Les postdocs, le c*** entre deux chaises



25 septembre 2020 /// L’actu des labos
Le cul entre
deux chaises

Autant le dire d’emblée, je ne peux pas aborder le sujet des postdocs sans affect.
Parce que j’ai été postdoc durant presque cinq ans (dont la moitié expatriée à l’étranger). Parce que – sans vouloir verser dans le lyrique – cette magnifique aventure autant scientifique qu’humaine que j’ai eu la chance de vivre s’est soldée, comme pour beaucoup d’autres, tristement : sans poste.
Au delà de mes états d’âme personnels, j’ai été frappée par le peu de visibilité des postdocs dans la communauté scientifique – en dehors, n’en parlons même pas – et par l’absence d’associations, de groupes, comme les doctorants le font si bien…
Ni doctorants, ni permanents, le cul entre deux chaises.
Bonne lecture,
Lucile de TMN


Ils sont jeunes (souvent), ils sont beaux, ils font de l’inno. Elodie Chabrol est allée à la rencontre de chercheurs qui ont sauté le pas. Premier épisode avec Xavier Duportet. 

  << Ecoutez son témoignage >>  


A partir d’ici 5′ de lecture roborative.


Les postdocs,
ces grands oubliés


Plein feux sur les postdocs à travers les résultats de #ParlonsRecherche. Tout n’est pas rose pour ces chercheurs condamnés à l’entre-deux.


L’homme invisible de la recherche.
Pire que les doctorants. Notre enquête #ParlonsRecherche révèle que l’état d’esprit des postdoctorants ou ATER est plus noir que celui des doctorants. Comparés aux autres chercheurs (doctorants ou permanents), les postdocs :

  •  sont les plus pessimistes  : 71% d’entre eux le sont quant à leur avenir ;
  •  sont ceux qui se sentent le moins reconnus à leur juste valeur  (74%) ;
  •  ne se sentent pas privilégiés  (56%) ; il sont la seule catégorie, avec les doctorants de 4e année et plus, à répondre en majorité non.

Un point positif. Leur situation financière n’est en moyenne pas difficile  certains contrats postdoctoraux sont en effet bien rémunérés —, bien qu’ils estiment ne pas être payés à la hauteur de leurs qualifications pour 81% d’entre eux.

Comment en est-on arrivé là ? Avant de vous plonger dans l’analyse d’Emilien Schultz plus bas, voici quelques éléments :

  •  Leur nombre explose depuis 20 ans  Au CNRS par exemple, le nombre de “CDD chercheurs” en 2000 était de 715, 6% du nombre de permanents. En 2018, il a triplé en passant à à 2243. Sont-ils devenus indispensables à l’heure où les recrutements de permanents baissent mais le nombre de doctorants à encadrer augmente ?
  •  Du provisoire qui dure  Le recul de l’âge de recrutement a transformé le postdoc en un enchaînement de contrats. En France, la loi Sauvadet limite cette période à six ans (relire notre enquête) mais certains la contournent ou s’épuisent avant. Des chercheurs analysaient en 2017 les raisons de ces abandons.
  •  Le cadet de la recherche  Coincés entre les doctorants et les permanents, comme le deuxième enfant d’une fratrie de trois, les postdocs n’ont pas l’avantage des plus jeunes (encadrement, soutien d’associations) et, pour certains, beaucoup de responsabilités (financements, projets).


Découvrez les autres focus de #ParlonsRecherche

3 questions à… Emilien Schultz
« Ce n’est pas une simple parenthèse »


Avec sa double casquette de sociologue des sciences et de postdoc, Emilien Schultz était le candidat parfait pour une interview.


