L’histoire d’un électron libre

Une chercheuse licenciée pour insubordination ? Analyse et enquête d’un cas récent au sein de l’IRSN.

— Le 2 octobre 2020

Une employée désobéissante ? L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a licencié en juin dernier une chercheuse pour « insubordination récurrente se manifestant par une défiance vis-à-vis de sa hiérarchie et une contestation chronique des processus internes de l’Institut ». La sociologue Christine Fassert était employée à l’IRSN depuis 2009 et pilotait le projet Shinrai (confiance en japonais) depuis 2014. 

Des recherches radioactives. A l’IRSN ce n’est pas comme au CNRS. La recherche est pilotée par les besoins de l’expertise, une recherche dite finalisée ou opérationnelle (voir l’encadré ). Les sciences humaines sont en minorité parmi les 400 chercheurs de l’institut. Christine Fassert mène ses études de terrain sur la confiance accordée aux experts par la population touchée par l’accident de Fukushima, le tout en partenariat avec Sciences-Po Paris et l’Institut technologique de Tokyo.

Beaucoup de temps perdu. Le processus est long avant même de démarrer ses travaux et, comme pour tous les chercheurs de l’IRSN, ses articles et rapports sont relus par sa hiérarchie avant publication. Note d’opportunité puis note de cadrage doivent être validées à tous les étages et reviennent avec de nombreux commentaires, relues par une hiérarchie qui ne compte pas d’autre sociologue qu’elle – on est loin de l’évaluation par les pairs. Entre l’accident de Fukushima en 2011 et le début des recherches en 2014, il aura fallu trois ans.

Relecture obligatoire. Pour Patrice Bueso, directeur de la stratégie recherche de l’IRSN, cette phase de relecture est uniquement un « lissage institutionnel afin de recontextualiser les résultats scientifiques ». De son côté, Christine Fassert nous assure avoir été d’accord pour retirer ou reformuler des passages mais il lui est difficile de faire comprendre ce processus d’écriture à ses collègues de l’académie. « Pour mon collaborateur japonais, c’était inimaginable », nous confie-t-elle.

Articles “non-finalisés”. Lorsque des pans entiers sont supprimés – avec comme explication « ce n’est pas le message que l’on veut faire passer à l’IRSN » –, la sociologue refuse de soumettre des articles désormais « vidés de leur sens ». Ce sera le cas pour deux papiers, nous dit-elle. Patrick Bueso l’affirme, « il n’y a quasiment aucune publication finalisée refusée à l’IRSN. Christine Fassert avait reconnu à l’époque qu’elles ne pouvaient pas sortir comme ça. »

Communication breakdown. En regard, la chercheuse déplore le manque de clarté sur le poste qu’elle a accepté il y a onze ans : « Si les chercheurs ne sont pas libres, l’IRSN doit le dire publiquement et l’assumer ». Patrice Bueso s’oppose à ce constat : « Il n’y a pas de “message” à faire passer à l’IRSN. Nous publions parfois des résultats qui ne correspondent pas à ce que le gouvernement veut entendre. »

La suite au prochain épisode. Christine Fassert a déposé une requête aux Prud’hommes, l’instruction devrait avoir lieu d’ici la fin de l’année.

Pas logés à la même enseigne

Dans le droit français, il n’existe pas de liberté scientifique à proprement parler, mais une liberté académique qui s’exerce uniquement pour les chercheurs et enseignants-chercheurs dans le public, explique Charles Fortier. Les chercheurs des Epic — établissement public à caractère industriel et commercial, dont font partie le CEA, l’IRSN et bien d’autres — « sont recrutés au service d’une démarche industrielle ciblée (…) et non pas spécifiquement pour contribuer au développement des connaissances. »

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