Manuel Tunon de Lara : « Tout ne se résume pas au classement de Shanghaï »

— Le 19 janvier 2022
Le président de feu la CPU revient sur l’autonomie et les inégalités du système.

Si vous avez raté le début. Le 13 janvier dernier, la Conférence des présidents d’université — 50 ans cette année — a cédé la place à France Universités. Trois mois avant la présidentielle, l’occasion pour les universités de plaider leur cause. En toile de fond : la répartition des rôles avec les organismes de recherche, CNRS en tête. Toujours abordé de manière sybilline (ou plus clairement en off) jusqu’au discours d’Emmanuel Macron, il s’agit de l’enjeu le plus structurant de la recherche pour les années à venir. France Universités est allée un cran plus loin en proposant que les universités aient la « délégation pleine et entière de gestion de toutes les UMR » (voir le reste ses propositions). 
Précision importante, cette interview date d’avant le 13 décembre et le discours d’Emmanuel Macron.


La Cour des comptes a récemment publié une note sur les universités. Disparition du statut de chercheurs, transformation du CNRS… ses préconisations sont abrasives, les partagez-vous ?


La Cour fait une somme de constatations que nous pouvons, pour certaines, partager [voilà la fameuse note, NDLR]. Je pense comme elle que l’autonomie des universités est au milieu du gué, qu’elle est même en panne, tout comme je souscris à ce qu’elle a pu écrire sur les CHU il y a deux ans [si vous avez cinq minutes, NDLR]. L’université française n’est pas suffisamment autonome et cette notion est mal comprise : nous sommes dans le peloton de queue au niveau européen, que ce soit en termes de ressources humaines ou d’autonomie pédagogique.

Laisser les universités décider « en autonomie » des avancements de carrière, c’est mettre de côté le rôle du Conseil national des universités…


Le CNU doit aider les universités à prendre les bonnes décisions. Il faut éviter les disparités criantes mais chaque établissement doit pouvoir définir et travailler son ancrage territorial, définir et travailler ses propres objectifs. Il est compliqué pour un président d’université d’avoir la responsabilité financière et salariale des enseignants chercheurs sans qu’elle soit assortie d’un pouvoir de décision. La masse salariale a été transférée aux universités au moment de la LRU [portée par Valérie Pécresse en 2007, NDLR], sans les moyens de la piloter. En conséquence, les universités se sont différenciées, avec un bilan plutôt favorable malgré des difficultés. Les universités sont en proie à une administration très centralisée, très jacobine. Il faut changer de logiciel, et l’Etat a des difficultés à admettre qu’un de ses opérateurs a besoin d’être autonome pour être efficace. Par exemple, la direction générale des ressources humaines du Ministère s’occupe à la fois — et un peu de la même façon —, de l’Education nationale, toujours très centralisée, et des universités autonomes. Cette asymétrie pose problème dans de très nombreux cas. C’est devenu flagrant dans la déclinaison de la Loi de programmation de la recherche et des décrets qui paraissent aujourd’hui : le cas du repyramidage [une répartition des postes, NDLR] des maîtres de conférence, notamment, est instructif, avec, au départ, un très fort dirigisme dans sa conception de la part de l’Etat.

 Est-ce que plus d’autonomie ne revient pas à plus d’inégalités entre les universités ? Les Idex en sont un exemple flagrant…


Les Idex ont eu des effets positifs indéniables, au-delà des financements ; ces projets ont suscité des questions que les universités ne se posaient pas auparavant, comme celle de leur stratégie. Ces réorganisations ont été confrontées à l’avis d’un jury international indépendant, qui à l’époque ne rendait compte qu’au Premier ministre. Je dis à l’époque, parce que la création du SGPI [Secrétariat général pour l’investissement, nouvelle dénomination depuis 2017 du commissaire général à l’investissement, NDLR] a redistribué les rôles avec l’intervention possible des différents ministères, ce qui peut parfois compliquer les choses.

C’est-à-dire ?


Même les universités qui pensaient avoir des projets qui tenaient la route ont été bousculées. Certaines ont réussi, d’autres n’ont pas fonctionné mais il y a eu grâce aux IdEx, Isite et autres projets du PIA [de grands plans d’investissement gérés par le SGPI à Matignon, NDLR] une forme de prise de conscience de la nécessaire transformation de nos établissements. Il ne faut pas faire de raccourci entre la taille, les IdEx et les moyens. Sur le plan des financements, il faut rappeler que les moyens du PIA sont extra-budgétaires et doivent avoir un effet levier. Ils ne compensent donc pas les inégalités qui existent entre universités et qui concernent beaucoup le niveau d’encadrement : regardez l’Université de Strasbourg, qui est un Idex, et est pourtant une université mal encadrée malgré ses prix Nobel. Par ailleurs, je crois que la différenciation est aujourd’hui assumée par les universités. Quand sur un même site cohabitaient trois ou quatre ou cinq établissements et que ceux-ci se sont réunis pour mettre en place une offre, une image, une politique commune, c’est vertueux de mon point de vue et cela n’empêche pas l’excellence de se développer dans des universités de plus petite taille. En Aquitaine, les universités de La Rochelle et de Pau ont des trajectoires ambitieuses dans les sciences du littoral ou les géosciences. 

