouvée pour évoquer le programme de Marie Toussaint, à la tête de la liste des Écologistes, qui propose d’encadrer plus étroitement l’expérimentation animale, tout en écartant « l’interdiction complète des animaux dans le cadre d’études scientifiques et de santé ». Mais aussi investir dans la recherche en chimie verte, interdire la mise sur le marché des nouveaux OGM, lutter « contre les biais de genre dans la recherche médicale » ou réorienter le programme Horizon Europe vers la transition écologique. Le Candidat de Place publique (PS) Raphaël Glucksmann propose parmi ses 338 (!) mesures d’orienter la recherche vers « l’endométriose ou le cancer du sein » ou de « créer un système de visas et de bourses destinées aux chercheuses et chercheurs du monde entier dont la liberté académique est menacée ». Last but not least, Valérie Hayer (Renaissance) avance pour le camp macroniste un « plan Marie Curie massif pour des vaccins et traitements européens contre le cancer, les maladies dégénératives, dont la maladie d’Alzheimer, et la recherche sur l’autisme ».

Une séquence pour toutes les résumer

Hall of fame. Finissons par un petit détour au sein des “petites listes” — trente en tout — peu susceptibles de dépasser les 5% de vote, sésame pour envoyer des députés à Bruxelles. La liste Écologie positive et territoires de Yann Wehrling propose de « tripler les moyens de la recherche en faveur des alternatives aux pesticides ». Le Parti Pirate propose une ouverture plus large de la propriété intellectuelle autour de la connaissance (dont la recherche). Le Parti animaliste veut « financer la recherche de méthodes de cultures biologiques végétaliennes » entre autres mesures pointues sur l’agriculture (ça vaut le coup d’oeil) mais aussi, conformément à son mantra, « établir une feuille de route (…) visant, à terme, l’arrêt de l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques ». La liste PACE propose enfin de « soutenir les entreprises (sic) en investissant 3% du PIB dans la recherche et l’innovation ».

Paroles, paroles. Mais s’il fallait résumer en une séquence la place de la science dans la campagne des Européennes, elle se nicherait dans le débat qui a opposé les huit principales têtes de liste sur BFM TV fin mai. Quand la question de la transition énergétique et la place du nucléaire a été abordée (à partir de 1h06), le candidat PC a appelé à « remettre le discours scientifique au centre ». « Je crois dans la science », a abondé le candidat RN Jordan Bardella… avec des conclusions radicalement différentes de celles des Écologistes, représentées par Marie Toussaint sur le plateau télévisé. La tête de liste RN n’a tout de même pas pu s’empêcher de qualifier « d’élucubrations » l’alerte de la candidate écologiste Marie Toussaint sur l’effondrement des populations d’oiseaux… 


On a repéré quelques chercheurs ou personnels scientifiques parmi les candidats aux élections européennes. En voici la liste (non exhaustive) : Thomas Pellerin-Carlin (chercheur sur les politiques européennes, Place publique), Mickaël Idrac (docteur en sociologie des migrations, LFI), Laurent Castillo (Professeur des universités et praticien hospitalier, Les Républicains), Majdouline Sbai (sociologue, Les Écologistes), Annick Demeule (CNRS, Liste Asselineau-frexit). Céline Piot (maîtresse de conférences, Parti communiste), Pierre Ouzoulias (chargé de recherche CNRS, Parti communiste), Fleur Laronze (maîtresse de conférences HDR, Parti communiste), Anne Saouter (anthropologue, Parti communiste) Vous en voyez d’autres ? Écrivez à la rédaction.

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