Emilien Schultz est aussi postdoc.
Peu d’études, peu d’assos… Personne ne s’intéresse aux postdocs ? 
En effet, il n’y a que très peu de travaux et d’initiatives dédiés aux postdocs à ma connaissance – du moins en France. Les postdocs ne correspondent pas à un statut clairement défini : c’est un produit en creux d’autres catégories mieux délimitées, la thèse d’un côté et la position de chercheur ou d’enseignant chercheur titulaire qui structure encore beaucoup les carrières. D’une certaine manière, ils sont uniquement lus sous le statut de « docteurs » alors que leurs situations sont très hétérogènes : entre avoir une bourse Marie Curie et survivre avec un contrat à temps partiel de quelques mois, l’expérience et les activités sont complètement différentes. Il s’agit aussi d’un statut qui n’est pas revendiqué par les intéressés qui, sauf exception, veulent en sortir le plus rapidement possible.
Comment expliquer leur développement en France ? 
La multiplication en France des contrats postdoctoraux est très liée au développement du financement sur projets, pour lequel l’ANR a été un acteur important. Il en résulte des attentes contradictoires. D’un côté, les chercheurs demandaient à pouvoir financer leurs jeunes collègues et ont donc pu le faire. De l’autre, cela a conduit à l’explosion de ce type de contrat dans les équipes sans être accompagné par une réflexion politique de leur place dans le fonctionnement de la recherche. Ainsi, lorsque l’ANR a été créée en 2005, peu de monde avait réfléchi aux conséquences – le sujet a pris de l’importance à partir des Assises de la recherche en 2012. Il n’y a alors qu’un pas à associer ce laisser-faire dans la multiplication de ce type de contrat à une volonté d’éroder les institutions existantes, comme cela peut être observé aussi par le recours aux vacataires dans les enseignements à l’université.
Le postdoc est-il une chance de se former ou une main-d’œuvre indispensable dans les labos ? 
Aujourd’hui, le discours consistant à dire qu’une thèse ne suffit plus pour avoir un poste s’est généralisé et les parcours professionnels se sont complexifiés avec des exigences d’expérience à l’étranger et une augmentation du nombre de publications nécessaires. Le postdoc occupe donc un double rôle d’étape dans les carrières et de situation professionnelle à part entière, souvent subie en l’absence d’alternative. Loin d’être une activité de recherche autonome, ces chercheurs réalisent bien souvent des tâches indispensables à des recherches collectives. Il est alors important d’éviter les visions enchantées qui réduisent ce travail à une simple parenthèse vers une situation pérenne — qui souvent n’arrive jamais. Et de lutter contre leur invisibilisation au profit des chercheurs permanents dans la conduite des projets de recherche et le fonctionnement des laboratoires.


Encore un chiffre de #ParlonsRecherche

60%
des chercheurs en sciences de la vie ont eu l’impression que leur avis comptait plus avec la crise de la Covid. Normal, me direz-vous. Mais ce chiffre chute à 13% seulement pour les sciences humaines, alors que de nombreuses questions relevant de ces domaines ont été soulevées depuis le mois de mars.


#ParlonsRecherche, c’est aussi
plus de 4000 verbatims 
« La précarité des doctorants et post-docs perdure car il y a un turn-over des représentants dans les syndicats et conseils (…) et ceux qui obtiennent un poste de titulaire (…) ne voient pas l’intérêt de changer un système darwinien qu’ils croient avoir battu par leur génie. (…) Les laissés pour compte (…) ne peuvent pas s’exprimer, alors que c’est eux qui connaissent le mieux les failles du système. »
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« J’ai l’impression qu’il ne reste pas grand chose de l’esprit scientifique, de l’humanisme, d’intégrité, de questionnements éthiques, philosophiques ou politiques sur les causes et conséquences de ce qu’on fait. »
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« On médiatise et on valorise les « savants » qui vont trouver le remède miracle au Covid-19 et la date de déconfinement. Mais juste avant, on était prêts à faire la grève de la recherche pour protester contre la LPPR, tout en pensant que si toutes les facs de SHS arrêtaient de travailler (…), personne n’en aurait rien à faire. »
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Et pour finir…

J’espère que vous avez terminé votre petit déjeuner. Le couteau ci-dessous a été fabriqué dans le cadre d’une étude de réplication archéologique… en matière fécale humaine ! Les chercheurs sont formels : ça ne marche pas (pas la peine d’expérimenter chez vous). En revanche, ils ont été récompensés par le Ig Nobel, catégorie sciences des matériaux.

Erratum.  Le 18 septembre, nous citions la plateforme du CNRS Trouver un expert comme exemple de mise en relation entre journalistes et scientifiques, ce qui n’est pas le cas – elle a été développée pour du conseil aux entreprises. En revanche, le site Les Expertes France rentre dans cette catégorie.