Assumer qu’il existe dix universités excellentes et pas une de plus est une inégalité en soi…


La commande date du rapport Attali [dont un certain Emmanuel Macron était le rapporteur adjoint, NDLR] qui préconisait l’émergence de dix grands pôles universitaires : tous les gouvernements qui se sont succédés ont suivi cette voie. Cela a pu créer un sentiment d’inégalité voire d’injustice — certains étant labellisés IdEx, d’autres non — mais il s’agit bien de financements octroyés sur la base d’un projet, avec des obligations, un cahier des charges dans la transformation…. Ces projets sont légitimes et le pays en a besoin mais ils s’ajoutent à une situation qui, je vous rejoins, est à la base inégalitaire et qui souffre de l’absence d’un véritable système d’allocation de moyens. Par ailleurs, il y a de grands sites universitaires comme Lyon et Toulouse qui n’ont pas encore réussi à se structurer sur ces principes mais qui en ont le potentiel : la France ne peut pas s’en passer, Idex ou pas. Nous vivons dans un m onde extrêmement compétitif où la très bonne place de Saclay [13e au dernier classement de Shanghai, NDLR] est un motif de fierté pour tous les établissements. Saclay est notre tête de pont mais je suis également fier de Montpellier, en pointe sur l’environnement, par exemple. Quant à savoir s’il en faut dix ou plus, l’Etat décidera, ce n’est pas de notre ressort et cela n’empêche pas d’avoir une politique d’excellence distribuée, comme nous l’avons suggéré au niveau européen.

Le classement de Shanghai n’explique-t-il pas à lui seul ces réformes ?

Tout ne résume pas à Shanghai : d’ailleurs, certains projets très ambitieux n’y apparaîtront pas.  

Une publi, une affiliation, n’est-ce pas le but ultime ?

La question ne se pose pas de cette manière. Ceci étant dit, pour des raisons d’organisation et de lisibilité, effectivement, un rapprochement beaucoup plus fort entre les organismes et les universités est indispensable. La LPR est de ce point de vue une occasion ratée. Quand on parle d’organismes de recherche, il y en a quantité, souvent de petite taille, très spécialisés à la différence du CNRS. Ce morcellement des acteurs, qui menait à une perte de visibilité et d’efficacité, a été en partie résolu par des fusions entre organismes ou des rapprochements avec les universités. Mais la mise en concurrence des universités en tant qu’opérateurs de recherche avec certains de ces organismes entraîne forcément des télescopages. La multiplication des noms décroît d’autant l’impact d’une publication mais le problème est plus profond que l’exemple que vous me donnez. Quand un pays a une ambition scientifique, il faut optimiser son système : sur un grand site universitaire, pourquoi avoir quatre directions de recherche en parallèle ? Qu’est-ce qui justifie que dans les unités mixtes chacun se batte pour sa part de propriété intellectuelle, sachant pertinemment que notre rôle premier n’est pas de valoriser les inventions ?  

Aux universités la tutelle des chercheurs, aux organismes la mission de leur confier certains moyens financiers ou matériels, comme le préconise la Cour des comptes. C’est votre souhait ?


La question ne concerne pas que les ressources humaines, elle est plus vaste. Je pense effectivement que certains organismes pourraient plus jouer ce rôle d’agences de moyens, comme c’est souvent le cas d’ailleurs. La réflexion sur le rapprochement entre l’université et les organismes de recherche doit se faire, sans quoi nous perpétuerons une forme de compétition et une efficience médiocre.

On a pu entendre Emmanuel Macron dire que la loi Recherche était un “début de réparation”, à quand la suite ?


En toute franchise, c’est la première fois que j’entends qu’il faut davantage financer l’ESR dans la bouche d’un président de la République. Mais la Loi de programmation de la recherche ne nous a pas permis de rattraper notre retard, la France reste moins ambitieuse que certains pays d’Europe dont l’Allemagne. La LPR constitue un apport financier réel, dont nous nous félicitons, les effets de la recapitalisation de l’Agence nationale de la recherche se ressentent déjà. Mais, tandis que les financements par projet augmentent, il y a un déficit de financement récurrent. La LPR ne fait que corriger certains retards, en particulier au niveau des salaires. Les enseignants-chercheurs et chercheurs sont dans notre pays insuffisamment reconnus et insuffisamment payés ; tout comme l’université, ils n’occupent pas la place qu’ils devraient occuper dans un pays scientifiquement avancé comme le nôtre. Il nous faut mieux défendre et développer notre potentiel humain, dès le doctorat.  

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